RWANDA : Commutation de peine pour 2140 prisonniers parmi lesquels le chanteur Kizito MIHIGO et l’opposante politique Victoire INGABIRE Umuhoza

Paris – le 15 septembre 2018

L’Observatoire des droits de l’homme au Rwanda (ODHR), apprécie à sa juste valeur la commutation de peine par grâce présidentielle de 2140 prisonniers parmi lesquels l’opposante politique UMUHOZA Victoire INGABIRE et le chanteur MIHIGO Kizito et salue ce geste et la décision présidentielle. Selon le Ministère de la Justice, la décision a été prise en conseil des Ministres hier le 14 septembre 2018. Le Président de la République exerce le droit de grâce dans les conditions définies par la loi et après avis de la Cour Suprême (Article 109 de la nouvelle constitution rwandaise). A part ces deux personnes très connues, les noms des autres prisonniers ne sont pas encore connus du grand public.

Pour rappel :

L’opposante politique INGABIRE UMUHOZA Victoire a été arrêtée en 2010 lorsqu’elle est rentrée dans son pays natal pour faire enregistrer son parti politique et présenter sa candidature aux élections présidentielles de 2010. Elle a été condamnée par la Cour Suprême à quinze ans de prison de prison ferme, le 13 décembre 2013, pour conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre, minimisation du génocide et propagation de rumeurs dans l’intention d’inciter le public à la violence, et cela après un procès controversé marqué par beaucoup d’irrégularités et un manque de transparence.

Elle a été arrêtée après avoir réclamé pendant la visite d’un mémorial de génocide des tutsi, la reconnaissance des victimes des massacres du Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagame.

Durant le procès elle et sa défense ainsi que les membres de son parti venus la soutenir ont été intimidés, harcelés et menacés. Plusieurs membres de son parti au Rwanda ont été arrêtés, torturés et mis en prison. D’autres ont été assassinés- ici nous citons le cas de Jean Damascène HABARUGIRA représentant local du parti, déclaré disparu début mai 2017 par sa famille. Son son corps a retrouvé torturé et yeux enlevés, quelques jours plus tard le 8 mai 2017 à l’hôpital Nyamata à Bugesera. Aucune poursuite n’a été jusqu’à présent pas menée pour que le ou les coupables répondent de leur actes. D’autres parmi lesquels Illuminée IRAGENA membre des FDU-Inkingi, sont portés disparus. Mme IRAGENA illuminée est portée disparue depuis le 26 mars 2016 et malgré les appels de sa famille, des membres de son parti et des organisations des droits de l’homme, aucune poursuite n’a été faite pour faire la lumière sur sa disparition.  Pour certains parmi lesquels Boniface TWAGIRIMANA (un des vice-présidents du parti), SIBOMANA Sylvain (secrétaire général du parti) et Léonille GASENGAYIRE (trésorière du parti), les procès sont en cours.

Elle a fait recours devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en octobre 2014 pour dénoncer le harcèlement judiciaire dont elle a été victime et les violations commises par l’État rwandais.  La cour a reconnu la violation des ses droits et a donné au gouvernement rwandais six mois pour rétablir Victoire INGABIRE dans ses droits. Mais le Rwanda avait claqué la porte en dénonçant l’instrumentalisation de la cour.

Quant au célèbre chanteur Kizito MIHIGO, il a d’abord été porté disparu pendant une semaine vers fin mars 2014. Et suite à beaucoup de bruits qui ont entouré cette disparition incriminant les services de sécurité, il est réapparu quelques jours plus tard puis arrêté. Il a été jugé et condamné à dix ans de prison le 27 février 2015. Il avait plaidé coupable et a été condamné pour conspiration contre le gouvernement.

Il était avec trois coaccusés à savoir: – le journaliste Cassien NTAMUHANGA, directeur de la radio confessionnelle Amazing Grace  condamné   à une peine de 25 ans de prison (il avait plaidé non coupable et a été reconnu coupable de formation d’un groupe criminel,  de conspiration contre le gouvernement ou le président de la République, de complicité de terrorisme, et d’entente en vue de commettre un assassinat ; – Jean-Paul DUKUZUMUREMYI condamné à une peine de 30 ans de réclusion et – Agnès NIYIBIZI acquitée.

Ils avaient été arrêtés au moment où Kizito MIHIGO avait dénoncé, dans sa fameuse chanson sur la mort, une discrimination dans la commémoration pour les morts pendant la guerre au Rwanda. Comme Kizito MIHIGO, Cassien NTAMUHANGA avait été porté disparu le 7 avril 2014. Il est réapparu puis réarrêté le 14 avril par la police rwandaise sans préciser comment et le lieu de son arrestation. Dans le procès NTAMUHANGA Cassien a dénoncé les aveux extorqués et la détention illégale.

Les trois condamnés ont tous fait appel devant la cour Suprême. Mais dans l’entretemps avec la création d’une cour d’appel entre la Cour Suprême et la Haute Cour, la loi de compétence a changé et le procès en appel reporté et renvoyé en date du 11 juin 2018 à la cour d’appel. Le prévenu Cassien NTAMUHANGA s’étant évadé et ayant quitté le pays, il ne restait dans le procès que deux prévenus. A la surprise générale, le procès a été rappelé le 10 septembre 2018 à la Cour Suprême devant laquelle MIHIGO Kizito et le coaccusé DUKUZUMUREMYI Jean-Paul présentent leur désistement.

Observation et actions demandées

Pour rappel le Rwanda n’a jamais voulu signer la convention internationale pour la protection des personnes contre les disparitions forcées adoptée le 20 décembre 2006 par l’Assemblée Générale de l’ONU, est conçu comme un instrument contraignant de lutte contre les disparitions forcées. Selon l’article 1, personne ne doit être victime de tels agissements. La Convention n’admet aucune exception. Ni la guerre, ni le risque de guerre, ni l’instabilité politique, ni aucune autre situation d’urgence ne permet de justifier la disparition de personne quelle qu’elle soit. La Convention est entrée en vigueur le 23 décembre 2010. Il a par contre signé la convention contre la torture et jamais il n’a poursuivi les membres des organes de sécurité étatique ou privé qui ont violé la convention en torturant les personnes arrêtées ou détenues.

Entre le moment de disparition et de réapparition et de ré-arrestation de personnes, la vie est entre les mains de l’autorité d’arrestation et beaucoup de choses parmi lesquelles la torture ou la mort peuvent arriver.

Le droit à un procès équitable que ce soit pour Kizito MIHIGO ou INGABIRE Victoire a été violé et leur arrestation et condamnation étaient liés à d’autres intérêts inavoués pour les faire taire et étouffer la liberté d’expression et d’opinion.

L’ODHR salue donc la libération de tous les prisonniers quels qu’ils soient (politiques, d’opinion, de conscience ou autre) Il  demande toutefois de libérer aussi d’autres prisonniers politique ou d’opinion et toute autre personne poursuivie et condamnée injustement notamment NIYITEGEKA Théoneste, candidat aux élections présidentielles de 2003, Mlle Diane RWIGARA qui a présenté sa candidature aux élections présidentielles de 2017, sa mère Adéline RWIGARA, MUSHAYIDI Déo président du parti PDP-Imanzi condamné à perpétuité, Boniface TWAGIRIMANA, Sylvain SIBOMANA, GASENGAYIRE Léonille et leur coaccusés et toutes les personnes injustement poursuivis ou condamnés.

L’ODHR demande aussi au Gouvernement rwandais de mener des enquêtes fiables sur les cas de torture, d’assassinat et de disparition des personnes citées ci-haut et d’autres personnes qui sont dans la même situation pour combattre l’impunité et la corruption ainsi que la protection partisane et le népotisme qui minent les institutions publiques et privées.

L’ODHR demande en outre d’ouvrir l’espace à la vraie opposition politique à l’indépendance de la société civile pour que tous les citoyens, dans toute leur diversité, œuvrent au développement réel et durable du pays pour la sécurité et la dignité humaine. Un développement discriminatoire qui exclut une partie de sa population est un mirage et il est porteur d’insécurité à moyen et long terme. Il mine la gouvernance équitable, l’inclusion socio-économique, la mémoire et l’environnement global d’un développement qui sont des piliers de la sécurité humaine.

L’ODHR demande enfin au gouvernement rwandais de respecter la déclaration universelle des droits de l’homme et les conventions internationales ratifiées par lui  notamment le protocole concernant les droits civils et politiques, le protocole relatif aux droits socio-économique et culturels, la convention contre la torture, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et la charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance,  ainsi que tous les instruments internationaux des droits de l’homme.

Pour l’ODHR

Laurent MUNYANDILIKIRWA

Coordinateur