Rwanda: du soudard au froussard

Ils sont de plus en plus loin les jours où les innombrables et imprévisibles éternuements du maître de Kigali faisaient trembler toute la région des Grands lacs et ainsi réunir les cellules de crise de la diplomatie occidentale. Chaque jour qui passe l’éloigne en effet de ce statut d’enfant chéri et malheureusement gâteux (The darling of the West) dont il a joui dès la réussite de son coup d’état de juillet 1994. L’algarade facile et le fusil d’assaut toujours à portée de main, le général Kagame a fini par s’imposer sur la scène internationale en inventant une diplomatie de chantage qui peut être ainsi résumée : « laissez-moi faire tout ce dont j’ai envie car vous n’étiez pas là en 1994 ». Sans blague. Et tout ce dont il avait envie fut de tout dominer autour de lui. Le disque a fait danser pas mal de ses partenaires ( 5 064 210 000 de dollars US d’aide versés entre 1995 et 2006 seulement !) jusqu’à ce que sa version M23 prouve qu’il est en train de se rayer et que tombent les premières sanctions… Le mythe Kagame avait vécu et il y a fort à parier que la situation actuelle au Nord-Kivu n’est qu’une autotomie de l’Afandie.

Autotomie. Le dictionnaire en ligne Wikipedia définit ce mot comme étant une stratégie de défense consistant à abandonner volontairement une partie non vitale de son corps (en général la queue, mais parfois un membre, de la peau…) afin d’échapper à un prédateur. La perte se produit soit lorsque la partie du corps est déjà prise par le prédateur (il s’agit alors de se libérer pour fuir) soit avant une attaque afin de créer une diversion. On l’aura bien compris, la partie non vitale du corps afandien dont s’est débarrassé le président rwandais avait pour nom le RCD Goma, mais comme la partie abandonnée peut repousser (chez le lézard par exemple), on a vu émerger le général Laurent Nkunda et son CNDP. Sacrifié lui aussi pour avoir, à un certain moment, osé refuser l’aide-ingérence des conseillers militaires du Rwanda, Kigali l’a licencié au profit d’une autre phalange, le M23 du général Jean Bosco Ntaganda. Au terme de quelques juteux trafics de minerais et d’atroces massacres, le Terminator a été mis en cage quelque part à La Haye pendant que périssait son tombeur, le général Sultani Makenga. Ce dernier aussi était connu pour sa propension à ne pas appliquer à la lettre les injonctions belliqueuses du Big Brotherd’Afandie.

Si le général Kagame a acquis la réputation d’un stratège, c’est moins grâce à la victoire sur les Far qui fut entre autre l’oeuvre d’officiers valeureux (qu’il a, un à un, assassinés par sa jalousie vis-à-vis de leur popularité) qu’à cause de ses aventures terroristes au Congo, elles-mêmes exécutées par ces soudards abusivement appelés rebelles congolais. Ils sont ceux qui, avec les sicaires de la DMI, ont concrétisé la philosophie de gouvernance de Kagame. Faire taire les Rwandais qui dénoncent les dérives et autres abus du régime pour la DMI pendant que le monde était occupé à supplier le demi-dieu pour qu’il n’occupe pas l’une ou l’autre ville du Kivu. Ainsi l’armée la plus disciplinée de l’Afrique centrale, celle pourvoyeuse des troupes aux missions de paix des Nations-Unies, s’est illustrée en s’en prenant à son propre peuple et en semant mort et désolation chez les voisins. Jusqu’aux rapports qui ont semblé ouvrir les yeux de ce que le monde compte encore d’humanistes : le Mapping report et le rapport d’experts des Nations-Unies sur le soutien du Rwanda aux hordes du M23. Dans une agitation sans précédent, le principal accusé a multiplié les dénégations jusqu’à exiger un salaire pour cesser ses interventions létales en RDC. C’était sa dernière revendication.

Ironiquement, alors que sa dernière trouvaille a été baptisée le Mouvement du 23 mars, c’est un 28 mars qui a été choisi par les Nations-Unies pour adopter la résolution 2098 suggérant des offensives « ciblées et robustes » destinées à « neutraliser » et à « désarmer » les groupes armés. Mieux, le président de l’un des pays qui contribuent à cette force a appelé Kagame à faire ce qu’il exige lui-même des Congolais : négocier avec les opposants armés. Une fois de plus, au lieu de privilégier cette voie, l’ex-chouchou des chancelleries occidentales a menacé Goma, a promis de cogner un de ses pairs et, surtout, a déclaré que ses mains le démangeaient et qu’il avait besoin d’une guerre. Give me a fight, a-t-il exactement dit. Depuis, les Forces armées de la RD Congo ont taillé des croupières au M23. La Tanzanie a quant à elle refoulé des personnes vivant irrégulièrement sur son territoire, en ce compris des milliers de Rwandais, ce qui en d’autres temps avait valu à un autre voisin une rébellion-clé en main en plus d’une réclamation concernant la tenue d’un Berlin bis. Quel prétexte inventer donc aujourd’hui pour re-envahir le Kivu ?

Y aller ouvertement en toute inconscience ? Non, ce serait du suicide : militairement Tanzaniens, Sud-africains et Malawites guettent. Créer une autre rébellion ? Non elle risque de connaître le sort du mort-né du colonel Jules Mutebusi auquel les Banyamulenge ont nettement signifié, en mai 2004, leur désintérêt à ces opportunismes. Bombarder son propre territoire/peuple et accuser l’armée congolaise ? La supercherie ne passe plus. Même l’hebdomadaire Jeune Afrique toujours si prompt à relayer la propagande afandiste s’est rendu à l’évidence en écrivant : « Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a confirmé que les rebelles du M23 avaient tiré en direction du territoire rwandais, malgré les affirmations de Kigali mettant en cause les forces gouvernementales congolaises ». A court d’idées, les techniciens du régime en sont aujourd’hui à kidnapper des militaires congolais, toujours à la recherche d’un casus belli que leur a ôté leur toute dernière autotomie. 2013 sera-t-elle l’année qui a vu le grand soudard devenir le grand des froussards ? Ce serait de bonne… guerre puisque, comme le disait François Mauriac, « la peur est le commencement de la sagesse ».

Cecil Kami