RWANDA : L’ODHR CONDAMNE LES ASSASSINATS CONTINUS D’OPPOSANTS POLITIQUES ET DES VOIX CRITIQUES AU RWANDA

Paris le 16 mars 2019
La ligne rouge pour être assassiné ou disparaitre

L’ODHR a appris que vendredi le 08 mars 2019, M. Anselme MUTUYIMANA a été assassiné.Son corps a été retrouvé samedi le 09 mars dans la forêt de Gishwati au nord-ouest du Rwanda. M. Anselme MUTUYIMANA était membre du parti FDU INKINGI et conseiller de Mme Victoire INGABIRE UMUHOZA Présidente du Parti, elle-même libérée en septembre 2018 après huit ans de prison arbitraire. Il avait été arrêté dans une gare par les agents de la policequi l’avait emmené quelques heures avant qu’on retrouve son corps le 09 mars dans la forêt. La police rwandaise a procédé à des manœuvres de diversion et d’intimidations sur lesproches, les amis, les membres, et les sympathisants du parti pour les empêcher de se rendreen masse à l’enterrement de ce responsable politique.

M. Anselme MUTUYIMANA avait rejoint le parti FDU Inkingi très jeune (21 ans). Arrêté le 15 septembre 2012 chez lui, à Rutsiro, par la police pour appartenance à une organisation politique illégale, il avait passé 6 ans en prison et n’avait été libéré qu’en 2018.

La législation rwandaise abolit la peine de mort. La loi pénale punit aussi l’assassinat, lemeurtre et les disparitions forcées. Mais les assassinats et les disparitions des opposantspolitiques, des journalistes et d’autres personnes qui défendent leurs droits ou les droits d’autrui sont devenus le lot quotidien des populations au pays des mille collines, et ce dans l’impunité la plus total.

Tout porte à croire que ces assassinats et disparitions sont diligentés par les organes publicsau sommet de l’État qui ne peut diligenter des enquêtes contre ses propres agents. Ce quiexplique des enquêtes expédiées ou partielles ou partiales et l’impunité. Dans le présentdocument, nous présentons brièvement et exclusivement les exécutions sommaires et desdisparitions des personnes porteuses de voix critiques. Beaucoup d’autres cas d’exécutionssommaires ont été rapportés mais ne feront pas l’objet du présent rapport.

Dans son allocution lors de la retraite gouvernementale annuelle qui s’est tenue à Gabiro dansle Nord Est du Pays entre le 09 et le 12 mars, le Président de la République, M. Paul KAGAMEindiquait qu’il est reproché au Gouvernement Rwandais d’assassiner ses citoyens. Et il l’a confirmé dans un contexte de tension entre la Rwanda et l’Ouganda en reconnaissant l’assassinat de Seth SENDASHONGA à Nairobi le 16 mai 1998. Il a indiqué qu’il a été assassiné parce qu’il aurait dépassé la ligne rouge. Selon ses propos, il se serait rapproché des générauxougandais pour déstabiliser le pays et c’est ce qui expliquerait son élimination.

Cet assassinat est intervenu dans la même période et dans le même contexte que celui du Colonel LIZINDE Théoneste et BUGIRIMFURA (homme d’affaires rwandais) à Nairobi au Kenya.Le Colonel LIZINDE comme préfet de la préfecture de Byumba occupée par le FPR à partird’avril 1994 et Seth SENDASHONGA Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement du FPR etmembre du FPR venaient d’exprimer, par voie de presse, leur volonté de témoigner sur les exactions commises par l’armée de l’APR dans le pays et particulièrement dans la zone occupée depuis octobre 1990 jusqu’à leur départ en exil. Ne faudrait-il pas plutôt voir la ligne rouge dans ce contexte?

L’assassinat de MUTUYIMANA Anselme est intervenu quelques heures seulement avant son discours. D’autres membres du parti d’opposition FDU Inkingi dont le Gouvernement Rwandais a jusqu’ici refusé l’enregistrement ont été assassinés ou portés disparus dans desconditions que le Gouvernement Rwandais a refusé d’élucider malgré les appels desorganisations nationales et internationales.

Il s’agit de : Mme IRAGENA Illuminée (infirmière), disparu le 26 mars 2016 alors qu’elle se rendait à son travail à l’hôpital Roi Fayçal à Kigali ; M. TWAGIRIMANA Boniface (Vice -présidentdu parti) disparu en octobre 2018 alors qu’il était détenu dans une prison de haute sécuritéde Mpanga ; Jean Damascène HABARUGIRA, un représentant local du parti FDU-Inkingi àNgoma à l’Est du Pays, porté disparu début mai 2017 mais dont le corps a été retrouvé le 8 mai 2017 sur contact de l’hôpital de Nyamata au Bugesera.

D’autres membres du parti, parmi lesquels INGABIRE Victoire UMUHOZA Présidente du partiont été harcelés, intimidés ou arrêtés pour avoir exercé leur liberté d’association et d’expression sans peur et leur droit de participer à la gestion du pays. Les autres sontnotamment GASENGAYIRE Léonille, Trésorière adjointe, Fabien TWAGIRAYEZU représentant de la mobilisation et Gratien NSABIYAREMYE commissaire adjoint qui ont été arrêtés dans lafoulée des élections présidentielles d’Août 2017.

Des membres d’autres formations politiques assassinés ou portés disparus

Les membres des partis politiques qui ne sont pas satellites du FPR parti au pouvoir sont harcelés, intimidés, assassinés ou portés disparus.
André Kagwa RWISEREKA, Vice-Président parti Démocratique des Verts a été retrouvé décapité le 14 juillet 2010, un mois avant les élections présidentielles et aucune lumière n’a été faite jusqu’à ce jour. Le secrétaire national du Parti chargé des questions d’organisation,M. Jean Damascène MUNYESHYAKA, secrétaire national du Parti Démocratique des Verts est porté disparu depuis le 27 juin 2014 et aucune enquête n’a jamais expliqué les circonstancesde sa disparition.

Tentative d’assassinat du Général Kayumba Nyamwasa et assassinat du Colonel Patrick KAREGEYA : Les deux militaires recevaient régulièrement les menaces du Gouvernement de Kigali.
Le général Faustin Kayumba Nyamwasa, a fait l’objet d’une tentative d’assassinat le 19 juin àJohannesburg, pendant que les yeux était braqué sur MUNDIAL de football qui avait lieu en Afrique du Sud. Kayumba et sa famille ont directement mis en cause les services derenseignements de Kigali. Il a été compagnon d’arme de M. KAGAME Paul dans l’armée du Front Patriotique Rwandais et chef d’Etat major de l’armée rwandaise. Il est réfugié enAfrique du Sud depuis février 2010 et depuis il reçoit régulièrement les menaces du Gouvernement de Kigali. Il est fondateur du Rwanda National Congress (RNC), un partid’opposition en exil.

Le 1er janvier 2014 le Colonel Patrick KAREGEYA a été assassiné. Ancien compagnon d’armede M. KAGAME Paul, il a dirigé les services de renseignement extérieurs du Rwanda et était un des membres fondateurs du parti du Rwanda National Congress (RNC). Son corps a étéretrouvé étranglé dans une chambre d’hôtel à Johannesburg, en Afrique du Sud.

Le 12 janvier 2014, le président rwandais Paul Kagame a tenu des propos de jubilation sur son assassinat devant un public assemblé pour une prière à Kigali et qui l’acclamait. Ces proposavaient suscité des réactions critiques de la part des plusieurs organisations de défense des droits humains ainsi que par certains États influents de la communauté internationale.

Disparition du Parlementaire Dr Léonard HITIMANA et du Colonel Augustin CYIZA : Les cas de disparitions du Député Leonard HITIMANA du Parti MDR (parti dissous) pendant le Gouvernement de transition et du Colonel CYIZA Augustin -ex militaire des FAR- (des forcesarmées rwandais de l’ancien gouvernement) qui avait rejoint l’APR (armée patriotique rwandais de la rébellion) n’ont jamais été élucidés. Le gouvernement de Paul KAGAME n’a jamais bougé malgré les dénonciations de son silence. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés.Leurs cas ont été soumis dans les rapports alternatifs au Comité des Nations Unis contre la Torture (CAT) en 2011 et en 2017 par la FIDH et d’autres organisations internationales.

Juste avant la fin du Gouvernement de transition, en 2001, l’ancien Président de la République Pasteur BIZIMUNGU, forcé de démissionner, a tenté de créer un parti politique nommé Parti du Renouveau Démocratique (PDR) UBUYANJA. Lui et ses partisans ont été menacés, harcelés, arrêtés et mis en prison ou assassinés. Le cas le plus connu est celui de Gratien MUNYARUBUGA (membre de ce parti) qui a été assassiné en pleine journée à Kigali endécembre 2001. Jusqu’ici les circonstances de sa mort n’ont jamais été élucidées.

Des Défenseurs des droits de l’homme, Avocats, et Journalistes sont aussi des cibles

Des Défenseurs des droits de l’homme sont intimidés, menacés, harcelés ou assassinés : lecas qui a fait l’objet d’attention depuis Juillet 2013 est celui de l’assassinat de GustaveMAKONENE, employé de Transparency International Rwanda à Rubavu (ancien Gisenyi ). Son corps a été retrouvé étranglé, le 17 juillet 2013, sur la rive du lac Kivu. Il travaillait sur des allégations de corruption et de contrebande des minerais impliquant les membres haut gradésde l’armée et de la police. La dénonciation par les organisations internationales del’enlisement de l’enquête judiciaire sur cet assassinat a abouti à l’arrestation de deux policiersmais de rang inférieur (2 caporaux). Ils ont reconnu son meurtre et leur implication dans de la contrebande de minerais depuis la RDC. Ils ont été condamnés à 20 ans de prison (peine moinslourde par rapport à la gravité et circonstances de l’assassinat par des personnes détenteurs de l’autorité). L’enquête a été certainement close sans aller au bout de la chaîne des membres haut gradés des forces de sécurité (armée et police) impliqués.

Des avocats sont aussi concernés : Disparition suivi d’assassinat de Me MUTUNZI Donat : porté disparu le 13 avril 2018 par sa famille, la police annonce sa mort par suicide dans les locaux de police de Ndera au Rwanda le 23 avril 2018, moment où la police reconnait son arrestation. Les membres de sa famille proche ont constaté lors de la remise du corps parl’hôpital de police, des faits de tortures et ont été intimidés, menacés et harcelés pour ne pas divulguer et dénoncer ces faits. Ils ont beaucoup été intimidés dans le processusd’enterrement, harcelés, surveillés et pris en filature jusqu’au moment où ils ont pris le chemin de l’exil. Me MUTUNZI Donat, avocat au Barreau du Rwanda, était dans le processusd’inscription et d’enregistrement des avocats auprès de la Cour Pénale Internationale (CPI).

Des journalistes assassinés : Assassinat de Jean-Léonard RUGAMBAGE le 24 juin 2010- il était le rédacteur en chef adjoint du bimensuel Umuvugizi. Il a été tué par quatre balles tirées à bout portant, devant son domicile de Kigali. Il enquêtait sur la fusillade du 19 juin 2010 quiavait visé KAYUMBA Nyamwasa, ancien compagnon d’arme de Paul KAGAME et ex chef d’Etatmajor de l’armée rwandaise en exil en Afrique du sud. En octobre 2010, deux suspects ont été reconnus coupables de cet homicide mais la piste d’assassinat politique qui aurait conduit à de vrais commanditaires n’a pas été investiguée.

Le 30 novembre 2011, Charles INGABIRE, éditeur du site Internet Inyenyerinews.org a été assassiné à Kampala où il était réfugié depuis 2007, après avoir ouvertement critiqué le régime de Paul Kagame.

Disparition du blogueur Jean de Dieu NDAMIRA : Il est disparu depuis le 09 mars 2018. Aucunsigne de vie de sa part ni de la part de ses proches ou de ses amis n’a été depuis lors enregistré.NDAMIRA était originaire de Kimisange dans la Ville de Kigali et résidait à Nairobi au Kenya. Sadisparition a été signalée lorsqu’il était parti à Kigali pour renouveler son passeport.

Dans l’alerte lancée par ODHR, il était indiqué qu’il était parti vendredi le 02 mars 2018 à Kigalipar bus via Kampala pour renouveler son passeport. Il est arrivé à Kigali samedi 03 mars 2018 vers 02H00. Mais depuis le 9 mars 2018, il n’a plus fait signe de vie.

Tel que le pouvoir de Kigali est connu, toutes ces situations d’assassinats et de disparitions, n’auraient pas lieu si elles étaient le fait d’individus isolés et non acquis au régime. Mais lerégime de Kigali veut présenter une autre image de sa gouvernance à l’extérieur alors qu’à l’intérieur, il prive ses citoyens d’un élément essentiel pour leur dignité – la liberté de parler sans la terreur dans les yeux.

Les hommes d’affaires influents sont aussi visé: La mort simulée en accident de RWIGARAAssinapol, homme d’affaires Rwandais à Kigali a suscité aussi beaucoup de réactions de sa famille et des rwandais. RWIGARA Assinapol était parmi l’un des grands financiers du FPR partiau pouvoir mais tombé en disgrâce après l’arrivée au pouvoir de KAGAME Paul. Il est décédé le 04 février 2015 et sa famille conteste la version officielle de l’accident. Sa mort a été suivie par la destruction par l’Etat de certains de ses biens immobiliers et la vente aux enchères de ses propriétés industrielles. Sa fille RWIGARA Diane a tenté de présenter sa candidature aux présidentielles qui a été rejetée. Elle a été menacée, harcelée puis arrêtée et mise en prison avec sa mère pour avoir osé dénoncer des situations de violations des droits de l’homme et la liberté de parler sans peur. Elles ont été libérées en novembre 2018 après plus d’un an passéen prison arbitrairement.

En conclusion :

Dans ce contexte, que le Gouvernement de Kigali indique clairement aux proches et aux Rwandais la ligne rouge dépassée par ces personnes assassinées ou disparues et pourquoi le dépassement de cette ligne signifie un arrêt de mort bannie dans et par la loi rwandaise. Ces personnes exerçaient les droits leur reconnus par la constitution et les instrumentsinternationaux des droits de l’homme ratifiés par l’Etat Rwandais parmi lesquels la liberté d’association, d’expression ou le droit à participer à la gouvernance de leur pays.

L’ODHR déplore le manque de transparence du gouvernement rwandais dans ces situationsalors qu’il doit être garant de la protection, de la sécurité et d’égal accès à la justice de tousles citoyens rwandais sans discrimination.

L’ODHR félicite tous les organisations et médias qui, en toute indépendance dénoncent cessituations de violations des droits de l’homme au Rwanda et interpellent l’Etat Rwandais pour qu’il remplisse ses obligations de garant de la vie et de la sécurité de ses citoyens.

Il déplore néanmoins, le silence et la complaisance des partis politiques au niveau national, des médias et de la société civile qui renoncent à leur mission de porter la voix du peuple pour que le gouvernement rwandais respecte ses responsabilités.

L’ODHR demande aux missions diplomatiques au Rwanda, aux organisations internationales ainsi qu’aux partenaires de l’État Rwandais d’interpeller le gouvernement pour qu’il cesse de terroriser et de tuer ses citoyens et d’autoriser des enquêtes indépendantes internationalessur ces assassinats.

L’ODHR demande au Gouvernement rwandais de respecter le droit à la vie, de cesser deterroriser ses citoyens, d’ouvrir l’espace politique à une vraie opposition et l’espace libre pourdes médias et une société civile indépendante porteuses des aspirations de la population afin de contribuer au développement réel du pays et pour une vraie démocratie vivante et participative.

Pour l’ODHR

MUNYANDILIKIRWA Laurent