Rwanda : où se trouve la dépouille de Dominique Mbonyumutwa ?

Marie-claire Mukamugema, fille-aînée de Dominique Mbonyumutwa, n’a cessé de mener un combat pour une sépulture digne pour son père, premier président du Rwanda. Elle vient d’adresser une lettre au Premier ministre rwandais pour lui demander où a été inhumée la dépouille de Dominique Mbonyumutwa après que sa tombe eût été vandalisée « légalement » par les envoyés du FPR, parti au pouvoir au Rwanda.

 

Mukamugema Marie-Claire
Avenue de la Gazelle 50/05
1180 Bruxelles
Bruxelles le 20.08.2012
Monsieur le Premier Ministre
De la République Rwandaise
Kigali- RWANDA

Monsieur le Premier Ministre,

Concerne : Vandalisme contre la tombe de mon père Mbonyumutwa Dominique inhumé par l’Etat rwandais au stade de la Démocratie de Gitarama

Par la présente je viens vous rappeler mon courrier du 13 décembre 2010 et vous décrire le long chemin enduré pour qu’un jour une sépulture correcte et définitive soit donnée à feu Mbonyumutwa Dominique.

Mon père, Dominique MBONYUMUTWA qui fut le premier président de la République Rwandaise en 1961 est décédé en 1986. Il a eu droit aux funérailles officielles.

Après la cérémonie officielle, sa dépouille a été inhumée dans le stade où, en 1961, il a été élu président de la République Rwandaise fondée le même jour du 28 janvier 1961.

Depuis ce jour, malgré quelques travaux d’entretien du lieu, sa tombe est restée dans l’anonymat total, pas de plaque funéraire, pas de nom sur la tombe.

En tant que sa fille et à titre personnel, j’ai fait tout ce que je pouvais avec mes modestes moyens pour essayer de ne pas accepter cet état déplorable comme une fatalité.

Je livre ci-dessous un bref témoignage sur mon état d’esprit et mes actions sur ce sujet.

1. Période allant de sa mort à l’année 1994

Mon père est décédé le 26 juillet 1986 à l’hôpital universitaire de Gand (Belgique). Comme de coutume et conformément à ses droits, sa famille s’apprêtait à l’inhumer dès son retour au Rwanda à un endroit choisi par elle, avec l’intention de continuer à entretenir sa tombe dans le respect et le devoir des enfants.

L’Etat rwandais décida par la voie du Président de la République de l’époque, Juvénal Habyarimana, de rendre un hommage national et officiel au défunt en sa qualité de premier Président de la République Rwandaise.

Un deuil national de 3 jours fût alors décrété et des funérailles officielles furent organisées en présence du Président de la République et du Corps Constitué.

Cependant, le choix du lieu dans lequel le corps devait reposer (un stade public) laissa beaucoup de rwandais et moi-même perplexes. Malheureusement toute discussion à ce sujet fut non avenue.

Toutefois, quelques temps après les funérailles, j’ai dû constater avec grand regret que la tombe se trouvait dans un anonymat total, n’était pas protégée et manquait cruellement d’entretien. Le fait de ne justifier d’aucun droit pour m’en occuper me meurtrit et je passais outre souvent.

Ne pouvant me résigner à l’idée de laisser la tombe de mon père dans cet état, j’ai alors décidé d’interpeller les autorités de mon pays afin de les mettre devant leurs responsabilités.

– Le 2 avril 1992, j’ai écrit au Ministre des Travaux Publics lui rappelant les obligations de l’Etat quant à l’identification, la protection et l’entretien de la tombe de Dominique MBONYUMUTWA.

– Le 11 avril 1992 le ministre de l’enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Culture a adressé un courrier au Ministre des Travaux Publics et de l’Energie lui demandant de s’occuper de la Protection des Tombes de RUDAHIGWA et de MBONYUMUTWA.

– Le 15 avril 1992, le Ministre m’a répondu m’affirmant qu’il s’engageait à effectuer les travaux d’aménagement et d’entretien nécessaire pour fin juin 1992 au plus tard. Ces travaux furent décrits de manière extrêmement détaillés dans son courrier.

– Le 15 février 1993, constatant et ne sachant pas lui-même donner réponse à ce manque de statut, le préfet de Gitarama a écrit au Ministre des Travaux Publics l’informant que les promesses de travaux pour fin juin 1992 n’avaient pas du tout été tenues et lui demandait de bien vouloir honorer son engagement.

– Le 31 mars 1993 j’ai écrit aux plus hautes autorités du pays et aux responsables locaux pour les informer de la situation et de l’action judiciaire déjà mue en date du 14 janvier 1993

Forcée de constater l’inaction manifeste des autorités, j’ai demandé l’arbitrage des Tribunaux de l’Etat rwandais en ce qui concernait la légalisation de la tombe de mon père, pour que le lieu où Dominique Mbonyumutwa avait été inhumé soit officiellement affecté à sa sépulture et, d’autre part, que les travaux d’aménagement (visant à identifier et protéger la tombe) ainsi que ceux d’entretien soient réalisés.

Sinon céder les lieux à la famille pour qu’elle s’en occupe.

– Le 28 avril 1993, le Tribunal de 1er Instance de Kigali a condamné l’Etat rwandais, représenté par le Ministère des Travaux Publics, à aménager, entretenir et protéger la tombe de feu MBONYUMUTWA Dominique au Stade de la Démocratie à Gitarama. L’Etat rwandais ne fit pas appel du jugement. Malgré cette condamnation sans équivoque, rien ne bougea jusqu’aux dramatiques événements de 1994.

2. La tombe et le gouvernement actuel

De mon exil forcé depuis 1994 (comme des millions de Rwandais), je n’ai pas pu suivre le devenir de la tombe de mon père pendant plusieurs années. Parfois, au milieu des années 2000, je recevais des échos de l’état d’abandon et de délabrement dans lequel elle se trouvait et je me débrouillais avec les amis qui sont restés au pays pour évacuer les encombrants qu’on y entassait.

Le 17.03.2010 j’ai envoyé un fax au Premier Ministre de la République Rwandaise qui préparait la privatisation du stade de la Démocratie lui signalant l’affaire R C n° 20129/93

Le 26 mai l 2010, par Arrêté du Premier Ministre n°30/03 (publié au journal officiel 49ème année n°spécial Bis du 26 mai 2010), l’Etat rwandais décide de transférer le stade de la démocratie et, partant, la tombe de mon père, du domaine public au domaine privé.

Les rumeurs et les échos de la presse qui m’étaient parvenus 25 jours avant furent officialisés par cet arrête qui stipulait en second lieu que son application entre en vigueur le jour de sa publication soit le 26 mai 2010.

Les rumeurs et les échos de la presse disaient que dans la nuit du 1er mai au 2 mai 2010 la tombe de MBONYUMUTWA Dominique avait été ouverte et que sa dépouille avait été emportée.

Le 13 décembre 2010, j’ai écris au Premier Ministre à l’époque Monsieur Bernard MAKUZA lui rappelant que cet acte de profanation est contraire à la décision prise par la justice rwandaise le 28 avril 1993 ordonnant à l’Etat rwandais de protéger, aménager et entretenir la tombe de feu Dominique MBONYUMUTWA au stade de la démocratie à Gitarama que je lui avais faxé le 17.03.2010.

J’étais en droit de demander le lieu où avait été transféré la dépouille de mon père (et j’ai recommandé la lettre via l’ambassade du Rwanda à Bruxelles).

En guise de réponse, je fus invitée par un courrier de l’ambassadeur du 7 janvier 2011 à un entretien avec le premier conseiller de l’ambassade du Rwanda en Belgique. Estimant que mon courrier au Premier Ministre méritait une réponse écrite de sa part j’ai décliné l’invitation par ma réponse du 27 janvier 2011. Depuis lors, le dossier est au statu quo.

Conclusion

Ma demande principale actuellement est que Vous Monsieur le Premier Ministre vous veuillez m’indiquer où se trouve la dépouille de mon père Mbonyumutwa Dominique qui fut premier président de la République Rwandaise.

Que l’Etat rwandais identifie sa tombe, la protège et l’entretienne comme il s’y est engagé et comme la justice l’a décidé dans l’affaire RC n° 20 139/93.

Les gouvernements se succèdent mais l’Etat reste !

Le combat pour une sépulture correcte et définitive de mon père est de mon devoir et de mon droit.

Je dis merci à toute personne qui m’aide à y parvenir.

Lors de mon interview de demande d’asile dans ma nouvelle patrie j’ai signalé que la tombe de mon père sera vandalisée par les nouvelles autorités du pays parce que j’avais entendu des menaces de ce genre depuis 1964.

La volonté de gommer une partie de l’histoire du pays est à la base du refus de réponse de la part du Premier Ministre Rwandais.

Peut-on être tranquille dans son âme lorsque l’on sait que son père n’a pas une sépulture correcte et définitive ? Peut-on trouver la quiétude lorsque l’on ne sait même pas où se trouve la dépouille de son père ?

En ce qui me concerne, la réponse à ces deux questions est clairement non.

Cela fait 26 ans que je vis douloureusement la première situation et bientôt 3 ans que je suis de surcroît indignée et scandalisée par la seconde.

MUKAMUGEMA Marie Claire

Musabyimana.net