Rwanda:assassinat politique de l’artiste Kizito Mihigo

Par LADY K

Ce lundi 17 février 2020, le monde a appris avec stupeur le décès de Kizito Mihigo, célèbre chanteur de gospel rwandais également rescapé du génocide de 1994 au Rwanda. La diaspora rwandaise pleure l’enfant prodige du gospel rwandais, le prophète de la réconciliation.

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Kizito Mihigo, etait un prodige de la chanson gospel très populaire au Rwanda. Née le 25 juillet 1981 à Kibeho ( ville du sud du rwanda où il y’a eu plusieurs apparitions mariales de 1981 à 1989), il survit au génocide de 1994 mais devient orphelin. 

En 2001, il arrive à Paris grâce au soutien financier du président Paul Kagamé et suit une formation musicale au conservatoire de musique de Paris. Il suit notamment les cours d’orgue et de composition de Françoise Levechin-Gangloff.

Il participe à la composition de l’hymne national du Rwanda. En 20 ans, Kizito Mihigo a composé plus de 400 chansons à travers lesquelles, il prône la réconciliation et la paix.

Tout au long de sa vie, Kizito Mihigo a milité pour la paix et la réconciliation. A Bruxelles, Il organisait souvent des messes concert pour la paix en Afrique, pour les victimes de toutes sortes de violence dans le monde. En 2010, Kizito Mihigo crée la fondation Kizito Mihigo pour la paix qui a pour but de promouvoir la paix et la réconciliation au Rwanda. La fondation ambitionne d’éduquer la jeunesse aux valeurs de paix et de réconciliation par la création de clubs de paix. L’artiste va visiter les prisons avec sa fondation et cherche à susciter un débat avec les prisonniers sur les crimes commis et y créer des clubs de dialogue ou clubs de transformation de conflits. 

Kizito Mihigo reçoit une récompense de Jeannette Kagamé, première dame du Rwanda pour ses activités pour la paix. En 2013, l’office rwandais de gouvernance classe la fondation Kizito Mihigo pour la paix parmi les 10 meilleures ONG locales ayant favorisé la bonne gouvernance. Le président Paul Kagamé présente l’artiste comme un modèle à suivre par les jeunes rwandais. C’est une personnalité très respecté par le peuple et le pouvoir. Il est souvent invité pour chanter lors des commémorations, lors des cérémonies officielles au parlement et pour chanter l’hymne nationale devant les chefs d’états et hauts dignitaires. 

En mars 2014, le chanteur sort la chanson intitulée Igisobanuro cy’urupfu ( la signification de la mort) dans laquelle il dit notamment  » je suis rescapé du génocide mais ce n’est pas pour autant que j’ignore la souffrance des autres. La mort n’est jamais bonne, que ce soit du génocide, de la guerre ou des vengeances « . Il réclame la compassion pour toutes les victimes dont celle du génocide mais aussi des vengeances. Le chanteur dit également  » soyons humains avant d’être rwandais « . Il fait une critique au programme « Ndi Umunyarwanda (Je suis rwandais) ». Ce programme lancé par le gouvernement rwandais en 2013 oblige toute la population Hutu à demander pardon pour son rôle dans le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994.

L’artiste déclenche la colère du pouvoir. Cette chanson est rapidement interdite au Rwanda et aussitôt effacée sur youtube. 

Celui qui était l’enfant chéri du régime de Paul Kagamé devient soudain un ennemi du pays. Le 07 avril 2014, lors de la 20ème commémoration du génocide, le chanteur est porté disparu .Alors que la police avait nié pendant plusieurs jours détenir le chanteur, le site wikileaks révèle que le chanteur avait disparu depuis le 04 avril 2014 soit 10 jours avant l’annonce officielle de l’arrestation. 

 Officiellement, il est accusé d’avoir planifié des attaques terroristes et d’avoir collaboré avec les forces démocratiques de libération du rwanda    ( FDLR)et le parti politique Rwanda national congress ( RNC) pour renverser le gouvernement. Le RNC dément. Ses avocats dénoncent l’absence de preuves pour étayer les accusations du procureur. Selon Colette Braeckman, auteur de nombreuses ouvrages sur le Rwanda et la région des grands lacs, il est difficile de croire que le chanteur soit de mèche avec les FDLR Interviewée par Le nouvel observateur, elle analyse l’arrestation du chanteur comme une démonstration d’un malaise en interne: « Quelque chose d’autre se trame sans doute, dont nous ne savons rien parce que tout le monde se tait, comme c’est souvent le cas au Rwanda » déclare la journaliste belge responsable de l’Afrique centrale chez le quotidien Le soir. Le 27 février 2015, il a été condamné à 10 ans de prison, après avoir été reconnu coupable de conspiration contre le gouvernement du président Paul Kagame. Le 14 septembre 2018, il sera libéré par la grâce présidentielle au côté de Victoire Ingabire, grande figure de l’opposition rwandaise en exil. 

Le 13 février 2020, les réseaux sociaux relaient la disparition du chanteur. Le 14 février 2020, la police judiciaire ( BIR) confirme l’arrestation du chanteur. Officiellement, il aurait été arrêté en voulant traverser la frontière avec le Burundi pour aller rejoindre une milice armée. Les photos diffusées par la police montrent un homme muni de valise et vêtu pour voyager normalement. Ce n’est pas l’image de quelqu’un fuyant clandestinement. L’artiste etait encore sur le territoire rwandais lorsqu’il a été arrêté. Kizito Mihigo a toujours pratiqué la musique, il n’avait aucune compétence militaire. L’argument selon lequel il aurait voulu rejoindre une milice armée au Burundi n’est pas convaincant.

Le 17 février 2020, La police a annoncé par un communiqué le décès de Kizito Mihigo retrouvé mort dans sa cellule à la station de police de Remera vers 5h00 du matin. La nouvelle a provoqué une onde de choc dans la population et les médias. Sur les réseaux sociaux, la diaspora rwandaise a rendu hommage à l’artiste qui était un modèle de résilience et qui croyait ardemment à la réconciliation. De nombreux messages de condoléances et les chansons marquantes de l’artiste ont afflué sur les différentes plateformes. 

Les médias locaux et internationaux ont relayé la mort de l’artiste et les circonstances suspectes de son décès. Vincent Hervouet, journaliste de la radio Europe 1 doute également de la thèse du suicide soutenue par le régime de Paul Kagamé, il affirme que le régime à tué l’artiste. 

En 2020 au Rwanda, on meurt encore en détention. La presse internationale , les activistes locaux, les partis d’opposition et les ONG de défense dénoncent régulièrement les détentions illégales, les assassinats et disparition d’opposants, journalistes, étudiants, entrepreneurs. Kizito Mihigo rejoint la longue liste des citoyens assassinés pour avoir osé penser et dit quelque chose qui allait à l’encontre de l’idéologie d’un régime.