Rwanda/Briques d’Afandie : entre séduction et destruction

Cela va faire deux décennies que la fierté du régime afande se résume principalement en un fatras de chiffres qui sur la croissance économique, qui sur la représentation des femmes, qui sur la réduction de la pauvreté, etc. Et dire que pendant tout ce temps, il y en a qui ont vraiment voulu croire en la crédibilité de ces statistiques. Pourquoi ? Parce que 1) la machine de propagande du régime, véritable ministère du mensonge, fonctionnait à plein régime et que 2) les plus crédules ne voyaient que Kigali la capitale (plutôt ses nouveaux buildings), ignorant paresseusement la réalité du dénouement incroyable qui meuble « l’arrière-pays ». La propagande a toujours pignon sur rue et continue de séduire, mais l’entêtement de certains faits est en train de résolument amenuiser la masse des pires aveugles, ceux qui ne veulent pas voir.

Ibingira. Le nom de cet officier général de Kagame est devenu tristement célèbre à la faveur de son illettrisme supposé, mais surtout des divers crimes qu’avec ses militaires il a commis, de Gakurazo à Kibeho (au moins 8000 morts). Tout cela est aujourd’hui très bien documenté même si la seule sanction qu’a eue à supporter cet homme est une « amende » de 30 dollars payés suite à sa pseudo condamnation, elle-même consécutive à la boucherie de Kibeho[1]. Ce qui est par contre moins connu, c’est le cynisme jubilatoire qui accompagna ce bidasse lors de sa conquête de Gitarama (aujourd’hui Muhanga). Partout où il passa, il ne pouvait être question de laisser une brique sur l’autre, non. Ce tourlourou a en effet ordonné à ses subalternes de dynamiter tous les immeubles avec au moins un étage dans la ville de Gitarama.

Rujugiro. Au terme de la conquête de tout le pays (le camp d’Ibingira parle de « libération »), la reconstruction débuta et l’on vit sortir de terre les immeubles qui font aujourd’hui office de poudre aux yeux de tous ceux qui ne savent pas. Que derrière cette « renaissance » se trouve une pieuvre (Crystal Ventures) qui rafle quasi tous les marchés de construction, en fait tous les marchés tout court. Que cette pieuvre est télécommandée par le PTD (le propriétaire de tous les dossiers) sans la bénédiction duquel l’on ne peut rien entreprendre au Rwanda. Le « pauvre » richissime Rujugiro Tribert, anciennement grand financier du même PTD, l’apprendra à ses dépens : il s’est carrément vu exiler suite aux démêlés avec les ventouses de la pieuvre. Au passage, il se verra confisquer l’UTC, un centre commercial d’environ 15 millions d’euros…

Rwigara. Moins chanceux que Rujugiro, Assinapol Rwigara dont la contribution pécuniaire a fait, selon certains membres de sa famille, de Kagame qui il est aujourd’hui. Ayant lui aussi voulu résister à la cupidité de la pieuvre, il s’est, dans un premier temps exilé, puis est rentré, croyant pouvoir trouver un terrain d’entente avec les mandataires du régime. Cette erreur d’appréciation lui coûtera la vie un soir de février 2015. Anne Rwigara, sa fille, expliquera que la mort de son père n’a rien à voir de l’accident de voiture maladroitement maquillé par les assassins de la Directorate of Military Intelligence. A la radio rfi, elle tiendra ces propos : « C’est un homme qui travaillait pour lui-même. Qui a travaillé dur pour avoir tout ce qu’il avait aujourd’hui. Donc en regardant les faits des événements précédents, on sait que ce sont des gens hauts placés qui lui en ont toujours voulu pour tout ce qu’il avait accompli ».

Voilà donc, en quelques séquences comment la brique est devenu, en seulement vingt ans, un outil de séduction aussi bien que de destruction au royaume des afande. Ces immeubles qui font dire que le Rwanda progresse s’érigent en effet sur les cendres des destructions causées par les gros bras du régime. Et lorsque quelques Rwandais essaient de prendre part à cette entreprise, ils heurtent un mur fait des bras d’une pieuvre qui ne leur laisse que trois options : se laisser dépouiller, s’exiler ou mourir. Et là, l’on n’évoque que les cas des ex-proches du régime ; pour le citoyen lambda le cauchemar est tout simplement inénarrable[2]. Encore que même la mort des concernés ne suffit plus à assouvir la soif de la pieuvre : lorsqu’elle n’ordonne pas une vente aux enchères des biens convoités[3], elle les détruit. Comme justement cet hôtel de Rwigara…

L’économiste Jacques Attali disait un jour que « Quand vous êtes sur la côte et que vous regardez les vagues, il y en a qui sont loin, mais elles arrivent » ; celles que les admirateurs d’Afandie croient encore être si loin se rapprochent pourtant et très rapidement au point qu’elles pourront, tel un tsunami, emporter cette fierté de briques. Si rien ne change.

Cecil Kami

[1] “They were sentenced to twenty-eight months in prison, of which they were said already to have served twenty-four, and were fined about $30. In both trials, the prosecutors presented weak cases, tapping very little of the abundant evidence available”.

Human Rights Watch, Human Rights Watch World Report 1998 – Rwanda, 1 January 1998

[2] Souvenez-vous lorsqu’en décembre 2011 le régime, par la voix de Jules Ndamage (un des responsables de Kicukiro) a ordonné à tous les riverains de la route Kicukiro-Nyamata-Nemba à détruire leurs habitations et d’ériger à la place de ces dernières des bâtiments à… au moins cinq étages !

[3] Quelques-uns des établissements hôteliers qui seront vendus aux enchères: Eldorado, Alpha Palace, Carl Hotel, Grace Apartments, Gulf Hotel, Eden Hill Hotel, Karisimbi Hotel na Sinai Suites.