Rwanda:Clins d’œil

Ongle. On le surnomme Rwara (l’ongle) et c’est une des poupées brandies par la marotte afande pour désigner cette poudre jetée invariablement aux yeux des crédules et qu’on nomme, par abus de langage, réconciliation. Le général-maton (il est en charge de toutes les prisons du Rwanda) rappelle toujours cet autre militaire qu’il a côtoyé au sein des ex-Far, l’armée vaincue, le colonel Kanyarengwe. Lui aussi a prêté sa stature à la cause du Front patriotique dont il fut symboliquement le chairman. Symboliquement car, à part tonner sur les radios et parapher officiellement la fin du régime Habyarimana (accords d’Arusha), l’utilité politique de cet homme reste aujourd’hui très controversée. Ainsi en est-il de la fonction du général Rwarakabije : à quoi sert-il vraiment ? Plus qu’un paravent, cet officier-trophée remplit un rôle mystique de blanchisseur. Comme Kanyarengwe avant lui : guerriers réputés, ils n’ont pourtant participé à aucune campagne militaire de leur nouvelle famille, se contentant l’un et l’autre de donner le change lorsqu’il s’agissait d’avilir ceux d’en face et rendre peu suspects leur maître. Pour la postérité donc, c’est une poignée de main hutu qui sonnera le glas d’une république que Kamarampaka avait initié et que la jalouse kalachnikov ébranlera en cet août 1994. Dix-neuf ans plus tard, c’est à un autre hutu qu’incombe la tâche de ravilir les pensionnaires des bagnes afande en les exhortant à se surpasser dans un esclavagisme qui ne dit pas son nom. Bernard Werber disait dans L’empire des anges que « Beaucoup d’humains sont prêts à se battre bec et ongles pour qu’on ne leur ôte pas leurs chaînes. »

Dates. On est comme cela chez nous : on est dignes, nous ! On a de l’agaciro. Même qu’on peut se passer (de l’aide) des autres. Surtout lorsque ces autres nous empêchent insolemment de piocher là où eux le font depuis des lustres et que ce soit juste à côté, chez nos (faibles) voisins. Kwigira ça s’appelle. Ah, bon ! Vous connaissiez pas ? Ben, parce que vous ne suivez plus ce que disent nos chers et éclairés guides. Rwara lui-même a saisi la balle au bond et ses prisonniers doivent kwigira. C’est-à-dire accepter sans broncher le sort qui est le leur (merci Gacaca) et accomplir les 12 travaux non pas d’Hercule, mais de Cartaphile ; vous savez, l’autre qui fut accusé d’avoir violenté le Christ sur son chemin du calvaire et dont la condamnation est d’errer jusqu’au retour de ce dernier. Tout cela est confusion, rétorquez-vous… Pas du tout. Du moins pas plus que ne l’est le fait de célébrer un 4 juillet comme les (Ricains) et non le jour suivant comme… Non, comme fêter le premier jour d’octobre (ou un autre anniversaire dans le même mois) comme pour effacer un 26 octobre. Que dis-je ? La libération ce n’est pas le premier juillet; non, non et non! Elle sera célébrée à une autre date rendue possible grâce au sacrifice des « héros » que nous fêterons désormais chaque premier février. N’y voyez point de manipulation ni de réécriture de l’histoire, mais plutôt cette sentence d’Ulrich Wickerte disant qu’« On a toujours su falsifier l’histoire pour des motivations politiques ou culturelles. »

Courage. Heureusement que ce mot fort existe et qu’il nous est souvent rappelé par le sexe dit faible. Tenez : comment qualifierez-vous l’acte posé par madame la présidente des Forces démocratiques unifiées ? De savoir que son retour était une entorse à la machine à moudre et qu’en petite mouche un marteau l’attendait, mais d’avoir quand même pris l’avion pour l’Afandie. Mieux, d’avoir osé mettre en garde contre les effets à long terme de ce que le professeur René Lemarchand (et Claudine Vidal) appelle enforced ethnic amnesia. Ingabire croupit dans un des cinq étoiles de Rwara et voici que madame Denise Ntamwera rallume la flamme. Se souvenant, en ce mois de douleur, de son colonel de mari, elle introduit une plainte comme pour signifier à tous les bourreaux que la bataille contre l’impunité est aussi dignifiante que les slogans anti-Occident que les petits pères des peuples entonnent à longueur de discours. Comment un pays qui veut rapatrier tous ses réfugiés d’ici deux mois ne sait toujours les rassurer ne serait-ce que par le dénouement de l’affaire Cyiza ? Comme ça donc quelqu’un qui fut président d’une importante court du pays, officier de surcroît, disparaît et les pouvoirs tournent la page… Courage, disions-nous. Espérons que le malheur de la famille Cyiza ne frappera pas à la porte du mari de Uwizeye Kansiime Imaculée, secrétaire général du parti PS Imberakuri. « Le courage est le prix de la dignité » écrivait Pierre Billon. Les Romains disaient, eux, que « Le courage croît en osant et la peur en hésitant. »

Espoir. Pour finir en beauté et ne pas plomber outre-mesure votre moral. Espoir comme Emmanuel Niyonsaba. Du nom de ce jeune compatriote de 25 ans et qui a eu l’ingéniosité de produire du courant électrique pour 400 habitants de sa localité de Bweramana. Il n’y a pas de répression de l’espoir ; à moins de l’étouffer soi-même. ( Jean-Claude Clari )

Bon week end

Cecil Kami

1 COMMENT

  1. Merci Cécil Kami pour vos articles qui résultent généralement d’une analyse objective et bien documentée.

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