Un Empire pour les Enfants Trahis

Par Um’Khonde Habamenshi

Imaginez que vous ayez grandi au Sénégal et déménagé en France à 21 ans. Imaginez que vous ayez poursuivi une carrière d’assitante sociale, réunissant souvent des jeunes dans des situations difficiles avec leur famille. Imaginez que vous votre carrière ne vous comble cependant pas, car vous vous êtes rendue compte que les besoins de votre pays natal, le Sénégal, où le problème des enfants des rues grandissait chaque jour, étaient beaucoup plus importants que ceux de votre communauté en France. Imaginez que vous décidiez de rentrer au pays pour essayer d’aider à régler ce problème. Imaginez que vous pensiez pouvoir rester quelques années et retourner en France, mais vous vous rendez compte que le problème est beaucoup plus vaste que ce que vous aviez imaginé. Qu’est-ce que vous feriez? Reviendriez-vous en France pour reprendre votre vie comme initialement prévu, ou resteriez-vous au Sénégal? Et si vous restiez, que pourriez-vous faire pour changer la vie de ces enfants?

Aujourd’hui, je suis inspiré par Anta Mbow du Sénégal. Anta est née le 05 Août 1951 à Dakar. La cadette d’une famille de quatre enfants, elle a grandi dans le quartier bariolé de la Medina, à deux pas de l’avenue Blaise Diagne et de la rue 5. Pour la petite histoire, la Medina – ‘Madinatoul Mounawara’, nom donné par le marabout El Hadj Malick Sy, qui s’opposait au nom Ponty-Ville proposé par l’administration colonial de l’époque –, est un des plus vieux quartiers de la capitale sénégalaise : elle a fièrement fêté ses 100 ans en 2014.
Anta a étudié à l’école de la Medina avant d’aller à Saint-Louis, ville située à 264 km au nord de Dakar, près de la frontière avec la Mauritanie, pour compléter son Certificat de fin d’études élémentaires. Si la Médina peut aujourd’hui se vanter de son centenaire, Saint-Louis elle, est une vénérable dame de bientôt 360 ans. Ancienne capitale de ce qui s’appelait l’Afrique-Occidentale française, son histoire et son architecture coloniale – dont le célèbre pont Faidherbe construit en 1897 – lui ont valu d’être inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Après l’obtention de son certificat, la benjamine de la famille Mbow revient à Dakar, où elle a fréquenté l’école Papa Guèye Fall.

Fille d’un commerçant, qu’elle accompagnait souvent dans les foires commerciales, et d’une femme au foyer, Anta a des beaux souvenir de son enfance. Leur maison familiale incarnait cette tradition sénégalaise de la Teranga, l’accueil de l’étranger : il y avait toujours beaucoup de visiteurs, amis, membres de la famille et même étrangers, et c’est probablement à cette époque qu’est née en elle ce sens d’accueil et acceptation des autres.

« On appelait notre maison le village tellement y avait du monde et des inconnus qui venaient manger et dormir là-bas.»

Une des personnes adultes qui a marqué son enfance et lui a donné un des traits dominants de son caractère, cet amour de la culture de son pays, était sa tante maternelle, Mme Thiam. Dans les années 1960, sa tante a créé la première poupée noire faite intégralement à la main, ce qui lui avait même valu d’être présentée au premier Président post indépendance, Leopold Sédar Senghor, le grand Président Poète et mécène des arts du Sénégal.

A 19 ans, la jeune fille a épouse Doudou Leyti Camara, un ancien basketteur, avec qui elle ira s’installer en France en 1972. Après une vie tranquille et sans rebondissements dans son Afrique natale, la jeune épouse se retrouve plongée dans le rythme effréné de la capitale française avant que le couple n’aille s’installer à Gien, dans le Loiret, une ville où elle restera pendant près de trente ans et donnera naissance à ses quatre enfants.

Dès leur arrivée en France, la jeune femme retourne brièvement à l’école pour compléter un brevet technique en secrétariat avant de se retrouver sur le marché de l’emploi. Comme beaucoup de jeunes femmes immigrantes, même à cette époque, tout ce qu’elle décroche d’abord est un poste d’ouvrière dans une usine, puis celui de pompiste avant de finalement décrocher un poste de secrétaire à la mairie de Gien.

Bien qu’un poste de bureau puisse être considéré comme une réussite sociale en soit, surtout après les boulots d’ouvrière qui était son lot dans ses premières années en Europe, Anta se sentait à l’étroit à la mairie. Du fait de sa personnalité et son éducation familiale, Anta était une personne qui aimait aller à la rencontre des gens, savoir avec eux, apprendre à les connaitre et les aider à résoudre leurs problèmes. Dans son poste administratif, les opportunités de contacts avec le public étaient très limitées pour ne pas dire inexistants.

Après quatre ans à ce poste, Anta décide de le quitter pour reprendre ses études. Cette fois-ci, elle choisit un domaine qui ne pouvait que la mener à travailler avec des individus plutôt que des machines à écrire et des dossiers à classer : le domaine social. Anta, se retrouve à Orléans, où elle fréquente une école de formation de travailleurs sociaux.

Cette formation l’aide a trouver un emploi dans les services sociaux de la Mairie de Bourges, à quelques 70 kilomètres de Gien. Après trois ans, elle retourne aux études pour compléter un brevet d’aptitude qui lui permettra d’encadrer des colonies de vacances et des centres aérés.

Son nouveau brevet lui permet de revenir à Gien, ou elle est offerte un poste de directrice d’un centre aéré à Gien. Elle est finalement dans son élément : le travail avec les jeunes !

Elle s’y plonge avec passion, allant même jusqu’à organiser des voyages de rupture à destination du Sénégal pour de jeunes en difficulté.

C’est à cette époque que la jeune femme commence à prendre conscience du nombre croissant d’enfants de la rue dans son pays natal.

« En France, je travaillais à la mairie d’Agen comme assistante sociale, je réconciliais les enfants avec leur famille. En vacances au Sénégal, j’avais du mal à voir les enfants, mal habillés, déambuler dans les rues de la capitale. Des images qui me marquent encore à l’esprit.»

Cette situation lui pesait tellement qu’elle a commencé à réfléchir ce qu’elle pourrait faire pour les aider.

«Je me suis dit que les problèmes que je réglais étaient une goutte d’eau par rapport à ce qui se passe ici.»

En l’an 2000, Anta prend une mise à disponibilité et rentre au pays. Sa mise à disponibilité était de deux ans, après lesquelles elle devait retrouver son poste en France.
Elle se disait au départ, un peu naïvement ou de façon trop optimiste, que cette situation allait vite passer.

«Je pensais toujours que c’était un phénomène qui allait partir. Que c’était une erreur de parents, de la société, de tout le monde et que ça allait partir. »

Elle a commencé par préparer des repas pour ces pauvres enfants, mais elle s’est vite rendu compte que quelques repas en passant n’allait pas suffire si on voulait vraiment aider ces enfants à sortir de la rue et avoir une vie normale. Au lieu de diminuer, le problème n’avait l’air que de s’aggraver et le nombre d’enfants mendiants de se démultiplier.

La plupart de ces enfants étaient des talibés, les jeunes garçons envoyés par leurs parents dans des écoles coraniques. Ces enfants sont supposés apprendre le coran, mais plus de 50,000 de ces jeunes garçons se retrouvent forces par leurs maitres de mendier toute la journée pour ramener de la nourriture ou de l’argent.

«C’est une politique d’exploiteurs d’enfants, des faux marabouts ou des gens qui se dissent des maitres coraniques, la réalité est qu’ils vont chercher les enfants pour les exploiter dans la mendicité, et ça c’est une catastrophe.»

Anta décide alors de créer un centre d’accueil, un endroit où les enfants pourraient venir trouver refuge.

«Je n’aime pas l’injustice. Ce que j’ai vu dans les rues de Dakar, je trouvais ça injuste. Les enfants qui trainent dans la rue qui sont laisses à eux même ! Ce que mes enfants ont eu, tous les enfants y ont doit : une vie normale d’enfants. Quand j’ai quitté le Sénégal, tout ça n’existait pas.»

Les histoires de ces enfants étaient bouleversantes. Certains enfants étaient pratiquement traités comme des esclaves. Ils étaient obligés de rapporter tel ou tel montant par jour et quand ils rentraient les mains vides, ils étaient victimes de services physiques. Ils y avaient également des rapports qui faisaient état d’enfants enfermés la nuit, pour qu’ils ne s’enfuient pas.

La première personne à lui venir à l’aide est son amie Valérie Schlumberger. Anta et Valérie s’étaient rencontrée quelques années auparavant par l’entremise de son frère, Serigne Babacar Mbow. Serigne avait également vécu en France et vivait également en France avait décidé de rentrer au pays dans les années 1980 pour monter un projet dans la région Diourbel, région d’où la famille Mbow est originaire.

A l’époque, la région de Diourbel, qui est située au Nord-Ouest du Sénégal, vit une sécheresse prolongée qui pousse les jeunes et les hommes à s’exiler pour aller chercher du travail dans les grandes villes voisines. C’est comme si la région s’éteignait peu à peu tant sur le plan économique que social. En 1984, Babacar Mbow et son épouse Aïssa Cissé Mbow décident de rentrer pour essayer de raviver leur communauté en danger. Le jeune couple franco-sénégalais retrousse les manches et se met à la tâche, réfléchissant avec la communauté quels projets collectifs on peut apporter pour améliorer leurs conditions de vie.

Serigne demande à sa sœur Anta, restée en France, de l’aider à faire connaitre leur initiative, ce qu’elle accepte avec plaisir. C’est ainsi que parallèlement, à son travail social, elle s’est retrouvée coordonnatrice pour la France et la Suisse du Projet de Développement de Ndem, poste qu’elle occupera une quinzaine d’années.

C’est durant ces années au Projet Ndem qu’elle allait rencontrer Valérie, une diplomate française basée à Dakar, avec qui elle allait développer une belle amitié. Entretemps, Valérie était repartie en France mais les deux femmes avaient gardé le contact.

Quand Anta lui raconta ce qu’elle essayait de faire pour les enfants de la rue, Valérie a été emballée et l’a aidé à mobiliser les appuis pour créer ce centre dont elle rêvait. Il restait maintenant à trouver où construire ce centre et comment appeler son projet.

Comme le phénomène des enfants mendiant dans la rue était plus marqué au centre-ville, Anta tenait à trouver un endroit qui ne demanderait qu’ils emmènent les enfants trop loin.

C’est dans son quartier natal de la Medina qu’elle allait trouver la solution à son dilemme. A l’époque où la jeune dame quittait le Sénégal pour aller vivre en France, Dakar regorgeait de salles de cinéma qui faisaient la joie des amateurs du grand écran. Malheureusement, avec l’avènement des DVD et des chaines câblées, cette industrie s’était éteinte à petit feu. Les salles de cinéma, quand elles n’étaient pas rasées pour faire place à des immeubles de bureaux ou des condominiums, s’était retrouvées reconverties en entrepôts ou magasins, conservant parfois leurs façades comme un petit souvenir de ce passé historique.

D’autres, comme le cinéma en plein air où de son quartier de la Medina, étaient tout simplement laissés à l’abandon et étaient devenus le squat des sans-abris de tout âge.

En regardant ce lieu délabré, Anta ne voyait plus le passé ni le présent, elle ne voyait que le futur, un espace où les enfants pourraient venir trouver une vraie famille.

Anta s’arma de tous les arguments possibles et approcha les propriétaires pour leur présenter son projet. Ses arguments devaient être en béton car elle obtint la location du cinéma en ruine et l’autorisation d’aménager l’endroit pour en faire un centre d’accueil pour enfants de la rue, le premier du genre au centre-ville de la capitale sénégalaise.

Je vous ai dit qu’à l’époque, Anta devais résoudre deux problèmes : trouver un espace ou construire son centre d’accueil et trouver un nom à son association. Trouver l’espace était bien sur le plus pressant des deux problèmes, et par magie quand elle l’a résolu, elle a du même coup résolu son problème de nom.

J’ai omis exprès de vous dire le nom de ce cinéma en ruine situé près de la poste de Medina mais je peux vous le révéler maintenant : Cinéma Empire. Anta décida de garder ce nom, un symbole en soi de comment on peut donner une nouvelle vie a quelque chose qu’on croyait fini : son association s’appellerai ‘Empire des Enfants’.

Le centre d’accueil de l’avenue Malick Sy – du nom du marabout d’il y a cent ans à qui on doit le nom de Medina – a ouvert ses portes en mai 2003, après des travaux marathons rendus possible par ses amis de France, dont Valérie qu’Anta appelle une ‘vraie sénégalaise de cœur’.

Le bâtiment historique de la Medina a été repeint en blanc et bleu ciel, et les murs et les portes sont couvertes de dessins, la cour est remplie de jeux, l’ancien écran de cinéma est devenu une petite estrade où les enfants peuvent apprendre ou se régaler de scénettes organisées par le centre. Un univers si normal pour une structure qui s’occupe d’enfants mais pourtant si surréel pour des enfants qui ont connu un monde à l’opposé de celui des enfants heureux représentés sur les fresques murales et les graffitis du vieux cinéma.
Anta a finalement démissionné de son poste à Gien, en France pour se dédier entièrement à son organisation.

Les débuts n’étaient pas faciles. Bien qu’elle ait acquis une certaine expérience a gère une organisation à but lucratif pendant les 15 ans où elle a représenté l’association de son frère en France, elle devait apprendre naviguer le système de son pays natal qu’elle avait quitté quand elle n’avait que 21 ans.

« Il fallait réapprendre le terrain du Sénégal, pays que j’avais quitté trente ans avant. Au départ j’étais l’animatrice, l’éducatrice, la maman, la femme de ménage. Même les enfants mettaient la main à la pâte quand on trouvait quelque chose à manger, c’étaient les garçons qui faisaient la cuisine.»

Mais petit à petit, les choses se sont mieux organises et l’Empire des Enfants s’est plus professionnalisée. L’organisation, qui a une capacite d’accueil de 65 enfants, vise la prise en charge, la protection et la réinsertion sociale des enfants vivant en situation de vulnérabilité dans les rues, sans distinction de l’appartenance ethnique ou religieuse. Les enfants bénéficient d’une prise en charge totale (hébergement, restauration, habillement, soins médicaux) et jouissent d’activités d’épanouissement (loisirs, sports, excursions, animation etc.). L’association offre également un minimum d’éducation afin d’aider les enfants à se réinsérer dans la société.

Au départ, les enfants venaient d’eux-mêmes, s’échappant carrément des griffes des gens qui les détenaient.

« Des gosses frappent nos portes à 2h du matin. Ils disent avoir peur parce que quelqu’un les poursuivait dans la rue. »

Au fur et à mesure que l’association d’Anta Mbow, appelée ‘La Mère Theresa’ du Sénégal, les forces de l’ordre ont commencé à également amener des enfants retrouvés dans la rue. Même la Radio Télévision Sénégalaise (RTS), où les gens avaient l’habitude d’amener les enfants qui s’étaient perdu, lui amenait les petits pour qu’elle cherche leurs familles.

Les enfants mendiants étaient souvent malnutris, maladies et certains souffrent de trauma physiques et psychologiques.
Pour casser avec le système de gardiennage informel des écoles coraniques, l’association cherche systématiquement une ordonnance de garde provisoire, pour chaque enfant, un document précieux délivré par le Ministère de la Justice.
L’Empire des enfants a également appris à gérer le problème de réunification des enfants avec leurs familles.

« La plupart des enfants qui viennent à l’Empire demandent à rentrer chez eux. La plupart d’entre eux sont retrouvés par accident dans la rue. »

Quand l’enfant le demande, les éducateurs du centre entrent en contact avec des ONG partenaires, qui les aident à trouver les familles.

« C’est un travail de fourmi que nous menons pour convoyer les enfants chez leurs parents, toutes ces enquêtes et démarches nécessaires pour retrouver les familles. »

Une fois que les familles sont localisées, parfois même dans les pays voisins tels que le Mali, la Guinée et la Guinée-Bissau, il faut se rassurer que toutes les conditions soient là pour permettre ce retour des enfants prodiges.

« Une fois la famille retrouvée, il faut que ce soit volontaire pour les deux côtés. On sait que l’enfant veut rentrer, mais est-ce que les parents veulent et peuvent recevoir ? »

L’équipe d’Anta ramène les enfants chez eux, profitant de l’occasion pour rencontrer la communauté pour les sensibiliser et leur demander d’être plus vigilants par rapport à ces individus qui viennent leur promettre monts et merveilles alors qu’ils n’offrent aux enfants qu’un véritable enfer sur terre.
Les cas les plus difficiles et qui brisent le cœur d’Anta, sont ceux des enfants venant des zones de conflits, parfois aussi loin que le Congo et le Burundi, du fait de la quasi-impossibilité de les ramener chez eux !

L’Empire des enfants fêtait presque ses 15 ans d’existence quand le Gouvernement du Sénégal a finalement décidé de s’attaquer de façon plus décisive à ce problème qui mine la société sénégalaise depuis plus de deux décennies. En juin 2016, le gouvernement a lancé un nouveau programme de « retrait des enfants de la rue », dont le but était d’agir contre la mendicité forcée des enfants. A travers ce programme, sous l’égide du ministère de la famille, la police et les travailleurs sociaux mènent des opérations de rue. Rien que la première année, plus de 1500 enfants ont été récupérés des rues des grades villes du pays !

Les enfants récupérés sont alors placés dans un centre d’accueil de l’état – le Centre Ginddi – ou dans des centres d’accueil gérés par des associations telles que l’Empire des Enfants le temps de retrouver leurs parents ou leurs gardiens. Le gouvernement fait également plus d’efforts pour informer le public des lois interdisant la mendicité forcée et l’exploitation des enfants.

Toutefois un rapport de Human Rights Watch de 2017 a relevé qu’en une année de mise en œuvre de cette initiative, les progrès étaient minimaux et a même fait cas de situations dramatiques où des centaines d’enfants retirés des rues avaient été renvoyés chez les mêmes maîtres coraniques qui les avaient auparavant forcés à mendier. En outre, aucune enquête ou de poursuites judiciaires n’ont jamais étaient lancées par le gouvernement à l’encontre des individus impliqués dans la mendicité forcée et les abus de ces enfants.

Autant dire que le chemin est encore très long !

Dieu merci, ses efforts ne sont pas vains comme le témoigne l’histoire du jeune Modou, un enfant que le centre a recueilli en 2004. A l’époque, le jeune Modou Fata Touré avait 14 ans et il s’était enfui de son école coranique – appelées daara en wolof, la langue la plus populaire du Sénégal – dans la Gambie voisine, à cause de maltraitances. Pendant trois mois, il s’est retrouvé à mendier et dormir dans les rues dakaroises.
« Ce n’était pas la vie que je désirais, je voulais aller à l’école, mais mon père a brisé cela en m’envoyant dans une daara. Je me suis retrouvé à la rue », raconte Modou.

Un jour, un passant lui a conseillé de se rendre à la Medina, a l’Empire des Enfants. La dame qui lui ouvre la porte et l’accueil dans sa maison deviendra sa seconde maman. Il l’appelle même très tendrement « Mama Anta ».

Mama Anta l’a pratiquement ramené à la vie, lui offrant gite, nourriture, habits et surtout une vraie éducation.

Quand il est arrivé au centre, Modou était très renfermé et parfois même assez colérique, quelque chose de malheureusement très fréquent chez les adolescents de la rue. Anta dit de ces adolescents violents qu’ils sont fâchés contre la société qui les a abandonnés.

Cependant, au fil des mois passés à l’Empire, il apprend de nouveau à faire confiance, et à se maîtriser grâce au taekwondo. Il découvre aussi la lecture et dévore des livres qui lui tombent sous la main.

Modou restera huit ans au Centre.

« L’Empire a été le début de tout, raconte le paisible Modou. C’est là que j’ai commencé à suivre les ordres, à être responsable. J’y ai appris à lire et à écrire le français. On nous a enseigné le Coran, contrairement à la daara, qui nous envoyait mendier. Je participais à toutes les activités. Mon but: être le meilleur. »

Un jour, en 2006, cet adolescent aux talents d’acrobate extraordinaires, découvre le cirque grâce à un atelier animé par la troupe suédoise Fan-Atticks. Il est tellement émerveillé par leurs prouesses qu’il décide que ce sera ça son métier.

« Parfois, ma famille me manquait, je cognais les murs avec mes poings, je me blessais. Le cirque m’a aidé à canaliser cette rage.»

L’année suivante, quand les artistes suédois reviennent, ils trouvent que le jeune home s’est appris lui-même des tours et ils décident de l’aider à aller se former dans leur pays.

Au retour de sa formation, le jeune homme de 27 ans qu’Anta a sauvé de la rue quelques 13 ans plus tôt, créé sa propre troupe, Sencirk’, la première troupe de cirque ambulant du Sénégal, et vient fièrement faire une représentation, jonglant avec des cerceaux, faisant des numéros d’équilibrisme sous les applaudissements des enfants qui rêvent probablement eux aussi du jour où ils seront autre chose que des ‘anciens enfants de la rue’.

En 2013, Anta Mbow a été lauréate du prix Women for Change, un prix créé par la Fondation Orange et le Women’s Forum, en partenariat avec le magazine Marie Claire, pour mettre en valeur des femmes actrices du changement et moteurs de la croissance et de leur permettre de développer leurs projets humanitaires en faveur des femmes et des filles. En 2016, le Groupe Leral lui décerne le titre de femme de l’année pour son engagement total pour la sauvegarde des enfants.

Infatigable, Anta Mbow pense à étendre son rayon d’action en créant des centres similaires dans différentes métropoles du pays. Elle cherche également des financements pour la construction d’un centre entièrement dédié aux filles, l’Empire des Filles. Le Centre Empire des Filles sera le premier centre de la ville de Dakar consacré exclusivement aux filles victimes de violence, d’exploitation ou en situation de grande précarité.

Depuis la création de son association en 2002, plus de deux mille enfants en difficultés ont pu bénéficier directement de ses actions.

Félicitations pour votre contributions à l’héritage de l’Afrique et pour la protection des plus vulnérables parmi nous, Anta! Et bon anniversaire!!!