RWANDA: POSITION DE LA PLATEFORME D’OPPOSITION SUR LA MODIFICATION DE L’ARTICLE 101 DE LA CONSTITUTION RWANDAISE

NOTE D’INFORMATION

Introduction

La Constitution rwandaise adhère solennellement, dans son préambule, à un certain nombre de principes et idéaux tant nationaux qu’internationaux. Il est notamment stipulé en son alinéa 6 : « Résolus à bâtir un État de droit fondé sur le respect des libertés et droits fondamentaux de la personne, la démocratie pluraliste, le partage équitable du pouvoir, la tolérance et la résolution des problèmes par le dialogue ». Ces principes et idéaux ont été pensés par le constituant comme conditions pour une paix durable et une véritable réconciliation du peuple rwandais.

Avec la  modification de l’article 101 de la Constitution, nous assistons à un reniement total des principes fondamentaux de l’Etat de droit (Titre I) dans le but inavoué de faire un coup d’Etat constitutionnel en vue d’établir une constitution taillée sur mesure (Titre II) pour permettre au Président Kagame de s’éterniser au pouvoir. Il sied de tirer quelques conclusions et recommandations (Titre III) susceptibles de contribuer à la sauvegarde de la légalité constitutionnelle.

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TITRE I. LE RENIEMENT DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L’ETAT DE DROIT

L’alternance politique est une garantie essentielle de l’exigence démocratique. La liberté et l’égalité des chances, notamment quant à la participation à la gestion de la chose publique constituent le meilleur reflet de l’Etat de droit.

Ces principes ressortent clairement du bloc de constitutionnalité (Section I).  Cependant si bien pensé soit-il, ledit bloc de constitutionnalité est sans effet sur le quotidien des Rwandais suite à l’art du mépris des lois et des institutions résultant du manque de séparation réelle des pouvoirs (Section II).

SECTION I. LE BLOC DE CONSTITUTIONNALITE

1.1. Le Préambule

Le préambule de la constitution rwandaise stipule entre autres:

 » Nous, peuple rwandais,

1. Au lendemain du génocide, planifié et supervisé par des dirigeants indignes et autres auteurs, et qui a décimé plus d’un million de filles et fils du Rwanda ;

2. Résolus à combattre l’idéologie du génocide et toutes ses manifestations ainsi qu’à éradiquer les divisions ethniques et régionales et toutes autres formes de divisions ;

 3. Décidés à combattre la dictature en mettant en place des institutions démocratiques et des autorités librement choisies par le peuple ;

4. Soulignant la nécessité de consolider et promouvoir l’unité et la réconciliation nationales durement ébranlées par le génocide et ses conséquences ;

6. Résolus à bâtir un État de droit fondé sur le respect des libertés et droits fondamentaux de la personne, la démocratie pluraliste, le partage équitable du pouvoir, la tolérance et la résolution des problèmes par le dialogue ;

10. Engagés à assurer l’égalité des droits entre les Rwandais et entre les hommes et les femmes, sans porter préjudice du principe de l’approche « gender » ;

1.1.1. Alinéas 1 et 4 : l’impératif de vérité, condition de la justice et de la réconciliation

Si le Peuple rwandais veut « consolider et promouvoir l’unité et la réconciliation nationales durement ébranlées par le génocide … » qui a été  » …planifié et supervisé par des dirigeants indignes et autres auteurs,… », il est essentiel que les langues se délient, que la lumière soit faite sur le drame qui s’est abattu sur le Rwanda et qu’enfin justice soit faite.

Comment est-on parti d’une « guerre de libération », à une guerre civile qui, elle-même, a vite mué en un génocide ? Comment, 25 ans après le début de la guerre et 21 ans après la fin officielle des hostilités, la société rwandaise n’arrive-t-elle pas encore à refermer ses plaies et à se réconcilier ?

Paul KAGAME est l’un des protagonistes du conflit rwandais. Il est vainqueur de la guerre qu’il a initiée en 1990. Son implication singulière dans le drame rwandais explique, certainement, l’allergie dont il a continuellement fait preuve en refusant de s’engager dans le processus de vérité et de justice tant souhaité. Etant donné que c’est le Front Patriotique Rwandais (FPR) qui a pris l’initiative de la guerre, que celle-ci a vite tourné dans d’importants massacres, puis en un génocide, quel est le rôle des actuels tenants du pouvoir et de KAGAME en chef ? Est-il possible que la vérité éclate si le premier concerné reste aux commandes du pays?

Il sied de constater que le régime actuel au Rwanda s’est rendu coupable d’actes répréhensibles tant au Rwanda qu’en République Démocratique du Congo (RDC) et que son comportement actuel n’a d’autres visés que de dissimuler sa responsabilité pour échapper à la justice.

In fine, la position de juge et partie du Président KAGAME est un empêchement majeur du processus de réconciliation des rwandais.

1.1.2. Alinéas 3, 6 et 10 : l’idéal démocratique, l’égalité de tous dans un Etat de droit

Il a déjà été souligné que l’alternance politique est une garantie essentielle de l’exigence démocratique. La liberté et l’égalité des chances, notamment quant à la participation à la gestion de la chose publique constituent le meilleur reflet de l’Etat de droit.

Comment, dans l’irrespect de ces principes, serait-il possible d’éviter les abus, le non-droit et les dérapages ? Le Président KAGAME est au pouvoir depuis déjà 21 ans, qu’est-ce-qui peut justifier un septennat de plus ?

Il est dit que ce septennat constitue une période de transition. Ledit septennat servirait-il de transition entre qui et qui ou entre quoi et quoi?

Un flou entoure complètement cette situation.

L’auteur de la Constitution actuelle n’est autre que Kagame. L’impossibilité absolue de réviser l’article 101 a été introduite dans la constitution sur ordre de Kagame lors des débats contradictoires. Selon lui » il ne faut pas qu’un président s’accroche au pouvoir par les mandats illimités. C’est cela qui pousse certains présidents africains à être des dictateurs « .

Il  est donc dans une situation de contrariété d’autant plus qu’il a combattu « la dictature de Habyarimana » en prétextant mettre fin à la dictature. Il ne devrait donc pas être dictateur comme « celui qu’il a combattu ».

Monsieur Paul KAGAME est-il un surhomme absolument irremplaçable ? S’il avait développé le Rwanda, pourquoi n’aurait-il pas envisagé de laisser sa place à un autre Rwandais qui, évidemment, au demeurant, n’a pas été impliqué aussi directement dans la guerre et le processus de suicide national ?

C’est pour des enjeux inavoués mais perceptibles en termes d’hégémonie et de refus de partage que le Président KAGAME et son groupe veulent, à tout prix, s’accrocher au pouvoir.

1.2. Les principaux instruments des droits humains

L’alinéa 9 du préambule de la Constitution stipule :

« Réaffirmant notre attachement aux principes des droits de la personne humaine tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations unies du 26 juin 1945, la Convention des Nations unies du 9 décembre 1948 relative à la prévention et à la répression du crime de génocide, la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, la Convention contre toutes formes de discrimination raciale du 7 mars 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de Discrimination à l’égard des Femmes du 1er mai 1980, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981 et la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 » ;

Pour mieux appréhender ce contenu de l’article 9, il convient de citer quelques extraits des principaux instruments des droits de l’homme auxquels la Constitution rwandaise proclame solennellement son adhésion :

1.2.1. Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

Article 21 :

  1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.
  2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.
  3. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote.

1.2.2. Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques

Article 25 :

  1. Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables :
  1. De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
  2. De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;
  3. D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.

Les normes citées ci-dessus, qui ont la même force obligatoire que la Constitution elle-même puisque reprises dans son préambule, réaffirment de la manière la plus forte le droit de tous les citoyens rwandais d’accéder et de participer, en toute égalité, à la gestion des affaires publiques.

Le Président KAGAME, quant à lui,  ne tolère ni contradiction, ni compétition. C’est ainsi qu’il fait arrêter et maintenir en prison tous les opposants politiques. Sans être exhaustif, il y a lieu de citer : Victoire Ingabire Umuhoza, Déo Mushayidi, Sylvain Sibomana, Jean Baptiste Icyitonderwa, Emmanuel Ntakirutimana, Samuel Hitimana, Martin Ntavuka, Christophe Mpozayo, Théobald Mutarambirwa, Sylvère Mwizerwa, Dominique Shyirambere, Donatien Mukeshimana, Célestin Yumvihoze, Eric Nshimyumuremyi, Kizito Mihigo, Cassien Ntamuhanga, Agnès Uwimana Nkusi, Saidati Mukakibibi, Vénuste Uwiringiyimana, Léonile Gasengayire, Anselme Mutuyimana, Norbert Ufitamahoro, Valens Twizeyimana, Emmanuel Byukusenge, Marcel Nahimana, Stanley Gatera, Epaphrodite Habarugira, Bernard Ntaganda, Pasteur Bizimungu, Charles Ntakirutinka, Frank Rusagara, Tom Byabagamba. Ils ont tous été emprisonnés car la dictature de Paul Kagame ne supporte aucune voix qui ose prêcher le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ceux qui ont eu moins de chance, ont été assassinés. Ce fut le cas notamment pour : André Kagwa Rwisereka, Patrick Karegeya, Emmanuel Gasakure, Emmanuel Musirikare, Chadrac Niwungize, Jérôme Ndagijimana, John Sengati, Assinapol Rwigara, Juvénal Uwiringiyimana, Augustin Cyiza, Théoneste Lizinde, Seth Sendashonga, Augustin Bugirimfura, Alfred Nsengimana, Charles Ingabire, Appolos Hakizimana, Jean Pierre Mugabe, Jean Marie Hategekimana, Jean Bosco Gasasira, Jean Léonard Rugambage, Gustave Makonene.

Rares par contre sont ceux qui échappent à plusieurs tentatives d’assassinat. Tel fut le cas notamment pour Faustin Kayumba Nyamwasa et Edouard Mutsinzi.

Quant aux disparitions forcées, condamnées par ailleurs par l’ensemble de la communauté internationale, elles ne sont pas considérées comme un crime au Rwanda ; Raison pour laquelle elles sont devenues monnaie courante. En date du 2 juin 2014, les responsables politiques faisaient état de seize mille personnes portées disparues à Ngororero ; le 30 juillet 2014, les mêmes responsables parlaient de trente mille personnes condamnées aux travaux d’intérêt général (TIG) et portées disparues. En juin 2015, Jean Chrysostome Ntirugiribambe a été kidnappé de Nairobi vers le Rwanda. Depuis lors, il est porté disparu. Cette disparition suivait celle d’Emile Gafirita et d’André Muhanguzi.

Les agents de Paul Kagame fourmillent dans tous les pays pour tuer ou kidnapper des réfugiés, y compris en Occident où les escadrons de la mort envoyés par Kigali sont souvent signalés.

Tel est le bilan de celui pour qui la Constitution rwandaise va être taillée à sa mesure pour trois prochains mandats malgré les instruments juridiques en présence. Pourtant, en vertu de ces textes, nul ne peut prétendre être irremplaçable dans une fonction quelconque, aussi brillant fut-il. En 2017, le Président KAGAME aura accompli deux mandats successifs comme chef de l’Etat, même si, dans les faits, il est au pouvoir depuis 21 ans. Il est temps qu’une nouvelle génération de dirigeants arrive au pouvoir, pour impulser un nouvel esprit à la gestion du pays selon le principe directeur que tous les rwandais doivent avoir les mêmes chances d’accéder aux hautes fonctions de l’Etat.

Le peuple Rwandais a besoin de souffler, d’exprimer ses choix, et ce, sans être inquiété par un pouvoir dont l’arbitraire est l’un des principaux attributs. Il s’en suit que le constituant rwandais ne devrait pas aller en l’encontre des principes sacrés auquel il adhère solennellement.

SECTION II. L’ART DU MEPRIS DES LOIS ET DES INSTITUTIONS

2.1. La réalité du mépris des lois et des institutions

Le régime en place entretient un mépris notoire vis-à-vis des lois et des institutions. Pourtant, très peu de pays africains se sont autant dotés de lois et d’institutions modernes  que le Rwanda.

Si, à titre d’exemple, le pays brandit fièrement certains acquis comme la parité hommes-femmes au sein des différentes chambres du Parlement, le FPR n’a pas pour autant promu la femme dans la société rwandaise, puisque les femmes siégeant au sein d’institutions nationales ne sont, essentiellement, que des personnes proches ou interposées des hauts dignitaires du régime. C’est dans le même esprit que le Président Paul KAGAME s’évertue à malmener et ridiculiser le Parlement, le Sénat mais aussi les instances administratives disséminées sur le territoire national, car il sait bien que personne ne pourrait s’opposer à ses intentions. Paul Kagame sait d’avance que toutes ces instances doivent concourir au processus frauduleux visant la modification de la Constitution pour son maintien au pouvoir.

Les observateurs et analystes ont constaté, à quel point les responsables du Sénat et du Parlement avaient du mal à expliquer et justifier la manœuvre en cours. Et ce, alors que le discours officiel du Président KAGAME est que tout le processus est dicté par la volonté populaire. Ainsi, on assiste d’un côté à un Président faisant semblant de se désintéresser du pouvoir et, de l’autre, à d’énormes pressions sur les cadres du régime qui doivent rivaliser de zèle dans la manœuvre anti-démocratique en cours. La réalité est qu’il existe, au Rwanda de KAGAME, deux systèmes de pouvoir bien distincts : un pouvoir formel mais fantoche représenté par l’ensemble d’institutions nationales et de cadres à différents niveaux d’une part et, d’autre part, un pouvoir informel mais réel représenté par KAGAME et une poignée de hauts cadres civils et militaires avec quelques conseillers expatriés, dont l’ancien Premier Ministre Tony Blair. C’est ce dernier pouvoir qui détient les rênes du pouvoir, prenant à lui seul l’essentiel de décisions que l’autre pouvoir doit mettre en exécution sans poser la moindre question.

Voilà la triste réalité. Le Président KAGAME veut à tout prix se maintenir au pouvoir. Il a conçu, avec son groupe restreint, une série de stratégies que nous examinerons plus loin et que doivent mettre en synergie toutes les institutions et tous les cadres nationaux quitte à entamer toute leur crédibilité.

2.2. Le tripatouillage de la Constitution

L’article 193 est de nul effet sur toute tentation à modifier l’article 101 dans le but de multiplier les mandats présidentiels. Il sied, en vue de s’en convaincre, d’examiner la lettre et l’esprit des dispositions en questions :

Article 101.

« Le Président de la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels. »

Article 193.

« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République après délibération du Conseil des ministres et à chaque chambre du Parlement sur vote à la majorité des deux tiers de ses membres.

La révision n’est acquise que par un vote à la majorité des trois quarts des membres qui composent chaque chambre.

Toutefois, lorsque la révision porte sur le mandat du président de la République, sur la démocratie pluraliste ou sur la nature du régime constitutionnel, notamment la forme républicaine de l’État et l’intégrité du territoire national, elle doit être approuvée par référendum, après son adoption par chaque chambre du Parlement. Aucun projet de révision du présent article ne peut être recevable. »

L’article 101 de la Constitution écarte de la manière la plus péremptoire toute possibilité de dépasser deux mandats dans les fonctions de Président de la République. Le terme « en aucun cas » signifie qu’aucune circonstance, absolument aucune, ne peut justifier de rester au pouvoir plus de deux mandats successifs.

« En aucun cas », signifie que ni la volonté du gouvernement, ni tout ou partie de l’ Assemblée nationale, ni tout ou partie du peuple, ne peut, pour une raison quelconque, demander la démultiplication des mandats du Président de la République. L’empêchement est dirimant : aucune disposition de la Constitution ne saurait venir contredire et vider de sens l’article 101 de la Constitution. Maintenant, soutenir que l’article 193 accorderait un feu vert à modifier l’article 101 signifierait, en faits comme en droit, que le Constituant rwandais aurait voulu, en même temps, une chose et son contraire.

Au regard de la force obligatoire du terme « en aucun cas », une quelconque disposition de la Constitution qui viendrait en contradiction de l’article 101 serait nulle et de nul effet ; une telle disposition serait, en droit, une « clause réputée non écrite » et, comme telle, devrait être purement et simplement ignorée.

En réalité, l’alinéa 3 de l’article 193 de la Constitution autorise de modifier le mandat présidentiel en le ramenant, par exemple, à 5 ans. C’est ce que le Constituant vient de faire. Mais on ne peut, sur le fondement de cet alinéa, justifier l’ouverture d’une nouvelle transition en vue d’accorder au Président KAGAME une éligibilité ad vitam aeternam.

TITRE II. UN PROJET DE CONSTITUTION TAILLEE SUR MESURE

Avant de modifier la Constitution -loi fondamentale- il faut bien savoir pourquoi. La change-t-on parce qu’elle a mal fonctionné dans le passé, ou est-ce-que les modifications en vue lui permettront de mieux jouer son rôle de cadre central de toutes lois et institutions du pays ?  Dans tous les cas, si ce n’est que pour satisfaire les ambitions personnelles d’un individu ou d’un groupe ou, pour répondre à une difficulté purement conjoncturelle, l’exercice est hautement risqué pour la nation.

Un examen attentif de la lettre mais aussi de l’esprit de nouvelles dispositions apportées à la constitution (Section I) met clairement à jour un processus hautement frauduleux avec des enjeux inavoués (Section II).

SECTION I. DE L’ESPRIT DES NOUVELLES DISPOSITIONS

1. Des motifs superfétatoires

L’intervention du constituant rwandais de 2015 n’aurait pas soulevé autant de polémiques, si elle avait été motivée par des raisons fondées en faits ou en droit. Des observateurs avisés, mais aussi la majorité silencieuse de rwandais terrorisés et ballonnés, constatent avec émoi une tentative de confiscation du pouvoir par le Président sortant et son entourage.En effet, une des dispositions-phares apportées en justification de l’actuelle modification constitutionnelle, c’est l’article 167 articulé comme suit :« Considérant les pétitions présentées par les Rwandais avant l’entrée en vigueur de la présente Constitution révisée, motivées par les progrès déjà réalisés dans l’édification du Rwanda et la création d’une fondation de développement durable, le Président de la République peut être réélu pour un mandat de sept ans».

Comme nous l’expliquerons plus amplement ci-après, les fameuses pétitions, que l’on ose comptabiliser à 3,7 millions d’électeurs, soit plus de la moitié d’électeurs du pays, ont été minutieusement préparées et acheminées auprès des populations par les autorités administratives décentralisées et les miliciens de la force DASSO (District Administration Security Support Organ). Celles-ci n’hésitaient d’ailleurs pas à user de toutes formes de pressions et de violence pour collecter les signatures sensées être volontaires. C’est ainsi que le soi-disant plébiscite du Président Kagamé est, en réalité, une mise en scène maladroitement orchestrée sous les auspices du premier concerné, Paul Kagamé lui-même.

En réalité, l’authenticité du soi-disant plébiscite populaire est contestable tant le FPR – Front patriotique rwandais, parti-Etat depuis 1994 dont les membres sont à la tête de presque toutes les structures et institutions administratives tant publiques que privés – et surtout l’exécutif ont intelligemment préparé et diligenté ce mouvement pour lui donner les apparences de la légitimité populaire. Le projet présenté comme populaire apparaît d’autant plus contestable qu’il s’inscrit dans un climat politique tendu au Rwanda où les partis politiques d’opposition ont été très largement réduits au silence et toute voix indépendante ou contestataire est réprimée.

Quant à avancer comme motivations des électeurs rwandais les « progrès déjà réalisés dans l’édification du Rwanda et la création d’une fondation de développement durable », une telle disposition ne peut servir comme motif valable à la modification de la Constitution dans le seul but de pérenniser le Président Paul Kagamé au pouvoir. En effet, la limitation du nombre de mandats présidentiels est un principe constitutionnel qui ne peut être conditionné à l’échec de la politique du Président de la République. En d’autres termes, si celui-ci a réussi dans sa mission, cela ne peut être un motif valable et suffisant pour un maintien au pouvoir au-delà du nombre de mandats prescrits dans la constitution.

L’argument du progrès économique spectaculaire qui aurait été réalisé par l’administration Kagame est d’autant plus superfétatoire que des voix crédibles remettent en cause les prouesses supposées du régime. Entre autres voix discordantes, le Rapport Training Vision 2020 into Reality (PNUD 2015) renseigne qu’à ce jour, 62% de Rwandais vivent dans la pauvreté avec moins de 44 centimes de dollars par jour, alors que ce taux était de 50,3% en 1990. Comment le Rwanda d’aujourd’hui peut-il être économiquement sain, alors que la moitié de son budget ordinaire vient de l’étranger, qu’il commercialise et exporte des matières premières et minerais qu’il spolie dans un pays voisin et, surtout, l’essentiel du produit intérieur brut est dégagé par des opérateurs économiques étrangers ?

Enfin, l’institut privé britannique Oxford Policy Management, dans son rapport de 2015, accuse le gouvernement rwandais de manipuler les résultats économiques et les statistiques y afférentes pour donner l’impression que la pauvreté a baissé alors que c’est le contraire.

2. Une transition injustifiée

L’article 172 précise que la réforme de l’article 101 n’entrera en vigueur qu’après un nouveau septennat entre 2017 et 2024. Septennat pour lequel le Président Paul Kagamé reste éligible. Selon ce texte, en effet, le Président Kagamé est également autorisé à briguer par suite à cette transition septennale deux nouveaux mandats de 5 ans prévus par l’article 101 remanié. La justification est toujours ingénieuse : elle prétexte erronément qu’en instaurant cette transition difficilement justifiable, le Parlement rwandais n’aurait fait que répondre aux souhaits de la population rwandaise.

Ainsi, avec l’adoption à l’unanimité du projet de la nouvelle Constitution, le Président Paul Kagamé pourra cumuler, en plus de ses deux premiers mandats, un mandat de sept ans suivi de deux mandats de 5 ans, soit 31 ans de pouvoir sans partage. A partir de 2017, le Président Paul Kagamé pourrait donc présider le Rwanda pendant encore 17 ans. Le projet de constitution vient d’être approuvé par le Sénat et doit maintenant être soumis au référendum. Celui-ci ne semble pas poser de problème au pouvoir en place à Kigali, comme le démontrent le processus ayant initié ce projet, surtout dans le contexte actuel de restriction de toutes les libertés au Rwanda.

Hormis la volonté à peine voilée de maintenir le peuple rwandais sous le joug du FPR et, notamment, priver les rwandais de toutes les chances de justice, de vérité et de réconciliation, aucune motivation louable ne peut justifier cette transition septennale. Si l’on sait qu’entre 1994 et 2003 le Rwanda était en transition, où le pouvoir en place a pu préparer le terrain en vue d’exercer un pouvoir sans partage sur le fondement d’une constitution déjà taillée sur mesure, le Président de la République ne peut, au terme de deux mandats réguliers, justifier de rouvrir une autre transition. Si l’on sait que « transition » signifie, à bien d’égards,  « exception », il y a lieu de craindre que le régime ne mette à profit le septennat transitionnel pour amplifier davantage l’oppression du peuple.

En définitive, il est clair que le présent processus poursuit comme enjeu la pérennisation du pouvoir dans les mains du dictateur Paul Kagame.

SECTION II. UN PROCESSUS FRAUDULEUX ET LES ENJEUX INAVOUES

2.2.1. Un processus frauduleux

Le  régime de Paul Kagame  a mobilisé toute son administration territoriale, à tous les échelons (du village (umudugudu), en passant par la cellule jusqu’à la province) ainsi que les cellules spécialisées du FPR dans les organismes étatiques et sociétés privées, tous les religieux, les établissements scolaires,  associations pour terroriser la population en vue d’obtenir d’elle, sous la menace, des signatures individuelles au moyen d’un formulaire pré-rempli sous forme de pétition, demandant au parlement rwandais de réviser sans délai cet article 101 de la Constitution de 2003 qui limite irrévocablement à deux le nombre de mandats présidentiels.

Il faut remarquer que même les gens qui ne savent ni lire ni écrire ont signé sans savoir ni comprendre ce qu’ils signaient. D’autres ont été menacés d’être tués ou de perdre leurs emplois s’ils ne signaient pas. Même les prisonniers condamnés qui, selon la loi pénale, ont été déchus de leurs droits civils et politiques, ont été mis à contribution et ont signé ces pétitions sous menaces de mourir en prison s’ils ne signaient pas.

A la lecture du  formulaire en question, la révision de la Constitution n’est motivée ni par le souci de promouvoir l’État de droit, ni par la sauvegarde de l’intérêt général, mais plutôt par le maintien du prestige personnel de Paul Kagamé qui souhaite devenir, légalement, Président  à vie de la République du Rwanda. Le Président Kagamé montre très clairement son goût démesuré du pouvoir et son mépris de la constitution et du peuple rwandais terrorisé dont il extorque le consentement par la terreur de ses forces militaires et de sécurité ainsi que de son administration.

Tous les médias publics et privés n’ont relayé que la même chanson officielle dictée par le Chef de l’Etat et son parti. Dans l’un de ses rapports sur le Rwanda, Amnesty International dénonçait les restrictions de liberté et la persécution des opposants au régime. Parmi eux, le journaliste Fred Muvunyi. Ancien président de la Commission rwandaise des médias, il s’est récemment réfugié en Europe persécuté pour avoir posé des questions jugées difficiles aux autorités du FPR dans une émission sur la révision constitutionnelle en cours. Voici l’extrait de la première interview qu’il a accordée après sa fuite :

« Je devais partir en exil, parce que les citoyens n’ont aucun droit dans mon pays, même s’il n’y a pas de guerre ou de conflit ouvert. Il est vrai que le Rwanda a fait de grands progrès et peut être apprécié pour cela mais maintenant, nous voulons aussi une ouverture politique et la démocratie. »

Fred Muvunyi avertit, par ailleurs, qu’un amendement constitutionnel pourrait être fatal pour le Rwanda. Il estime que Paul Kagamé ne peut pas être président éternellement. Le langage malicieux de Paul Kagamé à l’adresse de la communauté internationale pour cacher sa volonté ferme de rester au pouvoir éternellement doit être dénoncé, selon Mr Muvunyi. Car, avertit-il, le référendum envisagé aura lieu dans les mêmes conditions de terreur. Il convient de ne pas lui accorder de l’importance, suggère-t-il.

2.2.2. Des enjeux inavoués : Un pouvoir illimité et sans partage

L’actuel processus de révision constitutionnelle est, bel et bien, un coup d’Etat constitutionnel qui  permettra à Paul Kagame,  non seulement de s’offrir un troisième mandat de sept ans, mais encore d’avoir la possibilité de briguer deux autres mandats de cinq ans. Le troisième mandat de 7 ans constitue un régime de transition qui n’est pas justifié. Il pourra encore rester 17 ans  au pouvoir. Et si l’on ajoute les 21 ans qu’il vient de passer à la tête du Rwanda, il aura totalisé 38 ans de règne.

En réalité, Paul Kagamé a peur pour les crimes contre l’humanité, voire de génocide, dont il se serait rendu responsable au Rwanda et au Congo (plus de 12 millions de morts et l’assassinat de  4 quatre chefs d’Etat dont il serait accusé : les Présidents Melchior NDADAYE  et Cyprien NTARYAMIRA du Burundi, Juvénal HABYARIMANA du Rwanda et Laurent Désiré KABILA de la RDCongo). Il souhaiterait donc s’assurer une impunité totale, lui et les soldats qui auraient exécuté ces crimes.  Il fait tout pour se cacher derrière l’immunité présidentielle que lui offre  la magistrature suprême pour échapper à la justice. Voilà le principal enjeu inavoué.

Les Rwandais (pouvoir et opposition) pourraient pourtant trouver des solutions politiques pour vider ce contentieux de graves crimes contre l’humanité au lieu de recourir à un coup d’Etat  constitutionnel. Ceci vise aussi à cacher l’incapacité politique de Paul Kagame à rassembler et à envisager des solutions politiques durables pour son pays.

Le FPR et Paul Kagamé souhaitent organiser un pouvoir sans partage et sans possibilité d’alternance pour toujours tant que l’armée nationale, la police et d’autres forces de sécurité seront dominées par une seule communauté des Rwandais à l’exclusion d’autres. Il s’ensuit que Kagamé et le FPR tireront toujours leur légitimité dans la force militaire, les textes de loi servant de façade pour continuer à bénéficier de l’aide internationale comme s’il s’agissait d’un régime politique qui respecte l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’homme alors qu’il n’en est rien.

TITRE III. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

SECTION I. CONCLUSIONS

3.1.1. Illégalité de la modification de l’article 101 :

L’article 101 de la Constitution actuelle écarte de la manière la plus péremptoire toute possibilité de dépasser deux mandats dans les fonctions de Président de la République. Le terme « en aucun cas» signifie qu’aucune circonstance ne peut justifier de rester au pouvoir plus de deux mandats successifs.

« En aucun cas », signifie que ni la volonté du gouvernement, ni l’Assemblée nationale, ni tout ou partie du peuple, ne peut, pour une raison quelconque, demander la démultiplication des mandats du Président de la République. L’empêchement est dirimant : aucune disposition de la Constitution ne saurait venir contredire et vider de sens l’article 101 de la Constitution. Maintenant, soutenir que l’article 193 accorderait un feu vert à modifier l’article 101 signifierait, en faits comme en droit, que le Constituant rwandais aurait voulu, en même temps, une chose et son contraire.

Au regard de la force obligatoire du terme « en aucun cas », une quelconque disposition de la Constitution qui viendrait en contradiction de l’article 101 serait nulle et de nul effet ; une telle disposition serait, en droit, une « clause réputée non écrite » et, comme telle, devrait être purement et simplement ignorée.

3.1.2 Conséquences de la modification:

3.1.2.1 Rejet d’alternance politique :

L’alternance politique est une garantie essentielle de l’exigence démocratique. La liberté et l’égalité des chances, notamment quant à la participation à la gestion de la chose publique constituent le meilleur reflet de l’Etat de droit. En rejetant l’alternance politique, la modification de l’article 101 devient un changement de complaisance, dans ce sens que même en ne le modifiant pas, Paul Kagame s’est tracé une voie vers un pouvoir à vie.

3.1.2.2 Violation des principes fondamentaux d’un Etat de droit :

La modification de l’article 101 pris conjointement avec l’article 172, fausse complètement les règles du jeu démocratique et du système électoral, viole les principes fondamentaux d’un Etat de droit, à savoir le respect des libertés et droits fondamentaux de la personne, la démocratie pluraliste, le partage du pouvoir, l’esprit de tolérance et la résolution des conflits par le dialogue. Ainsi la Constitution rwandaise aurait été vidée de tout son sens.

3.1.2.3. Institutionnalisation du FPR comme seul maître du terrain pendant 38 ans :

 Avec la modification de l’article 101 accompagné du 172, la gestion de la chose publique devient un champ exclusivement réservé à quelques dignitaires du régime du FPR pendant 38 ans (soit 21 ans écoulés plus 17 ans à venir). Leur but inavoué est de se mettre  l’abri de la justice et de la vérité, seules conditions requises pour une véritable réconciliation du peuple rwandais. D’où des risques liés à l’exercice personnel du pouvoir sans contrepoids pendant toutes ces années.

3.1.2.4. Non validité du référendum prévu (art.193)  au regard de la modification de l’art. 101:

Du fait même du processus frauduleux décrit ci-dessus au point 2.2.1, le consentement du peuple a déjà été vicié et le référendum populaire relatif à la modification qui en résulterait, ne saurait être valide car la fraude corrompt tout ( « fraus omnia corrumpit » = principe général du droit).

3.1.2.5. Période de transition non motivée et sans cause :

Si l’on sait qu’entre 1994 et 2003 le Rwanda était en transition, où le pouvoir en place a pu préparer le terrain en vue d’exercer un pouvoir sans partage sur le fondement d’une Constitution déjà taillée sur mesure, le Président de la République ne peut, au terme de deux mandats réguliers, justifier de rouvrir une autre transition. Si l’on sait que « transition » signifie, à bien d’égards,  « exception », il y a lieu de craindre que le régime ne mette à profit le septennat transitionnel pour amplifier davantage l’oppression du peuple.

SECTION II. RECOMMANDATIONS

3.2.1. Pour l’intérêt général du peuple rwandais, le président Paul Kagame devrait :

  • Terminer son mandat en 2017 et renoncer au renouvellement ;
  •  Permettre l’ouverture de l’espace politique ;
  •  Libérer tous les prisonniers politiques ou d’opinion ;
  • Réunir une conférence vérité-réconciliation ;
  • Déclarer une amnistie générale ;
  • Organiser le retour libre des réfugiés ;
  • Organiser de véritables élections démocratiques.

3.2.2. Les nouveaux responsables de la scène politique rwandaise devront prioritairement :

  • Assurer la sauvegarde de la légalité constitutionnelle ;
  • Assurer le respect des lois et des institutions ;
  • Construire un véritable Etat de droit où chaque rwandais a le droit d’exprimer librement ses opinions dans le respect de celui des autres ;
  • Avoir la liberté et l’égalité des chances quant à la participation à la gestion de la   chose publique ;
  • Veiller au respect du principe de la séparation des pouvoirs.

Bruxelles, 12/12/2015

Bukeye Joseph

Président de la Plateforme

[email protected]


[1]La plateforme est une coalition des organisations politiques AMAHORO P.C, FDU-Inkingi, PDP-Imanzi, PS-Imberakuri et IHURIRO-NYARWANDA–RNC; la plateforme est  ouverte aux autres organisations politiques qui adhèrent à sa vision et ses valeurs.

NOTRE VISION :  La Plateforme réaffirme que le Rwanda est une Nation indépendante. Nous voulons construire un Etat de droit respectueux de la vie humaine, des droits et libertés de la personne humaine; un pays caractérisé par une démocratie pluraliste et une justice indépendante; un pays sans discrimination aucune, qui privilégie le dialogue et la réconciliation, veille au respect mutuel entre les rwandais eux-mêmes , et les autres peuples; un pays qui privilégie un développement équitable, l’égalité des chances et une équité sociale; un pays avec une ouverture de l’espace politique et où les gouvernants rendent compte au peuple

NOTRE PLUS-VALUE

Nous apportons une plus-value:

  • Nous avons une nouvelle vision d’une Société Rwandaise dans laquelle la diversité constitue une richesse inestimable, où la vie humaine est sacrée ; où personne n’est victime ni de son ethnie ni de ses origines ou ni de son passé ;
  • Nous offrons un processus qui devra conduire vers un renouveau démocratique d’un peuple réconcilié où la citoyenneté est une réalité dans les institutions et dans tous les secteurs de la vie du pays, et où les gens se reconnaissent d’abord autour des idées politiques qu’ils partagent et non sur base de l’appartenance ethnique, clanique, régionale ou autres.