Par Clarisse Mukundente & Philibert Muzima
Il nous a été enlevé depuis peu mais il reste présent parmi nous plus que jamais. Que d’encre et de salive versés sur son sang d’innocent. Sa piété éclaire, son sourire rallume les étoiles. Son silence est éloquent et son absence éblouissante. Il est mort certes, mais il est plus fort mort que vivant et son aura dérange. En témoigne toute cette irritabilité symptomatique d’un mal intérieur, d’un problème de conscience. Sortir l’artillerie lourde pour se battre contre le silence, c’est un signe qui ne trompe pas.
Cette irritabilité est caractéristique d’un sentiment de culpabilité qui ronge les cœurs et les âmes. Une irritabilité symptomatique de malaises comme source d’une insomnie issue de l’absence de réponse à la question “Muryango wanjye, nagutwaye iki? Icyo se nakubabajeho ni ikihe? Ngaho nsubiza.”(Que t’ai-je fait mon peuple, que t’ai-je fait de mal, vas-y, réponds-moi) Comment profiter d’un sommeil réparateur lorsqu’on est constamment hanté par le cauchemar de cette voix d’outre-tombe réclamant une réponse? La seule chose que l’on puisse faire est de renoncer au sommeil et passer ses nuits à tenter d’éloigner ces visions.
Cette irritabilité fait qu’avec tant de fracas ressenti dans l’apaisement de la conscience, on mobilise une armée qui investit les journaux et les media sociaux, on lève une soldatesque composée de think tanks, de bulldozers et de bulldogs pour souiller l’héritage d’un saint homme.
Cette irritabilité explique le déploiement de tous ces camions à poubelle qui s’emploient à décharger leurs immondices sur son héritage, bien qu’ils n’arriveront jamais à en entacher la pureté.
Cette irritabilité explique toutes les tentatives de salissage par les uns et de récupération politique par les autres, par une réécrire biaisée et politiquement motivée du curriculum vitae d’un homme de paix et de pardon, d’amour et de réconciliation.
Les uns l’auront bannis, le traitant de traître. Mais non, il n’était pas traître. Il vivait sa foi qui l’invitait chez l’autre. Chez cet autre que nous haïssons tant et nous voulons infréquentable. Il allait auprès de lui, guidé par l’amour du prochain et non pas parce qu’il épousait son idéologie politique. Il allait vers l’autre parce qu’il voulait lui parler de paix, de pardon, d’amour et de réconciliation.
Les autres l’auront vu aller à leur rencontre et l’auront cru acquis à leur cause. Ils auront cru avoir repêché une recrue. Ils pensaient avoir en lui un bonne prise, une image de marque qui allait redorer leur blason. Et pourtant, il allait auprès d’eux par amour, pour prêcher la paix et le pardon, l’amour et la réconciliation.
Incompris jusqu’au bout, il sera victime de notre ignorance quant à sa détermination de briser les murs qui nous divisent. Il aura œuvré, toute sa vie durant, non pas à contourner ni à sauter les murs de nos deux solitudes, mais à les détruire et les remplacer par le pont/Iteme/Bridge menant les uns vers les autres.
Incompris parce qu’il avait en lui quelque chose de divin!
Mais qu’avait-il donc en commun avec son Seigneur qui le rendait si divin? Loin de nous l’idée de le comparer à Jésus-Dieu, on souligne ici son côté d’homme hors du commun qui a œuvré toute sa vie à marcher côté à côté avec Jésus-Homme, fils de Dieu qu’il a tant chanté. En effet, plus du trois quarts de ses chansons avait une portée religieuse
Kizito est né le 25 Juillet 1981 à Kibeho. Cinq mois plus tard, la Mère du Rédempteur, la Sainte-Vierge Marie apparut à 3 filles dans ce village où il est né. Était-elle venue nous le donner en cadeau et nous dire comme il fut dit de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien–aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » (Mt 3, 17)? Il s’agit d’une petite ville très pauvre nichée au fin fond de l’ancienne préfecture de Gikongoro. Une préfecture de parias où les gens étaient considérés comme étant non-civilisés. Un clin d’œil à Jésus qui est de Nazareth, un petit faubourg à la phrase légendaire de la bible exclamant : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon? »
C’est à douze ans que Kizito, parait-il, aurait composé sa première chanson. Cela rappelle Jésus de Nazareth qui, à 12 ans déjà, débattait dans le synagogue avec les Docteurs des lois. Kizito mourut à l’âge de 38 et allait avoir 39 ans dans quatre mois, le même âge où Jésus nous quitta, étant né six années avant l’ère chrétienne.
Du temps de Jésus, la Palestine vivait sous tension. Le pays était occupé par l’empire Romain et pleinement romanisé avec l’introduction d’activités en provenance de cette culture comme les combats de Gladiateurs. Ceci créait des tensions au sein de la population locale. Il y eut beaucoup de groupuscules de rébellion. C’est ainsi qu’au moment de la naissance de Jésus, les Juifs ont cru avoir reçu le Sauveur qui viendrait les débarrasser du joug de l’occupation romaine. Mais Jésus avait une autre mission : il n’était pas venu pour combattre qui que ce soit. Il était venu annoncer la Bonne Nouvelle de paix et d’amour. Il a prêché l’amour du prochain, même auprès de son ennemi. Il n’était pas venu pour les Juifs seulement, mais aussi pour les étrangers et les païens. Jésus fut ainsi considéré comme un traître par les siens et comme un agitateur et un terroriste par les Romains. Il est mort pendu.
De son côté, Kizito est né au Rwanda, un pays qui a connu le Génocide. Il avait alors douze ans. Il réussit à s’échapper de sa région natale en se rendant jusqu’au Burundi. Malgré les efforts des autorités pour rétablir la sécurité, le Génocide laissa des traces indélébiles. D’un côté, nous avons les rescapés du génocide et de l’autre, leurs bourreaux. Kizito est un rescapé du Génocide.
Sans avoir eu, tout comme Jésus, ni femme ni enfant, il aura réussi à conquérir les cœurs de la gente féminine. Il aura également popularisé, comme Jésus, la fameuse phrase : « Laissez les enfant venir à moi ». (Mt 19, 14).
Très tôt, il parvint à panser ses plaies pour aller vers l’autre, vers une vrai réconciliation. Un ami de la famille a raconté comment, dès l’âge de douze et de retour du Burundi, il jouait avec les enfants de parents génocidaires établis dans son village. Tandis que les plaies étaient encore vives pour beaucoup et que les gens attribuaient les péchés des parents à leurs enfants, Kizito voyait en eux des êtres humains qui n’avaient rien à se reprocher.
Il chanta des hymnes de Paix et de Réconciliation. Il prêcha l’importance d’une transformation de l’intérieur (du soi) avant de se tourner vers les autres. Dans une de ses chansons, il exhorte qu’on se réconcilie avec Dieu, mais seulement après s’être réconcilié avec les autres et, avant cela, l’avoir fait avec soi-même. Ainsi, comme Jésus, Kizito a transcendé tous les clivages ethniques et surtout les clivages rescapés/bourreaux. C’est à ce moment que tous ses problèmes commencèrent.
On dira de Kizito qu’il était naïf, maladroit. Il n’était pas diplomate et n’était surtout pas manipulateur. Et c’était ainsi mal parti dans un pays qui a érigé l’hypocrisie en dogme de foi : « Quelqu’un te cache qu’il te hait et tu le caches que tu le sais ». Certaines de ses chansons dénoncent nos valeurs trop axées les « m’as-tu vu » : honneurs, succès, argent, appât du gain, mensonge, vengeance….
Il n’a pas cherché à jouir de sa notoriété : il ne voulait que chanter son Dieu et que son Rwanda soit réconcilié par le Christ. Il a ainsi dérouté et échappé à tout le monde, ne voulant appartenir à quelconque groupe. Kizito a d’abord le souci de réconcilier et de sauver ceux qui sont perdus. Il ne fait pas chœur avec la société rwandaise avec son système d’identification par exclusion. Il ne respecte pas les règles ni les antagonismes qui structurent notre société. Il déboussole, son comportement est dérageant, dans la mesure où il introduit une logique de réconciliation à l’opposé de celle déjà en place. Il n’incarne pas la réconciliation comme théorie mais comme une réalité quotidienne. Son message est concret, voilà la difficulté. Sa Parole prend corps et cela attire l’attention. Il n’y a pas de troisième voie, il faut choisir son camp : avec ou contre lui.
Tel un Jésus de son temps, il est considéré comme un agitateur, un terroriste, dans un pays qui est sur le qui-vive en raison du déploiement de petits groupuscules armés ici et là sur ses frontières. La suite, on la connaît : la théorie officielle dira qu’il trouvera la mort pendu comme Jésus.
Mort au nom de la Paix et de la Réconciliation.
La mort de Kizito a causé un traumatisme collectif incommensurable. Le séisme causé par sa mort s’est fait sentir même très loin de son épicentre du Rwanda jusqu’en Amérique latine. Au moins 21 pays ont relaté sa mort dans leurs journaux. Partout, il était montré comme un homme de Paix et de Réconciliation. C’est après sa mort que Kizito s’est révélé à nous. Et encore une fois, ce triste évènement a confirmé que malgré son message, le Rwanda n’est pas réconcilié. Il ne fait pas l’unanimité et divise la société rwandaise en deux partis de confrontation.
La haine qu’une partie de la population éprouve pour Kizito est directement proportionnelle à l’amour et l’admiration que lui voue une autre frange de la population. Tandis que d’un côté, on l’efface de la mémoire collective, de l’autre, on se l’arrache comme des petits pains chauds, chacun voulant partir avec un petit morceau de sa chasuble. Adulé par le peuple, il sera, comme Jésus, condamné par l’establishment et, tout comme le fils de Dieu, plus adoré loin de chez lui.
Comme au temps de Jésus, c’est après sa mort seulement qu’on a découvert à quel point il était un grand Homme, plus grand que nature et que son œuvre est monumentale. Par conséquent, plusieurs courants pointent à l’horizon chacun s’identifiant à lui. Que plusieurs courants naissent après Kizito, c’est normal, cela montre l’ampleur du personnage. Cependant, comme Kizito l’exprimait lui-même, « le message est plus important que le messager ». Mais quel est ce message? Il est à la fois simple et ambitieux : « Le Rwanda réconcilié par le Christ ».
La philosophie de Kizito est de dépasser tous nos clivages et d’être des humains. Dans toutes ces chansons, il a prêché la paix et le pardon, l’amour et la réconciliation. Entre nous-même d’abord, envers notre prochain ensuite, et finalement avec Dieu. Kizito a montré que la transformation intérieure se veut individuelle avant d’être collective.
C’est donc à chaque individu qu’il appartient de faire d’abord une introspection, de dépasser toute division et ensuite, d’aller vers les autres avec un cœur rempli d’amour, de paix et de pardon. C’est comme ça que nous serons magnifiquement HUMAIN comme il l’a été.