Banana papers, bellicisme, médailles et puis… rien !

Ainsi donc mon président, sous le couvert de ses hommes de paille, a, à l’instar d’un vulgaire maffioso, planqué de gros sous dans un lointain paradis fiscal que vient juste de découvrir des journalistes audacieux. C’est la dépêche de la semaine même si elle a été superbement boudée par la presse nationale et qu’elle est loin d’être la seule information qui préoccupe les observateurs du « miracle » rwandais. Il y a également ces propos belliqueux (à l’adresse du Burundi) qui, décennie après décennie, prennent, dans la bouche de mon général-président, une allure de pléonasme. Il y a enfin cette honte exposée par un journal local (Umuseke) et qui souligne les conditions de vie plus qu’indécentes d’une « juste » qui a risqué sa vie en cachant des compatriotes menacés par la folie génocidaire de 1994.

Panama Papers. Qu’en dire ? Des dirigeants d’un pays partiellement « assisté » – le nôtre – qui ont le toupet de placer des grosses sommes d’argent sur des comptes offshore. Oui, qu’en dire ? La honte ? Non, ce serait un doux euphémisme. Tout simplement car le champion autoproclamé du patriotisme rwandais (Fpr, vous vous souvenez ?) et d’une variante populiste du panafricanisme aura du mal à convaincre demain des étrangers à venir investir chez nous sous l’éternel prétexte d’un bon score en Doing Business… Un ami internaute utilise souvent le terme de banana republic pour qualifier la gestion actuelle du pays ; pour le contredire, il nous faudrait aujourd’hui des preuves que cet argent a été rapatrié et que la ou les personne(s) qui ont ainsi saigné le pays en paie(nt) le prix. Curiosité naïve : que compte faire mon président avec toute cette fortune ? Question subsidiaire : qu’en avait fait, en leur temps et (surtout) après, les Mobutu et Kaddafi ?

Etat de manque (de guerre). L’état de manque est un terme généralement employé pour décrire un ensemble de signes qui témoignent du manque que ressent un toxicomane lorsqu’il est en sevrage de drogue. Répondant récemment à la question d’un journaliste, mon président a déclaré : « Des informations me parviennent en faisant état de voisins qui s’apprêteraient à appuyer une attaque des Interahamwe contre le Rwanda. Si seulement ils pouvaient faire vite, tellement j’en meurs d’envie ». Carrément. Les voisins en question sont les Burundais et cela n’est pas sans rappeler une autre phrase prononcée par le général Kagame en 2013 : « give me a fight » avait-il alors dit à ses officiers. Il s’en prenait à l’époque à un autre voisin, la Tanzanie du président Kikwete qui venait de mettre fin à l’aventure M23 et qui prônait le dialogue comme voie de solutionner le problème des rebellions qui pullulent dans les Grands lacs. La guerre de Tanzanie n’a finalement pas eu lieu, mais avec cet état de manque qui perdure, pourra-t-on éviter celle de Bujumbura ?

Karuhimbi Zura. Ce nom ne (vous) dit probablement rien, mais à lui seul, il symbolise la fourberie des ceux qui claironnent « plus jamais ça » alors que la courageuse Karuhimbi vit comme une paria dans un pays qui n’a eu que des médailles à lui offrir. La presse nous rapporte en effet que cette vieille de 98 ans a fait quasi l’impossible en procurant des cachettes à des compatriotes qui étaient pris en chasse par la meute impitoyable des Interahamwe qui ensanglantaient le pays en 1994. Au vu de la demeure de cette femme, on se croirait dans le roman de Ferdinand Oyono (Le vieux nègre et la médaille) avec, dans le rôle de Meka, la vieille Karuhimbi. Ne serait-ce que pour souligner la détermination à combattre le mal et la reconnaissance à tous ceux qui s’y engagent, le gouvernement aurait dû aider cette pauvre héroïne à bien se loger. Je parie qu’un millionième de ce qui a été viré sur les comptes au Panama aurait amplement suffit à reloger dignement cette Juste. Les décorations c’est bien, la décence, c’est encore mieux.

Cecil Kami