Charlie ou Chambucha ?

Alors qu’un drame survenu dans l’Hexagone oblige depuis quelques jours la planète entière à se positionner en « Charlie » ou « Pas Charlie », il y a lieu de refuser, de se révolter même contre ce diktat de l’émotion artificiellement créée et entretenue par les journalistes. Voici en effet des lustres que les faits sont systématiquement présentés par certains médias non pas en fonction de leur vraie place dans l’histoire, mais en fonction de l’émotion qu’ils vont susciter. Ainsi donc, puisque la terreur s’est abattue sur les collaborateurs d’un journal aux provocations pas toujours justifiables, le monde entier devrait pleurer… Les « Charlie », certes, ne méritaient pas du tout de périr pour leur style éditorial, mais avant eux, des milliers de terriens avaient été assassinés sans que les mêmes opinions (aujourd’hui révulsées) ne versent une seule goutte de larme. Disons clairement halte à ce nombrilisme méprisant, même manifesté dans des circonstances humainement douloureuses.

Lorsque la folie des frères Kouachi s’en prend aux collaborateurs de Charlie Hebdo, la grande puissance de ce monde, les Usa, suivie par l’Organisation des nations unies appelaient elles aussi au meurtre. Oui, ils étaient en train d’« exiger » que des opérations militaires soient menées contre les réfugiés rwandais vivant en République démocratique du Congo, sous prétexte qu’en leurs rangs figurent des membres de la rébellion Fdlr… Quels média pour dénoncer, avec des images choquantes, cette folie préméditée et annoncée impunément ? Aucun. Comme si ces pauvres n’existaient tout simplement pas. Comme si leurs vies ne valaient rien. Comme si après Chambucha (prononcez ‘tshambutsha’), ces malheureux devaient encore payer quelque tribut aux caprices géostratégiques des Américains ainsi que de leurs alliés de la région. Enfin, comme si le mapping report n’avait été confectionné et publié que pour apaiser certaines consciences à New York, Washington, Ottawa et Londres.

Chambucha donc. Pour ceux qui ont lu la fameuse « brique », en son point 228 (page 104), il est écrit ceci : « Vers le 9 décembre, des militaires de l’AFDL/APR ont intercepté et exécuté plusieurs centaines de réfugiés rwandais dans les environs du village de Chambucha, situé à 4 kilomètres de Hombo. Les victimes, parmi lesquelles se trouvaient un grand nombre de femmes et d’enfants ont été tuées par balles ou à coups de marteau et de houe sur la tête près d’un pont au-dessus de la rivière Lowa. Avant de les tuer, les militaires de l’AFDL/APR avaient promis aux réfugiés de les rapatrier au Rwanda avec l’aide du HCR. La plupart des corps ont ensuite été jetés dans la rivière Lowa ». A coups de marteau et de houe sur la tête ! Bien sûr après cette localité de Chambucha, les massacres se sont poursuivis vers Tingi-Tingi et même jusqu’à la frontière ouest de la RDC, c’est-à-dire le fleuve Congo. Le même monde qui pleure aujourd’hui Charlie a dû attendre 2010 pour « apprendre » que 300 000 Rwandais avaient été massacrés et, même dans ce cas-là, les journaux n’ont personne mobilisé. Alors Charlie ou Chambucha ?

A défaut de militer pour un droit à une couverture médiatique et contre une ségrégation des drames humains, dénonçons ces hypocrites qui pleurent les enfants du voisin alors qu’en leur maison la mort a élu demeure. Voyez le président sénégalais Macky Sall ! Il défile en « Charlie » à Paris et, à peine rentré chez lui à Dakar, il interdit la parution de Charlie Hebdo ! A quoi aura donc servi ses larmes de crocodile ? Un autre de ses pairs (qui n’a pas fait le déplacement) s’est déclaré solidaire du peuple français alors que la mort de Jean-Léonard Rugambage du journal Umuvugizi pèse toujours sur sa conscience. Tiens, il paraît que lui serait un ange venu sauver le peuple rwandais, mais ça c’est une autre histoire et nous y reviendrons. En attendant, réservons à ce pharisianisme le sort qu’il mérite bien puisque « charité bien ordonné commence par soi-même »…

Cecil Kami