Je vais oser défendre quelqu’un que l’avis général dans mon Rwanda natal a déjà condamné.

Aimable Karasira Uzaramba

Là où j’aurais pu rester spectateur, je suis responsable, rien n’est plus théâtre, le drame n’est plus jeu. Tout est grave » Emmanuel Levinas.

Je reprends cette phrase d’Emmanuel Levinas pour exprimer ce que mes propres mots ne peuvent aisément exprimer. Je vais oser défendre quelqu’un que l’avis général dans mon Rwanda natal a déjà condamné comme l’intéressé l’a déclaré lui-même. Je vais, tel Cicéron pour Murena ou pour Milone, défendre le cas d’un professeur d’université, qu’un ministre voudrait voir chasser de son travail. Je voudrais, chers amis facebook, parler pour quelqu’un qui n’a pas manqué de le demander. Aimable Karasira de son nom, a crié fort sa douleur. Il a manifesté son inquiétude face au pouvoir d’un ministre qui a dernièrement prononcé le pire avant-dernier mot précurseur de la mort de Kizito Mihigo.

Karasira Uzaramba a crié haut et fort : « je sais que je vais mourir, ma famille a été massacrée en 1994, en partie par le pouvoir génocidaire et en partie par ceux qui ont fini par prendre le pouvoir par la suite. Depuis, j’ai eu dur à vivre une situation complexe où je dois condamner et les génocidaires et ceux qui leur ont succédé. J’ai vécu ce traumatisme de devoir condamner à la fois ceux que d’autres appellent des libérateurs sans épargner leurs prédécesseurs génocidaires. J’ai conclu que le Rwanda est invivable pour moi, que je ne voudrais pas m’y marier et avoir de la progéniture. Bien mieux, rien ne me sert à épouser une rwandaise et avoir des enfants rwandais qui peut-être feront ce que j’ai vécu ou subiront le même sort que moi. »

La semaine passée, ce discours, pourtant prononcé en 2019, a été repris avec véhémence et cruauté par un ministre connu pour son habitude à clouer au pilori tous ceux qu’il estime ne pas convenir au parti au pouvoir auquel il a adhéré. Pour ce Ministre, puisque Aimable Karasira ne veut avoir des enfants rwandais, il n’a pas droit de donner cours aux étudiants rwandais à l’université. D’où il doit impérativement être écarté de son poste de professeur assistant.

L’on se souviendra que ce même ministre, alors qu’il était encore parlementaire, avait failli faire tomber un collègue parlementaire sur base de fausses accusations issues de propos contre feu le ministre Mucyo que pourtant le député n’avait pas prononcés. L’on n’oubliera pas non plus la saga créée par le ministre en question contre une artiste qui avait condamné l’usage de la drogue par les jeunes au Rwanda.

Le pire et fatal engagement connu du ministre aura été ses propos haineux voir criminels contre l’artiste Kizito Mihigo, propos qui auguraient de sa mort et qui ont abouti aux fins escomptées visiblement par le ministre.

Puis-je me taire et fermer les yeux devant la nouvelle montée en charge du ministre dont l’action contre Karasira peut aisément précéder la pire des scènes comme celle du 17 février 2020? Conscient que mon silence serait complice, j’exhorte l’autorité suprême à ne pas écouter ce ministre qui se plaint souvent d’être accusé par ses collègues alors qu’il ne cesse d’attirer la haine contre des citoyens visiblement sans défense.

J’aurais aimé rédiger mon propos en Kinyarwanda mais j’ai eu peur de voir mon indignation s’enflammer et m’enfoncer dans l’indécence, dans ma langue natale, sans que mon esprit y soit porté. J’ai aussi voulu, non pas m’exprimer en Kinyarwanda tout comme Karasira qui ne se sent pas obligé de se marier avec une compatriote, mais écrire dans une autre langue. Ne serait-ce pas une opportunité, pour le ministre en question, de demander que je sois déchu de ma nationalité de naissance?

Si par le passé ma conscience m’a régulièrement poussé à être conciliant, aujourd’hui je n’ai pas envie de supporter les propos comme ceux de ce ministre. Car en effet, au lieu de prêter attention à la douleur d’une personne éprouvée comme Karasira, il juge mieux de l’enfoncer de nouveau dans le gouffre malgré les efforts que ce jeune avait fait pour se sortir d’un traumatisme qui dépasse son jeune âge.

Je rappelle à notre auguste ministre que Karasira a été orphelin à 14 ans. Qu’il a malgré tout suivi avec brio toutes ses études aussi bien secondaires que supérieures. Je rappellerais à ce ministre que ce travail dont il veut faire chasser Karasira Uzaramba est le fruit d’un combat gagné durement par un orphelin qui n’a bénéficié d’aucun soutien ni matériel ni moral .Je rappellerais à son excellence le ministre, que si pour lui le licenciement de Karasira est une victoire, pour la société rwandaise il sera une cruauté de trop dont tout homme raisonnable aurait souhaité se passer.

Je demanderais aux autorités académiques de ne pas considérer les souhaits du ministre en question comme des ordres mais plutôt comme un motif suffisant de permettre à Karasira de poursuivre sa formation universitaire en Informatique et faire de lui un professeur à part entière pour le Rwanda et la Région. Je demanderais que loin de faire subir le pire à Karasira, que l’université prenne conscience des blessures dont souffre un grand nombre de rwandais qui ne savent pas les exprimer. Qu’à travers le cas Karasira un observatoire soit créé par l’université pour gérer des traumatismes liés au génocide et à ses conséquences ainsi qu’au contexte de guerre dans lequel il a eu lieu.

Ne chassez pas Karasira Uzaramba de son poste de professeur, prenez son cas comme un cas d’étude pour l’avenir de toute la jeunesse du pays. Je plaide la lucidité, l’humanité et le bon sens pour le cas de Karasira.

Aho kwica Gitera nimwice ikibimutera.

Murakarama

Jean Claude NKUBITO

30 Juillet 2020