Un long chemin semé d’embuches, de pentes raides et de précipices qui ne découragent pas les siens. Ils ont raison!
Le mercredi 3 juin 2020 la cour d’appel de Paris a donné son accord pour que Félicien Kabuga soit transféré devant le MTPI. Elle a donc confirmé la validité du mandat émis à l’encontre de cet homme, poursuivi pour son rôle présumé de financier du génocide de 1994. Mais sa défense et sa famille ne l’entendent pas de cette oreille, loin de là. Ils vont saisir la cour de cassation et ils ont raison.
Je ne suis pas juriste, je ne suis ni membre de la famille Kabuga, ni membre de la famille Habyarimana mais on ne peut pas être insensible à ces genres d’évènements et à la façon dont ils sont menés surtout quand on est Rwandais. C’est le Rwanda, son histoire et son avenir qui sont en jeu. Comprenez donc que l’enjeu est de taille.
Cependant, dans le déroulement de ces procédures, quelque chose a interpellé plus d’un. En effet, Félicien Kabuga ne parle pas français et même quand il parle dans sa langue maternelle il est difficilement audible pour des raisons de santé.
On voit que cet homme est gravement malade et qu’il a besoin d’être mis en liberté conditionnelle pour être bien soigné dans un environnement propice. Les juges ont balayé cette éventuelle libération conditionnelle du revers de la main, « il y a risque de troubles à l’ordre public », ont-ils déclaré.
Félicien Kabuga ne parle pas français, disais-je, il avait donc besoin d’un interprète. La justice française lui en a trouvé une. Cependant, quelques questions se posent :
-Qui a trouvé cette interprète ?
-D’où est-elle venue ?
-Est-elle assermentée ? Et si oui, est-elle la seule à être assermentée en France?
-Est-il vrai qu’elle venait accompagnée par la voiture de l’Ambassade du Rwanda et qu’elle repartait avec la même voiture ?
Si cette dernière question s’avérait affirmative, ce serait grave. Et pour cause ! Vous accusez quelqu’un et vous avez l’autorisation de lui servir d’interprète devant les juges à qui vous demandez « de lui couper la tête ? ». On ne peut à la fois être juge et partie. De qui se moquerait-on?
À la suite de la prononciation de la décision du transfert de Félicien Kabuga à Arusha, la partie adverse, une fois sortie de la salle d’audience et du tribunal, a sauté de joie et presque tout le contingent s’est retrouvé dans un bar en face du tribunal pour fêter « l’Instinzi » en chantant à l’unisson « Ndandambara yandera ubwoba ». C’est tout à fait normal. N’ont-ils pas eu ce qu’ils demandaient ? N’ont-ils pas eu le transfert de Félicien Kabuga à Arusha ?
Seulement voilà, la route pour le transfert s’annonce encore longue qu’ils ne le pensent. Il est vrai que dans l’immédiat rien ne change pour Félicien Kabuga. Malgré sa souffrance physique manifeste, les juges n’ont manifesté aucune compassion, aucune empathie pour lui. Il reste en prison.
Pendant ce temps, sa défense dispose de dix jours pour déposer un recours auprès de la Cour de cassation pour tenter de faire annuler la décision du transfert de Félicien Kabuga. La Cour de cassation aura donc deux mois pour statuer. Que dira-t-elle. Va-t-elle confirmer ou infirmer la décision ? Demain sera un autre jour. La seule chose qui est sûre est qu’on entre dans un processus qui risque d’être long. Voilà pour ce qui est de la procédure.
Maître Laurent Bayon, l’avocat de Félicien Kabuga n’y va pas par quatre chemins en réagissant sur la décision des juges d’autoriser le transfert de son client à Arusha :« Je m’attendais à cette décision, on est dans un contexte extrêmement politique », a-t-il déclaré devant les journalistes. Comprenez donc, le combat est difficile mais nous allons nous battre jusqu’au bout.
Revenons sur le fonds des accusations qui sont portés contre Félicien Kabuga, 87ans et considéré comme le « financier » du génocide au Rwanda. La justice internationale souhaite le juger pour son implication dans cette folie meurtrière qui a endeuillé le Rwanda.
Félicien Kabuga n’a jamais refusé d’affronter la justice. Il a toujours souhaité faire face à une justice impartiale et équitable. C’est d’ailleurs ce qui justifie ces longues années de cavale. Aujourd’hui, il souhaite être jugé en France.Ouvrons la parenthèse. Sur son site Alain Gauthier écrit : « Dans une pétition adressée aux plus hauts responsables de la planète, ses amis réclamaient « la justice pour Kabuga ». Et Alain Gauthier de conclure en se demandant s’il n’est pas légitime de se demander pourquoi le « financier du génocide » a attendu 26 ans et son arrestation pour réclamer d’être jugé en France ?Ce qu’on peut reprocher à Alain Gauthier, qui milite pour traquer les génocidaires des Tutsis, c’est qu’il ne veut toujours pas inclure dans son périmètre ou dans son angle d’attaque, les massacres commis par ses amis. S’il essayait d’être moins militant et moins partisan ce serait parfait car le combat qu’il mène avec acharnement depuis des années est louable.
On sait qu’il a été démontré que dans ces tueries, il y avait aussi des membres de la rébellion d’alors qui participaient aux massacres, on sait aussi qu’il y a eu des hutus qui ont été massacrés parce qu’ils étaient hutus. Alors, le jour où Alain Gauthier va s’occuper de cet autre côté du mur. Il aura franchi un pas de géant.
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’un autre représentant d’une organisation du même acabit avait déclaré qu’« évoquer le sang de Hutus, c’est salir le sang des Tutsi ». Ce sont ces genres de visions et d’analyses subjectives, partiales et parfois partisanes et biaisées qui suscitent méfiance et appréhension et qui continuent à creuser un fossé de haine au sein du peuple rwandais. Fermons la parenthèse.
Revenons sur l’acte d’accusation dont fait l’objet Félicien Kabuga. Au fur et à mesure que les procès avançaient et puisque plusieurs accusés se retrouvaient avec le même acte d’accusation que celui de Félicien Kabuga, l’acte d’accusation s’est écroulé comme le château de carte.
Ce qui veut dire que de l’acte d’accusation initial, plus rien ou presque ne reste. Quitte à ce que l’accusateur public introduise des éléments nouveaux. Il l’a fait. D’autres chefs d’accusations ont été introduits dans le dossier.
Et pourtant, on sait que pour faire un acte d’accusation, le procureur doit appuyer chaque chef d’accusation par des éléments probants. Il peut s’agir des témoignages ou autres preuves documentaires.
C’est sur base de tels éléments que le procureur avait établi l’acte d’accusation initial contre Félicien Kabuga et plusieurs autres coaccusés en 1995.
Cet acte d’accusation a sans doute été modifié plusieurs fois en tenant compte des opportunités d’arrestation des coaccusés de M. Kabuga Félicien.
Lors de la clôture de ses travaux, le TPIR a été remplacé par le Mécanisme Résiduel des Tribunaux Pénaux Internationaux (MTPI). Ce mécanisme doit juger les accusés sur base des actes d’accusation établis par le procureur du TPIR au milieu du mandat du Tribunal.
Dans l’affaire Kabuga, l’accusation contre lui « d’entente en vue de commettre le génocide, son appartenance supposée au réseau 0 dit l’Akazu qui aurait préparé le génocide, son incitation directe et publique à commettre le génocide (émissions de la RTLM), ainsi que l’importation des machettes… Toutes ces accusations ont été balayées par la défense dans les affaires Bagosora, Zigiranyirazo et Nahimana.
Pour se rattraper, le parquet a rajouté des nouvelles accusations sur les « prétendus meurtres commis par Félicien Kabuga et ses hommes de main non loin de sa résidence à Kimironko.
Du point de vue juridique, il s’agit d’une accusation rétroactive en violation du statut et du règlement du TPIR et du MTPI ainsi que d’autres instruments internationaux de défense des droits de l’homme.
Le TPIR/ MTPI étant une émanation d’une résolution du Conseil de sécurité dans le cadre du maintien de la paix et la sécurité internationale, cette juridiction ne devrait pas violer le droit international pour faire plaisir à je ne sais qui. Ces nouvelles charges devraient être retirées de l’acte d’accusation. Sinon on aura droit à un autre défilé des témoins à charge fabriqués pour faire condamner un homme innocent et enterrer la vérité. Quel gâchis pour la justice !
Félicien Kabuga est vieux, malade, il a subi plusieurs opérations médicales en France. Maître Laurent Bayon, son avocat, a insisté sur la question de la santé de son client : « La question de sa santé est essentielle » a-t-il déclaré. Et Madame le procureur, l’accusatrice publique, de retorquer que «la prise en charge médicale de monsieur Kabuga sera meilleure auprès du Mécanisme à Arusha. Les juges ont suivi les souhaits et/ou les ordres du Procureur, c’est selon.
-Félicien Kabuga a-t-il commis les crimes dont il est accusé ?
-Est-il un mafieux crapuleux abominable comme l’écrivent certains pour mériter ce traitement inhumain ?
Bien que son transfert au MTPI ait obtenu le feu vert, le chemin est un long, la pente est raide et le précipice est profond. Cependant, Maître Laurent Bayon et la famille de l’intéressé veulent continuer à pédaler et aller jusqu’au bout. Ils ont tout à fait raison.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la justice française est aux ordres de je ne sais qui, mais je dis seulement que nous sommes les uns et les autres des miroirs dans lesquels nous projetons et nous réfléchissons. Certains miroirs embellissent pendant que d’autres enlaidissent. Mais, il y a d’autres encore qui fléchissent tout simplement en révélant des pistes. Lorsque la confiance manque, la loyauté disparaît ; disait Lao Tseu.
Pour paraphraser Kubwimana Mureme Bonaventure du MCR et mon mentor au Ministère du plan au Rwanda, oui, l’arrestation de Félicien Kabuga est un fait historique. Alors, mon vœu de toujours est que son procès soit un procès pour l’histoire !
Jean-Claude NDUNGUTSE
Sociologue/Enseignant