Le discours belliqueux de Kagame:un arbre qui cache la forêt

Par Ben Barugahare

Paul Kagame : « Quiconque nous souhaite la guerre, nous la lui donnons ». Quelques jours après la réouverture des frontières entre le Rwanda et l’Ouganda, le président rwandais Paul Kagame a, devant le parlement, annoncé la normalisation des relations avec le Burundi. Une annonce accompagnée d’un message étonnant à l’encontre de la RDC alors que ses rapports avec Felix Tshisekedi sont au beau fixe.Kigali est-il réellement préoccupé par sa sécurité ou par d’autres visées non avouées? La présente analyse a pour fin de discuter les véritables implications du message belliqueux du président Rwandais. 

Mardi, le président rwandais Paul Kagame a visité, sans annonce préalable, le parlement rwandais. Kagame y a tenu un discours de près de 50 minutes, lors duquel il a parlé de sécurité régionale et, surtout, des relations du Rwanda avec ses voisins.

« Ce que nous espérons, c’est la paix pour notre pays, pour la région, et pour tous. Mais pour ceux qui veulent la guerre avec nous, nous sommes prêts à nous battre. Nous avons une armée qui est entrainée à le faire et qui le fait bien, que ce soit ici ou à l’étranger », a déclaré Paul Kagame.Le chef d’Etat rwandais se félicite-t-il de la réussite de son intervention militaire au Mozambique ? Menace-t-il un pays voisin ?Difficile d’interpréter les déclarations du président. Car s’il est sûr que Paul Kagame aime parler, et n’est pas connu pour avoir la langue dans sa poche, son discours sonne comme une menace.

Le 31 janvier, les frontières entre l’Ouganda et le Rwanda ont été ouvertes à nouveau. Si la volonté de rétablir le bon voisinage, de la part de Kampala, est compréhensible, le chef d’Etat rwandais, lui, n’a pas manqué de conditionner cette normalisation diplomatique : « Il ne faut pas oublier que ces frontières n’ont pas été fermées sans motifs. Et nous continuerons à travailler avec l’Etat ougandais à résoudre nos différends », a affirmé Kagame.

Quant au voisin du sud, le Burundi, Kagame a annoncé la normalisation des relations avec le Gitega « dans un proche avenir ».

Ainsi donc, tout semble aller bien dans le meilleur des mondes.Mais alors à qui donc Kagame dit-il vouloir faire la guerre ?Sans nul doute,Kagame dans son discours, menace à demi-mots la République Démocratique du Congo (RDC).Pour rappel, Paul Kagame avait protesté contre son exclusion de l’accord militaire entre Kinshasa et Kampala. L’opération conjointe des FARDC et de l’armée ougandaise, dans l’est de la RDC, relèverait selon le président rwandais de la sécurité de son propre pays.Kagame avait dénoncé, début février, le fait que les rebelles des Forces Démocratiques Alliées (ADF) continuent d’agir « en toute impunité ».

Kigali ne s’en est jamais caché : le Rwanda voulait absolument participer à l’opération dans l’est congolais. Kagame avait même menacé d’intervenir unilatéralement. « Il y a des moments où nous plaidons, il y a des moments où nous demandons, mais si besoin est, nous agirons », a indiqué le président rwandais ce 8 février. Selon lui, il « existe un lien entre les ADF, les FDLR et plusieurs autres groupes terroristes armés ». Et Kagame déplore aussi que « certains proches des rebelles du M23 sont au gouvernement, à Kinshasa, ou vivent en RDC ».Mais alors que la RDC et l’Ouganda ne cessent de se rapprocher, le Rwanda risquera-t-il de mettre à mal son désenclavement diplomatique en lançant les hostilités contre la RDC ? En tout cas, les propos de Kagame ont suscité une grande colère en RDC, même si sa relation avec Félix Tshisekedi est au beau fixe.

Une présence rwandaise informelle

La mise en place officielle, le 30 juin 2003, des institutions de transition regroupant tous les belligérants devait signer la fin des hostilités et le lancement du processus de démocratisation. Ce processus a abouti à l’adoption d’une nouvelle constitution et à l’organisation d’élections générales en 2006. Les différents groupes armés rebelles, comme le RCD et le MLC, se constituent alors en partis politiques et leurs troupes sont intégrées aux forces armées congolaises, ce qui fut une réussite relative du processus de démocratisation. Les incursions rwandaises directes ou par milices interposées n’ont pas cessé pour autant. Que ce soit en soutien au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du chef de guerre Laurent Nkunda en 2008 ou au Mouvement du 23 mars (M23) en 2012, le Rwanda a continué d’apporter un appui de taille à des mouvements rebelles qui déstabilisent la RDC et y commettent des crimes contre la population. Alors que le gouvernement rwandais s’était engagé à Nairobi le 9 novembre 2007 à prendre toutes les mesures nécessaires pour sécuriser sa frontière, empêcher l’entrée ou la sortie des membres de tout groupe armé et empêcher que toute forme de soutien militaire, matériel ou humain soit fourni à aucun groupe armé en RDC.il a activement participé au recrutement de soldats – dont des enfants – à la fourniture de matériel militaire et a envoyé des officiers et des unités des Forces de défense rwandaises (RDF) en RDC.. Malgré le départ du président Joseph Kabila et le réchauffement diplomatique entre le Rwanda et la RDC sous la houlette du président Félix Tshisekedi, les incursions illégales de l’armée Rwandaise sur le sol Congolais se poursuivent. Dans son rapport publié en février 2021, le Kivu Security Tracker (KST) souligne que l’ingérence des puissances régionales dans l’Est du Congo s’est accrue ces dernières années, en particulier dans des zones sensibles telles que les hauts Plateaux du Sud Kivu.Le groupe d’experts des Nations unies chargé de veiller au respect de l’embargo sur les armes en RDC fait le même constat : dans son rapport publié en 2020, il prouve la présence active de l’armée Rwandaise dans les territoires de Nyiragongo, Masisi et Rutshuru (province du Nord-Kivu) entre fin 2019 et octobre 2020, malgré les dénégations de Kagame.

Le vrai mobile: le pillage des ressources

le Rwanda et toutes les autres parties prenantes aux conflits armés qui secouent la RDC depuis trois décennies ont toujours évoqué des considérations politiques, ethniques et surtout sécuritaires pour justifier les interventions militaires répétées et le soutien aux milices locales. Pourtant, l’Est de la RDC est une des régions minières les plus riches du monde, on y trouve notamment d’immenses réserves de coltan, mais aussi de l’or et d’autres métaux précieux ou des terres rares, utilisées dans les technologies numériques. Si, durant la première guerre du Congo (1996-1997), on ne note pas de pillage des ressources minières par le Rwanda – celui-ci poursuivant essentiellement un objectif sécuritaire –, il n’en est pas de même lors de la deuxième guerre (1998-2003). En effet, on observe depuis 1998 trois activités illégales pratiquées par le Rwanda sur le territoire congolais : le pillage systématique des mines, l’exploitation minière directe et l’imposition de taxes sur les activités minières. Pour les nouveaux potentats, la persistence de l’insécurité devint le moyen principal d’enrichissement et ces guerres furent le debut de la mainmise des lobbies militaro-commerciaux rwandais et ougandais sur les ressources naturelles des zones qu’ils contrôlaient. 

Qu’il s’agisse de minerais, de produits agricoles et forestiers, de l’argent ou du bétail, les militaires rwandais et leurs alliés ont organisé, coordonné, encouragé et mené des activités de pillage systématique dans les zones sous leur contrôle en RDC. Par exemple, dans le secteur minier, l’armée rwandaise et ses alliés ont, en 1998, pillé un stock de sept ans de coltan appartenant à la Société minière et industrielle du Kivu (Sominki). Il a fallu près d’un mois aux rwandais pour transporter le précieux minerais jusqu’à Kigali !Autre exemple, dans le secteur financier : les mêmes protagonistes ont attaqué les banques locales, pillé et emporté l’argent. En 1999, l’équivalent de 1 à 8 millions de dollars ont été volés à la banque de Kisangani, amené sous escorte militaire à l’Hôtel Palma Beach de la même ville avant d’être acheminé par avion à Kigali, en passant par Goma. Au-delà des pillages, l’armée rwandaise s’est livrée à l’exploitation directe des ressources minières sur le territoire Congolais qu’elle contrôlait. L’extraction des ressources naturelles était tellement intense que le Rwanda importait de la main-d’œuvre : il utilisait des prisonniers rwandais pour extraire le coltan et, en contrepartie, leur octroyait une réduction de peine ou un versement. En mars 2001, ils étaient plus de 1 500 prisonniers rwandais à extraire le coltan à Numbi (territoire de Kalehe) sous la surveillance des forces rwandaises. L’importance de la main-d’œuvre employée donne une idée de la quantité de minerai extrait et volé. L’enquête de l’ONU a également prouvé que Rwanda Metals, tenue par le FPR, et parmi d’autres entreprises publiques ou proches du gouvernement rwandais, a exploité le coltan en RDC . Les statistiques officielles de l’État rwandais mènent aux mêmes conclusions.Le Rwanda produisait 54 tonnes de coltan en 1995, soit avant les incursions de son armée.En 1999, la production passe à… 224 tonnes. Même chose pour la cassitérite : la production passe de 247 tonnes en 1995 à 437 tonnes en 2000. Cette tendance s’observe aussi dans les exportations rwandaises de diamant.Elles passent de 13 000 carats (d’une valeur de 720 000 dollars) en 1997 à 30 500 carats (d’une valeur de 1,8millions de dollars) en 2000. Ceci alors que le Rwanda ne possède pas de gisements significatifs de ces minerais. Cette exploitation illégale s’est poursuivie même après le retrait officiel des troupes rwandaises en 2003. En plus de l’extraction illégale par les groupes armés soutenus par le Rwanda, notamment le CNDP et le M23, un réseau de contrebande de minerais congolais a proliféré au profit du Rwanda et au mépris du devoir de diligence et de traçabilité imposés par la loi Dodd Frank américaine, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Union européenne. L’agence écofin signale même que le Rwanda est devenu entre 2013 et 2014 le premier exportateur mondial du coltan. Ces exportations, à quoi s’ajoute la perception de taxes et impôts transitant via les rebelles du RCD-Goma, ont fortement contribué à l’essor économique du pays.

Le régime de Paul Kagamé a su adapter sa politique étrangère et sa stratégie d’exploitation du Congo oriental face à ses homologues successifs, de Laurent-Désiré Kabila à Félix Tshisekedi, en passant par Joseph Kabila. En témoignent les accords signés en juin 2021 su rl’or. Kagamé a su profiter de la volonté du président Tshisekedi de renouer des relations avec lui pour « réguler » ce secteur… et aboutir à ce que l’or congolais soit transformé dans une fonderie rwandaise. 

Conclusion

Alors qu’au niveau interne, on se félicite d’avoir démantelé toutes les rebellions et que les discours adressés à la population font état de l’affaiblissement presque total des FDLR et d’autres rebellions, le chef de l’Etat fait volte face et menace. A considérer les implications économiques de la présence rwandaise en RDC durant les deux guerres du Congo, le Rwanda chercher à légitimer sa très prochaine aggression pour se ravitailler en ressources naturelles sans se douter du mauvais oeil de l’occident.Ainsi, la prédation pourra perdurer légalement.