Les droits humains devraient être une priorité lors de la visite d’Antony Blinken au Rwanda

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken rencontre des ministres africains au siège des Nations Unies, le 18 mai 2022. © 2022 Eduardo Munoz/Pool Photo via AP

Les Etats-Unis devraient exprimer leurs préoccupations en matière de droits humains et vis-à-vis des abus commis par le M23

(Washington) – La visite du Secrétaire d’État américain Antony Blinken au Rwanda, prévue du 10 au 12 août 2022, se déroulera sur fond de préoccupations accrues quant au soutien que le Rwanda apporterait une nouvelle fois aux rebelles du M23 lors d’opérations émaillées d’abus en République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Anthony Blinken se rendra également en RD Congo où le M23 a étendu son contrôle dans la province du Nord-Kivu, dans l’est du pays, en commettant des exécutions sommaires à l’encontre des civils.

Cette visite est l’occasion de condamner à la fois ces attaques, notamment les crimes de guerre, et tout soutien avéré du Rwanda qui contribue à des pratiques abusives. La visite devrait également être utilisée pour dénoncer les violations systématiques des droits humains, notamment les campagnes de répression contre les opposants et la société civile, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières du Rwanda. Le Secrétaire d’État Blinken devrait faire pression sur les autorités pour qu’elles libèrent les dissidents et opposants qui ont été emprisonnés pour avoir exercé leurs droits fondamentaux.

« Le secrétaire d’État Blinken devrait exprimer clairement les vérités qui dérangent pendant ses visites au Rwanda et en RD Congo », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « L’absence de conséquences malgré un bilan catastrophique en matière de droits humains au Rwanda a encouragé les responsables du pays à poursuivre leurs abus, même au-delà de ses frontières. »

Le parti au pouvoir au Rwanda, le Front patriotique rwandais (FPR), mène depuis des années une campagne brutale contre les critiques réels ou supposés du gouvernement. Récemment, des critiques de premier plan, notamment des blogueurs, ont été arrêtés et menacés. Certains ont récemment dit avoir été torturés en détention. Les autorités enquêtent rarement de manière crédible sur les disparitions forcées ou les morts suspectes d’opposants. Les détentions arbitraires et les mauvais traitements dans des centres de détention non officiels sont fréquents, notamment à l’occasion de visites très médiatisées ou de grands événements internationaux tels que la récente Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (CHOGM).

Anthony Blinken a prévu d’évoquer le cas de Paul Rusesabagina, dont l’arrestation et la détention en août 2020 font partie d’un ensemble de pratiques et d’abus bien documentés et ont suscité de graves inquiétudes quant à la politisation du système judiciaire rwandais. Rusesabagina, aujourd’hui détenteur de la nationalité belge, vivait aux États-Unis lorsqu’il s’est rendu à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Il a été victime d’une disparition forcée jusqu’à ce que le Bureau d’enquêtes rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) annonce qu’il détenait Rusesabagina à Kigali. Human Rights Watch a documenté plusieurs violations de la procédure régulière et du droit à un procès équitable tout au long du procès de Rusesabagina, qui a finalement abouti à une lourde peine.

Blinken devrait également aborder les cas de journalistes, de commentateurs et d’activistes de l’opposition emprisonnés pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’association et d’expression. Le 30 mai, Aimable Karasira, un commentateur populaire sur YouTube et aujourd’hui détenu, a déclaré à un juge avoir été torturé en détention et s’être vu refuser tout traitement médical. Lors d’une comparution le 7 juillet, il a déclaré avoir été puni pour avoir révélé les mauvais traitements qui lui ont été infligés en détention et avoir été de nouveau battu.

Les attaques et les menaces contre les réfugiés rwandais vivant à l’étranger, notamment en Ouganda, au Mozambique et au Kenya, se poursuivent sans relâche. Les victimes sont généralement des opposants politiques ou des critiques du gouvernement rwandais ou du président Paul Kagame.

Des commentateurs, journalistes, activistes de l’opposition ainsi que d’autres personnes qui prennent position sur des questions d’actualité et critiquent les politiques publiques menées au Rwanda ont été victimes de disparitions forcées, et certains sont morts dans des circonstances suspectes. Le gouvernement rwandais n’enquête jamais de manière efficace sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de décès en détention, de détention arbitraire, de torture et d’autres mauvais traitements, et ne veille pas à ce que les responsables de tels faits rendent des comptes. Dans bon nombre de ces cas, les preuves révèlent l’implication des forces de sécurité de l’État. Cela a instauré un climat de peur au sein de la population ainsi qu’une impunité généralisée.

Parmi ces cas figure la mort suspecte en garde à vue du célèbre activiste et chanteur Kizito Mihigo, et ce malgré les appels de partenaires internationaux tels que le secrétaire d’État américain adjoint aux affaires africaines de l’époque, Tibor Nagy. Innocent Bahati, un poète populaire qui diffusait sur YouTube des œuvres consacrées aux questions sociales et aux droits humains, a disparu dans des circonstances suspectes le 7 février 2021 et demeure introuvable depuis lors. Les autorités ont affirmé de manière vague et sans apporter de preuves qu’il avait quitté le pays.

Blinken devrait demander des précisions concrètes sur les enquêtes et les mesures prises par les autorités pour que justice soit rendue dans ces affaires, a déclaré Human Rights Watch. Les États-Unis devraient de toute urgence signaler au Rwanda que la répression et les abus commis par le gouvernement sur le territoire national mais également au-delà de ses frontières auront des conséquences.

Le M23 était à l’origine composé de soldats de l’armée congolaise qui ont participé à une mutinerie au début de l’année 2012. Ces soldats avaient auparavant été des rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un groupe armé soutenu par le Rwanda. Le M23 a commis des crimes de guerre de grande ampleur et s’est emparé de larges parties de la province du Nord-Kivu tout au long de l’année 2012, avec le soutien direct des soldats de l’armée rwandaise déployés dans l’est de la RD Congo.

Les enquêteurs des Nations Unies ont également déclaré, à l’époque, que des commandants de l’armée ougandaise avaient envoyé des soldats et des armes pour renforcer certaines opérations du M23 et aidé le groupe à recruter. En 2013, après que le M23 s’est brièvement emparé de Goma, les troupes du gouvernement congolais soutenues par l‘ONU ont repoussé le groupe vers le Rwanda et l’Ouganda. Les autorités congolaises ont émis des mandats d’arrêt à l’encontre de hauts responsables du M23 sanctionnés par les Nations Unies en 2013. Le Rwanda et l’Ouganda n’ont jamais donné suite à ces demandes d’extradition.

La RD Congo n’ayant pas réussi à démobiliser le groupe au cours de la dernière décennie, le M23 a commencé à recruter et à reconstituer ses rangs en 2021. Depuis le mois de mai, le M23 a démontré sa capacité à surpasser les forces congolaises soutenues par l’ONU. Des sources onusiennes et un haut responsable congolais ont laissé entendre à Human Rights Watch que le groupe recevait une aide extérieure soutenue.

Le 14 juin, l’ambassade des États-Unis en RD Congo s’est déclarée « extrêmement préoccupée par les récents combats dans l’est [de la RD Congo] et par la présence signalée de forces rwandaises sur le territoire [de la RD Congo] ». Le groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo, mandaté par le Conseil de sécurité de l’ONU pour surveiller l’application de son régime de sanctions, a confirmé dans son rapport de juin la présence d’hommes en uniformes militaires rwandais dans les camps du M23. Le 4 août, des médias ont rapporté qu’un rapport du groupe d’experts de l’ONU avait trouvé des « preuves solides » selon lesquelles les forces rwandaises combattaient effectivement aux côtés du M23 et lui fournissaient d’autres formes de soutien. Le gouvernement rwandais a nié à plusieurs reprises soutenir le M23.

Comme en 2012, le M23 commet des crimes de guerre contre des civils, a déclaré Human Rights Watch. Des témoins ont décrit des exécutions sommaires d’au moins 29 personnes, dont des enfants, en juin et juillet. Les États-Unis devraient soulever avec le Rwanda les informations fiables selon lesquelles le Rwanda apporte de nouveau son soutien aux conduites abusives du M23 dans l’est de la RD Congo. Le Secrétaire d’État Blinken devrait condamner publiquement les attaques du M23 dans les termes les plus fermes, et avertir le Rwanda des conséquences de son soutien au M23 dans la commission de tels abus.

Le sénateur Robert Menendez, président de la Commission des relations extérieures du Sénat américain, a déclaré le 20 juillet qu’il suspendrait l’aide américaine à la sécurité du Rwanda au niveau du Congrès en raison des inquiétudes suscitées par le bilan du pays en matière de droits humains et de son rôle dans le conflit en RD Congo. Dans une lettre adressée à Anthony Blinken, le sénateur Menendez a demandé une révision complète de la politique américaine vis-à-vis du Rwanda.

« Le M23 prospère grâce à l’impunité et à des cycles de violence alimentés par son mépris des droits humains fondamentaux », a déclaré Lewis Mudge. « Le Secrétaire Blinken ne devrait pas passer sous silence les abus commis au Rwanda et en RD Congo, mais plutôt mettre les droits humains au centre de sa visite. »