RD Congo : élections ou acoquinage, que veulent les Congolais?

Avant que la France ne complote contre lui jusqu’à orchestrer son kidnapping en direction du pénitencier de la CPI à La Haye, Laurent Gbagbo, ex-président ivoirien était surnommé « le boulanger ». Ce sobriquet, il le devait, rapporte-t-on, à son habileté à « rouler dans la farine » ceux qu’il considérait comme ses adversaires politiques. Il n’était pas le seul sur le continent : plusieurs chefs d’état sont en effet passés maîtres dans la duperie et experts ès combinards. En politique s’entend. C’est tout méritoirement que le futur ex-président de la RD Congo vient de rejoindre ce club de ses pairs longtemps habités par le souci de faire et de défaire le présent (et le futur) de leurs concitoyens. Au terme d’un suspens de presque 2 ans, le fils du Mzee (LD Kabila) vient donc de servir, sur un plateau « électoral », le fauteuil présidentiel au fils du Sphinx de Limete (E. Tshisekedi). Martin Fayulu, l’autre candidat-favori, aura beau protester, il semble que l’affaire est pour le moment pliée… Qu’en dire ?

Pour la première fois dans ce pays de plus de 80 millions d’habitants, le pouvoir est en passe d’être transmis pacifiquement, sans qu’il n’y ait effusion de sang. Pas encore. Bravo. L’on aurait de ce fait tendance à s’en réjouir et soutenir que les élections devraient justement servir à cela : organiser une alternance au pouvoir de la manière la plus civilisée, la plus soft qui soit. Et c’est là que le bât blesse. Qui a voté dans ce pays ou, plus précisément, pourquoi a-t-on voté ? Cette question risque, si elle ne rencontre pas une bonne analyse (donc un bon traitement), de réveiller les vieux démons du sécessionnisme congolais. L’église catholique qui revendique quelques 35 millions de fidèles dans ce pays n’a pas sa langue dans la soutane et, à travers ses évêques, elle laisse nettement entendre que la victoire du peuple lui a été volée, que leur candidat a frauduleusement été écarté et les répercussions de cet évangile risquent très bientôt de faire trembler les bases de cette timide et caricaturale démocratie des « fils de » que sont Joseph Kabila et son successeur pressenti, Félix Tshisekedi.

Félix Tshilombo Tshisekedi. Pourquoi lui et pas un autre candidat pour présider aux destinées de la patrie de Patrice Lumumba et de « Franco » Luambo Makiadi ? Officiellement, il a « gagné » le scrutin. En réalité, le choix s’est porté sur lui parce que, nous explique-t-on, c’est (c’était) le plus faible de tous les opposants : « pas charismatique et pas brillant en plus d’être le plus enclin à toutes les compromissions pour arriver à ses fins ». Kabila l’a également choisi pour « punir » la traitrise de Moïse Katumbi, jadis très proche du pouvoir. D’avoir en effet soutenu la candidature de Martin Fayulu, Katumbi n’a en réalité fait que plomber et enterrer implacablement ce dernier et le président Kabila que l’écrivain Patrick Mbeko qualifie de « plus rusé que le cousin du diable » a dès lors saisi la balle au bond et n’a pas peiné à dribbler son propre dauphin (E. Shadary) pour ensuite adouber un « Fatshi » (surnom de l’élu) qui devra travailler avec un appareil sécuritaire toujours entre les mains de son prédécesseur. En somme, le poste, mais pas la fonction. Saura-t-il se défaire de l’ombre de Kabila ? Là sera son vrai grand test s’il est confirmé et accepté comme prochain mokonzi.

Par son choix, Kabila aura également déjoué tous les plans des Français et de leurs alliés d’Américains qui ont toujours des yeux gourmands bien rivés sur le « scandale géologique » du continent. Les premiers n’ont pas su retenir leur amertume en piaillant par la voix de leur ministre Y. Le Drian qui cacha mal le dégrisement de voir le Congo leur échapper après l’incertitude du Gabon tout proche ainsi que la Centrafrique où les Russes ont pris pied. Quant aux seconds, leur bâton (des marines pré-positionnés en décembre à Libreville) n’a pas eu l’effet dissuasif escompté puisqu’il y a longtemps que la carotte chinoise a appris à certains dirigeants africains à relativiser les tintamarres de l’Oncle Sam en particulier et des Occidentaux en général. Dans le même mois, c’est la Belgique qui avait jugé bon de nier l’envoi de ses troupes à Brazzaville. C’est donc un Occident démasqué et désorienté qui piteusement se rabat sur l’Eglise catholique du Congo et sa fameuse « Cenco » pour rattraper le retard tactique qu’ils ont pris sur Kabila, le nouveau boulanger…

Reste à savoir ce que veulent vraiment les premiers concernés, les Congolais qui ont voté. Dans leur majorité ils rejettent tous le diable (le président sortant) et tous ses œuvres (Fatshi et Kamerhe) au motif qu’ils roulent pour le Rwanda de Paul Kagame. Sont-ils vraiment prêts à confier leur grand et majestueux pays à Martin Fayulu, un candidat déjà perçu comme une marionnette entre les mains de Katumbi et de Bemba, eux-mêmes roulant, semble-t-il pour d’autres parrains à Washington, Paris, Bruxelles et Tel Aviv ? C’est en tout cas la terre promise que risque de leur offrir Moïse, Katumbi de son nom. En son temps, le Vieux Sekula (surnom de Mobutu) disait qu’ « entre un frère et un ami, le choix est clair » ; serait-il entendu aujourd’hui ?

Pierre Rugero, écrivain