RDC-Rwanda:Retombées de la guerre dans l’Est de la RDC – L’après-Kagame a commencé

Le glas sonne pour Paul Kagame et son régime. Le faisceau d’informations disponibles démontre que la fin de la dictature installée à Kigali est proche. Le processus a atteint sa maturation. Suspension des aides en cascades, succession des remontrances publiques, etc. Le régime de Kigali est aux abois. Signe des temps, les Etats-Unis formeraient déjà des officiers rwandais de demain. L’hymne est entonné – l’œuvre de ceux-là même qui ont façonné celui qui passait pour le gendarme de la sous-région des Grands Lacs.

La politesse diplomatique prend de plus en plus le dessus sur l’admiration maintes fois renouvelée en direction de l’homme fort de Kigali. L’idylle aura totalisé 18 ans d’hypocrisie. Sur le trajet de sa gloire, des millions de Congolais sont tombés à cause des excès d’un voisin belliqueux décidé à tout régenter par la violence, profitant allégrement de la maladresse d’une communauté internationale acquise à sa cause.

Le énième rapport des experts des Nations unies produit le 27 juin 2012 a mis à nue les travers du soutien rwandais apporté à la mutinerie menée par le M23.

Après les Nations unies, d’autres pays ont emboité le pas, allant, à l’instar des Pays-Bas, des Etats-Unis et de l’Allemagne, jusqu’à geler leur assistance financière à Kigali.

Depuis un temps, le parfait amour avec les soutiens financiers de Kigali traverse une zone de très fortes turbulences.

Leurre ? Fantasme ?Pas évident que ce changement de ton ne soit que l’effet d’une colère passagère de la part des maitres du monde. Le lâchage semble être le terme qui convient dans le cas de Paul Kagame.

Les jurisprudences ne manquent pas. La plus récente dans la sous-région des Grands Lacs est le traitement dégradant infligé au régime Mobutu, après de multiples services rendus à l’Occident.

L’isolement se précise

Tout commence par des écarts dans le langage. Quittant les traditions diplomatiques, des congressemen américains sont montés au créneau exigeant qu’aucune négociation ne soit amorcée avec Kigali, sans au préalable obtenir la fin du soutien apporté au M23.

De passage à Johannesburg, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, est allé dans le même sens. Elle a, à cet effet, exigé l’arrêt de tout soutien au M23, allant jusqu’à entrevoir des poursuites pénales à l’encontre des responsables du drame humanitaire de l’Est de la RDC.

Pour corser les choses, la sortie médiatique du général Kayumba vient ébranler, depuis son exil en Afrique du Sud, le mythe entretenu autour de la personne du président rwandais. L’ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise a poussé trop loin, qualifiant au passage Paul Kagame de «Hitler» !

En même temps, les diasporas congolaise et rwandaise ne cessent de se mobiliser pour dénoncer les actions barbares perpétrées par le régime de Kigali dans l’Est de la RDC.

C’est en embouchant, à tous les coups, le même refrain, que le jeu de Kigali a fini par fatiguer ses soutiens occidentaux. La neutralisation des génocidaires FDLR présentés comme prétexte à des incursions armées à l’intérieur des frontières congolaises, accompagnée d’actes de prédation ne pouvait pas laisser indifférente et indéfiniment inactive l’opinion publique internationale.

Une étude commandée par le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), atteste que «près de 17,3 millions de Congolais se trouveraient en état d’insécurité alimentaire aiguë». Mis dans l’impossibilité de se rendre aux champs, ces déplacés internes sont devenus un problème pour le pays ainsi que la communauté internationale. Cela ne devrait pas durer indéfiniment.

La descente aux enfers

Selon des sources concordantes, des Américains formeraient déjà «des officiers rwandais de demain». Des officiers formés pour protéger les populations et non pour perpétrer des violences et la prédation dans la sous-région.

Pour Washington, la répression devait céder sa place à l’émergence de la démocratie.

Pressé comme un citron, Paul Kagame est en train de subir le même sort que Mobutu qui a servi pendant un cycle. Le temps de Kagame est arrivé à terme, susurre-t-on dans certains milieux spécialisés.

Sa succession étant en préparation, le plus important est de veiller sur la qualité des acteurs à venir. Kagame a fait son temps. Il a servi une cause, il ne sert plus à rien pour ses mentors, fatigués par son manque de modération dans la violence et la prédation. La roue de l’histoire tourne. Pour l’instant, c’est en défaveur de celui qui se faisait passer pour le point focal de la politique américaine dans la région des Grands Lacs.

Le feuilleton Kagame, qui ne fait que commencer, est une belle leçon pour tous les dirigeants africains qui travaillent pour les intérêts étrangers et contre ceux de l’Afrique et des Africains.

En encadré, une analyse du journal français Le Monde qui peint à sa manière le script de la chute probable de l’homme fort de Kigali.

Encadré

T/Face à l’ingérence du Rwanda en RDC, les pays occidentaux réduisent leurs aides

L’heure n’est plus à la flagornerie. Ni aux échanges diplomatiques doucereux et policés. Depuis qu’un rapport d’experts des Nations unies, rendu public le 27 juin, a explicitement accusé le Rwanda de déstabiliser la République démocratique du Congo (RDC) voisine par le truchement d’armes, de munitions et de combattants, le « pays des mille collines » est victime d’un désamour patent de la part de ses principaux partenaires occidentaux.

Ceux-ci s’indignent du soutien apporté officieusement par l’ex-protectorat belge au Mouvement du 23 mars, groupe de mutins congolais en butte depuis mai à l’autorité de Kinshasa. Censé intégrer l’armée régulière aux termes d’un accord scellé le 23 mars 2009, le M23 – issu d’une ex-rébellion tutsie en RDC, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) – a fini par se retourner contre le président Joseph Kabila, faute d’obtenir les gages souhaités. Le Rwanda se serait d’autant plus volontiers engouffré dans cette brèche qu’il a soutenu naguère le CNDP pour mener, sur le sol congolais, la chasse aux génocidaires et rebelles hutus rwandais – lesquels représentent toujours, à ses yeux, une sérieuse menace.

Lasse de ce jeu trouble, une partie de la communauté internationale a décidé de hausser le ton à l’égard du régime de Paul Kagame, lui-même tutsi. La situation, en effet, est critique : au cours des quatre derniers mois, les combats dans l’est du Nord-Kivu – zone frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, où sont situées les bases du M23 – ont contraint plus de 220.000 Congolais à fuir leur domicile, accentuant le déséquilibre qui frappe la région déjà tourmentée des Grands Lacs. D’après une étude dévoilée en juin par le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), près de 17,3 millions de Congolais se trouveraient en état d’insécurité alimentaire aiguë.

Initiative symbolique

A la fin de juillet, les Etats-Unis ont été les premiers à monter au créneau. La diplomatie américaine a ainsi suspendu 200 000 dollars (environ 164 000 euros) d’aide destinés à une école militaire. Faut-il y voir une inflexion de la posture adoptée par Washington vis-à-vis de son allié ? « L’initiative américaine est essentiellement symbolique, dans la mesure où les montants en jeu ne sont pas déterminants. L’essentiel de l’appui militaire américain se fait au niveau de la Communauté de l’Afrique de l’Est [organisation qui, outre le Rwanda, regroupe le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda et le Burundi] », souligne André Guichaoua, professeur à l’université de Paris-1 et témoin-expert près le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

« Ce qui, de mon point de vue, est plus significatif, ce sont la déclaration du Congrès américain du 3 août [fustigeant le manque de transparence du gouvernement rwandais, notamment sur son implication en RDC] et les propos tenus par Stephen Rapp, l’ambassadeur itinérant chargé des crimes de guerre au Département d’Etat [lequel a affirmé que les dirigeants rwandais pourraient être poursuivis devant la CPI pour aide et complicité de crimes contre l’humanité dans un pays voisin] », précise-t-il.

Les Etats-Unis, en dépit de leurs objurgations, ont fait savoir qu’ils ne retireraient pas leur soutien financier à la formation des troupes destinées à prêter main-forte à l’ONU. Et pour cause : au 30 juin, pas moins de 4.571 soldats et policiers rwandais étaient impliqués dans diverses opérations de maintien de la paix à travers le monde – soit la sixième plus importante contribution à l’institution onusienne en termes d’effectifs derrière le Pakistan, le Bangladesh, l’Inde, l’Ethiopie et le Nigeria.

Dans la foulée de l’administration Obama, plusieurs Etats européens ont, eux aussi, entrepris ces dernières semaines de rappeler Kigali à l’ordre. Les Pays-Bas ont lancé le mouvement, mettant en suspens une aide de cinq millions d’euros prévue pour soutenir le système judiciaire. La Grande-Bretagne (20 millions d’euros) et l’Allemagne (21 millions d’euros) leur ont emboîté le pas. « Ce faisant, les Européens ont profité de l’opportunité qui leur était offerte pour recouvrer un minimum de dignité diplomatique par rapport à des faits qu’ils connaissent et qui sont documentés. Par le passé, ils ne sont pas intervenus parce que le Rwanda pratiquait un chantage à la déstabilisation de la région. Mais celle-ci s’est aggravée, au point que la situation est devenue intenable », analyse M. Guichaoua.

« Pillage institutionnalisé »

Ces « suspensions en cascade », fait inédit, s’apparentent à un désaveu personnel pour Paul Kagame, longtemps considéré – et porté aux nues – par les bailleurs de fonds étrangers comme le principal architecte du redressement économique du pays après le terrible génocide de 1994 (800.000 victimes). De fait, quelle autre nation d’à peine dix millions d’âmes et au passé si tragique peut se targuer d’avoir connu, au cours des cinq années écoulées, un taux de croissance moyen de son PIB de 8,2 % – taux qui, aux dires des autorités, aurait permis de tirer un million de personnes de la pauvreté en pleine crise mondiale ?

Aujourd’hui, ce succès ne suffit toutefois plus à faire taire les critiques. Aux accusations répétées d’ingérence en RDC, Paul Kagame oppose les dénégations les plus fermes, arguant notamment qu’une telle politique « serait contraire aux intérêts de son pays ». « Nous ne fournissons pas un seule balle [aux rebelles congolais]. Nous ne l’avons pas fait et nous le ferons pas », a-t-il assuré. L’argument ne convainc personne.

Depuis que le Rwanda a envahi son turbulent voisin, en 1996 et 1998 – chassant, à cette occasion, le dictateur Mobutu Sese Seko –, ses élites ont largement profité, et profitent toujours, des richesses minières que recèle le sous-sol congolais (cobalt, cuivre, étain, or). Selon certaines estimations, le fruit de ce « pillage institutionnalisé » rapporterait à Kigali plusieurs dizaines de millions de dollars par an. Une richesse sciemment mise sous le boisseau, qui a aussi son intérêt politique. « Grâce aux canaux parallèles, la nomenklatura achète la paix sociale. L’ordre qui règne à Kigali et les aspirations de Kagame à faire du Rwanda le Singapour du continent africain d’ici à 2020 sont financés par ce biais-là », pointe André Guichaoua.

Alternance en préparation

En faisant fi des coups de semonce lancés par ses principaux partenaires, le Rwanda accentue cependant son propre isolement et joue une partition délicate. Diplomatiquement, d’abord, car il brigue toujours un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Financièrement, ensuite, dans la mesure où l’aide étrangère représente près de la moitié de son budget (45 %). Les Occidentaux pourraient-ils finir par rompre tout lien avec leur partenaire ? L’hypothèse, juge M. Guichaoua, est inenvisageable à court terme. « Il n’existe pas dans la région d’autre puissance susceptible d’assurer la cohésion en matière d’ordre et de stabilité. De fait, Kigali a les coudées franches. En outre, tant que Kabila et Kagame n’abattront pas clairement leurs cartes sur ce qu’ils attendent de cette nouvelle confrontation, les chancelleries occidentales ne pourront pas aller plus loin », observe-t-il.

Sur le front intérieur, Paul Kagame, au pouvoir depuis avril 2000, a en grande partie perdu son aura d’invincibilité. Ses opposants, toujours plus nombreux, fustigent un pouvoir « solitaire » et « autoritaire », coupable de multiples violations des droits de l’homme. L’intéressé, lui, s’en défend véhémentement. Reste que beaucoup, mezza voce, travaillent déjà à l’alternance. «C’est aussi la raison pour laquelle les Américains ne sont pas inquiets, conclut M. Guichaoua. D’ailleurs, eux-mêmes ont commencé à préparer les officiers rwandais de demain…»

Aymeric Janier (Le Monde)