Rwanda: Le parcours des « camarades du 5 juillet » dans la nuit du 4 au 5 juillet 1973

Il est d’usage, quand on aborde le coup d’état du 5 juillet 1973, de susciter la polémique sur les origines de l’auteur plutôt que sur les résultats de ses recherches. Tant il est vrai cet épisode a exacerbé un régionalisme déjà latent sous le régime du Président Kayibanda et fut l’un des motifs principaux, sinon un prétexte pour le renversement du régime de la 1ère république.  Ayant vécu cette expérience lors de la publication d’une biographie de Juvénal Habyarimana (2004, Juvénal Habyarimana, l’homme assassiné le 6 avril 1994, Editions Sources du Nil), j’ai compris que je devais poursuivre cette recherche pour notamment combler les lacunes mais aussi essayer de dépassionner le débat. Je suis originaire de Ruhengeri, je ne m’en cache pas et je n’en ai pas honte. Je n’ai subi jusqu’à la fin de la 2ème république aucune discrimination ni reçu de faveur exceptionnelle, ni sous la première, ni sous la 2ème république, sauf le droit de jouir de ma qualité, pleine et entière,  de citoyen rwandais dès ma plus jeune enfance. Je ne considère pas cela comme une tare, au contraire. Vu tout ce qui s’est passé et toute les expériences que j’ai vécues, j’estime que ce ne fut malheureusement pas le cas pour tout le monde. Ce sont ces frustrations qui empêchent parfois de regarder le passé avec sérénité, une condition essentielle pour toute analyse qui se targuerait d’être scientifique : éviter le parti pris, regarder en face diverses analyses quelle que soit leur origine. Mais aussi essayer de passer tout à travers le tamis pour ne garder que les faits, rien que les faits dans leur quintessence et jeter aux orties toutes les considérations partisanes qui ne mènent qu’aux querelles stériles, mais dangereuses parce qu’elles ne font qu’attiser les haines et les divisions entre les Rwandais. Je n’ai pas besoin de pérorer beaucoup plus là-dessus. A bon entendeur salut. J’espère que le sujet que j’aborde ici n’ajoutera pas de l’huile sur le feu du régionalisme qui divise les Rwandais.

Situation et localisation des camarades du 5 juillet,  au 4 juillet 1973.

a)       Situation

A la veille du coup d’Etat du 05 juillet 1973 les fonctions des camarades étaient les suivantes:

–  Gen Maj Juvénal Habyarimana : Ministre de la Garde Nationale et de la Police et Chef d’Etat-Major GN.

–  Lt Col Kanyarengwe Alexis: Recteur du Petit séminaire de Nyundo.

–  Maj Nsekalije Aloys: Directeur ONATOU.

–  Maj Benda Sabin : Commandant de Cie QG et Camp Kigali

–  Maj Ruhashya Epimaque: Commandant de Compagnie Ruhengeri.

–  Maj Gahimano Fabien : Commandant 2nd Ecole des Officiers (Kigali).

– Maj Jean Nepomuscène Munyandekwe: Attaché au Ministère de la Garde Nationale et de la Police, Service Civique de la jeunesse.

–  Maj Serubuga Laurent: Attaché Ministère de la Garde Nationale et de la Police (Appro-Gestion).

–  Maj Buregeya Bonaventure : Commandant de l’Ecole des Sous Officiers.

–  Maj Ntibitura Bonaventure: Directeur de la Sûreté intérieure.

–  Maj Simba Aloys: Commandant du Centre d’Instruction Kanombe.

La nuit du 4 juillet 1973, du côté militaire,  ressemble à tout sauf à une nuit des longs couteaux où l’on comploterait contre quiconque. On peut signaler simplement un malaise, une grogne rampante au sein de l’armée pendant quelques mois. Cette grogne a poussé le Président Kayibanda le 1er juillet 1973, à parler de velléité de coup d’état. Grogne créée par les chambardements administratifs par lesquels des cadres militaires ont été mutés à des tâches civiles auxquelles ils n’étaient nullement préparés, dans une volonté de rééquilibrage nord-sud, en faveur du sud insuffisamment représenté au sein de l’armée à l’époque. D’autres sources indiquent que c’était par peur d’un coup d’état. De toute façon la première raison n’efface pas la 2ème et vice-versa. En tous cas, aucun des « camarades du 5 juillet » ne sait ce qui va se passer le soir, y compris le maître d’œuvre du coup d’état, Juvénal Habyarimana, qui se trouve dans sa famille pour préparer les festivités de mariage de son frère prévues au mois d’août 1973. Il ne rentre sur Kigali ce jour-là que vers 21 heures, le soir du 4 juillet 1973.

b)       Où se trouvent les autres « camarades » ?

Les majors Benda, Gahimano, Serubuga, Ntibitura se trouvent à Kigali intra muros. Le Major Simba se trouve à Kanombe, le Major Buregeya se trouve à Butare, le Major Ruhashya à Ruhengeri, tandis que le Major Nsekalije se trouve en mission à Kinshasa et rejoindra les autres plus tard (3 jours après le 5 juillet) après la répartition des Ministères. Le Major Buregeya restera à Butare pour contrôler la situation qui pouvait être explosive. Les « camarades » qui étaient à Kigali rejoindront l’Etat Major par leurs propres moyens après avoir eu connaissance du coup d’état.

Le Lt Col Kanyarengwe se trouve au Petit Séminaire de Nyundo et pour cause, l’année scolaire n’est pas encore clôturée. Pourquoi va-t-on le chercher nuitamment par hélicoptère ? Simplement parce qu’il était numéro 2 au niveau de la hiérarchie militaire (1ère promotion). Et en tant que Directeur de la Sûreté Nationale (RWASUR),  il avait vécu les troubles du début de l’année 1973. Il était donc nécessaire de le consulter avant la finalisation du communiqué sorti dans la matinée du 5 juillet. De Nyundo, il est arrivé à l’Etat Major vers 4h du matin, avec lui Ruhashya Epimaque qu’ils ont pris à bord, de passage à Ruhengeri.  Le Lt Col. Kanyarengwe s’est entretenu avec le Général pendant quelques instants. Il a demandé un véhicule pour se rendre à son domicile de Kigali. De retour vers 6h, il s’est encore entretenu avec le Général Habyarimana et à cette heure-là, il était question que les hélicoptères aillent dispatcher l’information dans les camps militaires partout au Rwanda. C’est ainsi que le Lt Col Kanyarengwe est monté à bord d’un hélicoptère en direction de Gabiro pour demander au Commandant de la Cie Mutara d’envoyer l’infirmier du camp chez sa mère qui habitait au Mutara et était, selon lui, gravement malade. Il l’a dit au Major Serubuga afin que ce dernier puisse demander au Chef du Pl Avi d’en donner l’ordre aux pilotes. Comme me l’a confirmé Hakizabera Christophe (le 12/02/2014, par entretien téléphonique), alors  Sous-Lt Commandant Second de la Cie Mutara, il l’a vu effectivement arriver vers 8heures dans l’hélicoptère conduit par Muganamfura Aphias. A sa descente d’hélico, le Lt Kanyarengwe portait une petite malette, et demanda à s’entretenir avec le Cdt de Cie Mpozembizi en absence du Cdt Second Hakizabera qui resta en compagnie du pilote. Le S/Lt Hakizabera fut muté, le jour même, sans son peloton à Kagitumba où il devait remplacer un sous-officier. Il n’a pas lié son limogeage à la personne du Maj Kanyarengwe dans notre entretien. Nous lisons ailleurs cependant qu’il l’a tenu responsable des malheurs qui lui sont arrivés plus tard et par ricochet exagéré son rôle dans ce coup d’état. Il m’a semblé que le sort de Hakizabera Christophe a été réglé au niveau de l’Etat Major et que Kanyarengwe n’était, ce jour-là, qu’un simple porteur de message fortuit qui ne s’occupait pas de la gestion du personnel et qui ne venait à Gabiro que pour régler le problème de sa mère malade qui vivait au Mutara.

La responsabilité du coup d’état ne peut être mise sur le dos, ni d’Alexis Kanyarengwe, ni d’Aloys Nsekalije, ni de Théoneste Lizinde, ni de quiconque d’autre, mais à son maître d’œuvre Juvénal Habyarimana : il l’a décidé et contrôlé l’opération de bout en bout, sans effusion de sang, en tout cas cette nuit-là. Rendons donc à César ce qui est à César.

Informations recueillies auprès d’Emmanuel Neretse, Laurent Serubuga, Christophe Hakizabera.

Eugène Shimamungu

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