Thème de Septembre: Des Kilomètres et des Pierres

Rodrigue Karemera

Par Um’Khonde Habamenshi

Dans les années 1980, il y avait une chanson très populaire au Rwanda qui s’appelait ‘Ubalijoro’. C’était, et ça reste toujours d’ailleurs, une chanson très belle et envoûtante, le genre de chanson qui vous colle à l’esprit et que vous vous retrouvez à chantonner tout au long de la journée.

Ce n’était pas un de ces tubes faits sur mesure pour les discothèques ou les soirées dansantes; c’était plutôt une mélodie douce et mélancolique, le type de chanson que vous imagineriez jouer dans un bar de jazz ou dans ce genre de café à l’ambiance feutrée où les poètes écorchés par la vie partagent leurs envolées lyriques.

Imaginez que vous étiez assis dans votre salon, écoutant l’auteur, un nommé Karemera Rodrigue, envoyer un message à Ubalijoro, son frère ainé qui était parti pour ce qui devait être un court voyage à l’étranger mais qui n’était jamais revenu. Quand Ubalijoro est parti, son jeune frère était encore un jeune garçon, maintenant il était un homme adulte et son ainé n’était toujours pas revenu. Karemera lui demandait comment il allait et pourquoi il n’envoyait pas de nouvelles pour laisser savoir à la famille s’il allait bien.

Cette belle lettre orale de Karemera à son frère Ubalijoro me vient souvent à l’esprit quand je pense aux histoires de tant d’Africains qui se retrouvent sur les voies étrangères, soit par choix, soit pour s’éloigner de circonstances qui les obligent à aller chercher une vie meilleure ailleurs, ces frères et sœurs dont le départ est parfois serein et heureux ou l’objet d’un déracinement brutal dont on ne se remet jamais vraiment. Dans mon histoire personnelle, je suis l’Ubalijoro de la chanson, le frère qui est parti pour un court voyage à l’étranger et s’est retrouvé dans un long exil loin de ses proches et de sa belle patrie.

Des années plus tard, Karemera revint avec une autre chanson à succès, une autre lettre du même genre dont la mélancholie vous fait pleurer malgré vous, juste en l’écoutant sur votre poste de radio. Cette fois, il ne lisait pas cette lettre radiophonique à son frère perdu; il nous la lisait à nous, son public. La mélodie était la même mais l’histoire avait malheureusement évoluée dans le sens que l’on craignait en écoutant la première chanson : Karemera avait appris que son frère prodige était en fait décédé sur cette terre étrangère, ce qui expliquait pourquoi il n’avait jamais donné de ses nouvelles ni répondu à son message.

Loin de nous faire tourner la page sur cette histoire on ne peut plus tragique, cet épilogue tragique nous a donné envie d’en savoir plus : où était-il mort? Dans quelles circonstances? Avait-il essayé de joindre sa famille mais n’avait pu le faire? Et puis, avait-il trouvé ce qu’il cherchait dans ces terres étrangères avant de perdre la vie?

Tant de questions auxquelles nous n’avons jamais eu de réponses.

Ce thème mensuel, «Des Kilomètres et des Pierres», sera notre hommage aux Ubalijoros et aux Karemera du monde entier ; septembre sera le mois des personnes qui quittent leur pays d’origine pour chercher autre chose et le mois des hommes et des femmes qu’elles rencontrent le long de ce chemin parfois si hasardeux du Grand Voyage.

Comme toujours, nous essaierons de trouver l’inspiration, même dans les circonstances les plus extrêmes, et réfléchirons ensemble à la manière dont ces histoires contribuent à l’héritage collectif de cet endroit que nous appelons notre Terre.

#RightYourLegacy #WhatisUMURAGE