C’est l’une de ces personnalités que l’on ne présente quasi jamais, tellement l’on croit tout savoir sur eux : lui, a survolé de son génie les grands championnats d’Europe, il avait un pied gauche extraordinairement magique, il était le chouchou des stades partout où il a eu à démontrer son talent, il a emmené son équipe en finale de la coupe du monde de football organisée en 1986 à Mexico, au Mexique. Seul, il a un jour de juin 1986, dribblé la moitié de l’équipe d’Angleterre et marqué un but qui, plus tard, sera considéré comme le « but du siècle ». D’autres fans en parleront comme « le but aux Anglais » sans doute pour rappeler aux Hoddle, Reid, Sansom, Butcher, Fenwick ainsi qu’à Shilton leur gardien (les 6 qu’il a dribblés) que, même né dans leur pays, le football est devenu un sport universel et que d’autres nations avaient désormais voix au chapitre. L’Argentine venait de le leur prouver grâce à l’immensité du talent de son capitaine Diego Armando Maradona.
C’est tout naturellement donc que les drapeaux de l’univers footballistique se sont mis en berne dès ce 30 octobre 2020 à l’annonce de la mort de ce virtuose. Les orphelins que Diego Maradona laisse à travers le monde font déjà tout ce qu’il faut pour immortaliser ses exploits et déifier, en vouant un incroyable culte à celui qu’on surnommait le garçon doré (el pibe de oro). En font-ils trop ? Time will tell disent les Anglais ; le temps nous le dira. En attendant, une photo de cette divinité circule en ce moment sur les réseaux sociaux et montre une représentation de la Dernière cène avec, tenez-vous bien, Diego Maradona dans le rôle de Jésus et Edson Arantes do Nascimento, c’est-à-dire Pelé lui-même dans celui de son apôtre ! Et c’est là que les larmes sèchent. Car, comment ou depuis quand (le roi) Pelé a-t-il été un « disciple » de Maradona ? Tout cet anachronisme n’est que symbolique, me diriez-vous. Et justement, parlons symboles.
Avez-vous remarqué que des toutes les nations sud-américaines, seule l’Argentine ne compte en son sein aucun afro-descendant ? Y aurait-il une bonne raison à cela ? Où sont et que font ceux dont les ancêtres ont été déportés dans ce pays depuis 1855 (environ 12 millions pour toute l’Amérique latine) ? A la fin (1870) d’une guerre avec le Paraguay en effet, les Noirs qui faisaient partie de l’armée furent presque tous décimés, ce qui poussa de plus en plus de femmes noires « dans les bras » de Blancs venus d’Espagne. L’écrivain Miguel Rosenzvit précise cependant : « Dans le discours, du président Sarmiento ou du général Mitre au simple chroniqueur du journal La República en passant par les influents Alberdi ou Mansilla qui exprimaient le besoin de construire une Argentine blanche et européenne et parlaient sans tabous du « problème » noir, de leur infériorité raciale, de leur « propension » au vol, au jeu et à l’escroquerie, quand on n’associait pas directement le noir au singe et la femme noire à une prostituée ». Une Argentine blanche et européenne. Voilà. Blanchir le pays.
Le « blanchiment » ne s’est donc pas arrêté qu’aux textes liturgiques des Noirs de Thèbes comme l’a si bien démontré le chercheur Jean-Philippe Kalala Omotunde (Cosmogénèse 3), ce blanchiment ne s’est non plus pas arrêté à la philosophie grecque qui n’est en réalité, selon le professeur Coovi Gomez, qu’une fabrication basée sur des sources égyptiennes occultées : la falsification continue même aujourd’hui et dans tous les domaines. Avez-vous entendu parler du Hick-Hop ? Cette caricature de la musique noire (le Hip Hop) est souvent présentée comme le Country Rap et assume pleinement ses racines esclavagistes. Le pygmée au pôle nord, quoi ! C’est bien entendu encore un blanchiment pour, selon le site web Nofi, contourner la négrophobie culturelle. En son temps, la très connue Shakira Isabel Mebarak Ripoll avait eu moins honte lorsqu’en 2010 elle a osé revendiquer la maternité de Waka Waka, une vieille chanson que pourtant chante le continent depuis que des Camerounais (Golden Sound) avaient composé le très dansant Zangalewa.
Alors, faut-il pleurer Maradona ? Ses fans (et tous les amoureux du foot-spectacle) ont tous les droits de faire le deuil de leur idole, mais cela ne devrait aucunement occulter les évocations de cette disparition. L’Afrique a ses idoles, ses dieux, ses masques, ses richesses, sa musique, ses JJ Rawlings (l’a-t-on vraiment pleuré ?), ses philosophes, etc. et il n’est pas question de célébrer un génie venu d’ailleurs tout en étant des spectateurs inertes devant le pillage et la falsification du patrimoine continental. Adieu golden boy (pibe de oro), mais l’Afrique n’oubliera pas tes doigts d’honneur ni tes insultes lors du match de ton pays négrophobe contre le Nigéria en juin 2018. Surtout, le continent se souviendra que 40 ans avant cette triste apparence, un autre golden boy emmenait son équipe nationale en finale de la coupe d’Afrique des nations : le ghanéen Karim Abdul Razak Tanko gagna la coupe avec les Black Stars et fut élu ballon d’or africain la même année… Avant les Samuel Eto’o, Jay Jay Okocha, Thomas N’Kono, Abedi Pelé, Georges Weah et plein d’autres dieux des stades que les médias occidentaux snobent, mais l’on sait aujourd’hui pourquoi. Heureusement.
Pierre Rugero, écrivain