A quoi joue la diplomatie rwandaise ? Ou plutôt, pour qui roulent les diplomates rwandais ? Ce n’est pas encore la cacophonie, mais la dissonance au sujet du conflit avec la RD Congo, plus particulièrement de la surveillance, par des drones américains, de la frontière de ce pays avec le Rwanda vient rappeler l’aventurisme des stratèges du général Kagame. Alors que l’Afrique entière s’attendait à ce que les va-t’en guerre de Kigali saisissent l’opportunité de cette surveillance pour prouver, comme ils n’arrêtent pas de le clamer, qu’ils ne sont pas derrière les bandits du M23, ils ont étonnement exprimé leur farouche opposition à l’usage des drones pressenties pour cette tâche. Les propos d’un fonctionnaire de la mission diplomatique du Rwanda à New York ne pouvaient être plus hostiles : « L’Afrique ne deviendra pas un laboratoire pour du matériel de surveillance étranger »… Curieux. Très curieux même, lorsque l’on sait déjà que l’étranger dont il s’agit ici n’est autre que le premier soutien de l’armée kagamienne.
Les liens entre l’armée américaine et celle des afande remontent en effet très loin dans le temps : à l’époque où un major de l’armée ougandaise était chargé de faciliter le transit des armes que destinait la CIA aux séparatistes sud-soudanais de John Garang. Cet officier de liaison, Paul Kagame, ira effectuer un stage à Leavenworth (Kansas, Usa) avant de revenir parachever l’invasion de son pays. Une fois au pouvoir, l’homme, devenu général entre-temps, s’appuiera sur l’aide américaine (notamment une surveillance aérienne, tiens !) pour génocider 300 000 de ses compatriotes dans les forêts de ce qui était encore le Zaïre. C’est (encore) sur l’armée américaine que comptera celle de Kagame pour déployer ses troupes au Darfour et… au Sud Soudan. L’armée américaine est même présente dans la zone de Rubavu et sur l’île de Wahu (Iwawa) où ses gardes-côtes formeraient des militaires rwandais à « la sécurisation du (lac) Kivu sur la frontière avec la RDC ». Décidément. Pourquoi donc refuser à un si fidèle allié le déploiement de ses drones ?
Le diplomate qui a formulé ce refus explique : « Il n’est pas avisé d’utiliser un équipement sur lequel nous n’avons pas suffisamment d’informations ». Son responsable hiérarchique renchérit : « L’envoi des drones dans l’Est de la RDC empirera la situation ». Ça, c’est pour le côté officiel, juste pour amuser la galerie. La vraie raison résiderait cependant dans la rancune que garde le général Kagame, blessé qu’il a été dans son ego lorsque, symboliquement, il a été désavoué par ses « amis » américains. Au mois de juillet 2012 en effet, il s’est vu refusé un crédit de 200 000 dollars alloués par l’administration américaine au financement d’une académie militaire rwandaise pour la formation de ses sous-officiers. L’affaire des drones aura donc servi aux zélés du régime d’afficher leur dévotion au chef en contrariant une proposition du parrain. Ne pouvant s’offrir le luxe d’une vraie confrontation ni d’un début de vengeance, ni même de quelque mesure de rétorsion, la diplomatie rwandaise a donc jugé bon de rouspéter en faisant semblant d’ignorer qu’en référence au dream de Martin Luther King, Obama est actuellement surnommé I have a drone… Avec son expérience d’Afghanistan en effet, il recourt de plus en plus à ce moyen au lieu d’exposer son armée.
L’ayant compris bien avant ses porte-voix, le président Kagame a rattrapé le coup en déclarant : « l’utilisation de drones par l’ONU ne me pose aucun problème. S’ils pensent que cela peut aider (…), c’est à eux de voir ». Ce revirement à 180% n’a donc rien à voir avec la défiance maladroite affichée par la diplomatie rwandaise. Sauf que cette dernière commence à nous habituer à ce genre de couacs. Concernant le Congo toujours, qui ne se souvient pas de l’ambassadeur Anastase Gasana niant la présence des troupes rwandaises au Congo lors du contre-génocide des Hutu en 1996-98 ? Il sera contredit et désavoué par son patron Kagame qui, lui, assuma (et avec quels termes!) cette expédition. Dans la voix du ministre Charles Murigande (affaires étrangères), le Rwanda s’était, en d’autres circonstances, empressé de féliciter un candidat aux élections présidentielles du Kenya alors que l’issue de la consultation n’était pas encore définitivement établie. Une fois de plus, l’homme fort Kagame prit sur lui et désavoua l’empressement de son ministre et renvoya celui-ci à ses prières. Même le prédécesseur de Kagame avait connu, en appelant la tenue d’une conférence de Berlin bis, le même camouflet.
On l’aura donc compris, l’Afandie n’en a pas encore fini de la gestion des retombées négatives de sa dernière agression du Congo par M23 interposée. Depuis qu’il est terriblement gavé par la manne financière de l’Occident, c’est la première fois que le Rwasingapour parle « austérité » en révisant ses prévisions de croissance. Les coupures d’aide sont passées par là. Considéré désormais par beaucoup de ses anciens amis comme un piggish and ungrateful (goinfre ingrat), le gouvernement rwandais ne sait plus où donner de la tête, d’où cette disharmonie diplomatique en ce qui a trait à ces drôles de drones.
Cecil Kami