Génocide rwandais, 22 ans après: Quid des survivants de l'horreur ? – Amiel Nkuliza

Le 06 avril 2016, le Rwanda va commémorer son 22 ème anniversaire de l’horreur. Surnommé « Pays des mille collines » pour ses hautes montagnes, le Rwanda est également connu grâce à son génocide de 1994, génocide qui va durer trois mois seulement, mais qui va emporter pas mal de gens : 800.000 personnes, selon l’Organisation des Nations-Unies (ONU). Pour juger les auteurs de ce crime horrible, la même organisation va mettre en place, en novembre 1994, à Arusha (nord de la Tanzanie), un tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). La mission principale de cette institution onusienne sera de traquer les fugitifs et juger les dignitaires de l’ancien régime, accusés de planification de ce génocide qui va endeuiller le Rwanda, d’avril à juillet 1994. Ceux qui seront arrêtés seront vite jugés et condamnés, avant qu’ils ne soient transférés au centre de détention au Mali, pays de l’Afrique de l’Ouest, où ils vont purger leurs peines. Parmi eux, Jean Kambanda, ancien premier ministre, qui sera condamné à la réclusion à perpétuité.

Un génocide nié

Ce génocide négligé par la communauté internationale – les pays puissants du monde ne feront rien pour l’arrêter et, pire encore, les forces onusiennes de maintien de la paix, qui se trouvent au Rwanda en plein génocide, seront retirées manu militari par l’ONU –, aura fait que même de simples paysans, des hommes, des femmes et des enfants, soient contraints par certaines autorités de l’ancien régime dictatorial, à tremper dans les tueries.

Ces présumés coupables – ils sont présumés innocents aussi longtemps qu’ils n’ont pas encore comparu devant le juge — seront vite ramassés par des militaires du nouveau régime actuellement au pouvoir au Rwanda, avant de les entasser dans des centres de détention qui seront, en très peu de temps, surpeuplés : plus de 100.000 personnes seront logés dans de petits couloirs qui deviendront plus tard les couloirs de la mort – beaucoup parmi ces détenus mourront d’asphyxie, faute d’espace.

Force est de rappeler qu’avant le génocide de 1994, les onze centres de détention du pays avaient été aménagés pour abriter seulement huit mille détenus de droit commun. Les nouveaux locataires du crime de génocide seront jugés par des tribunaux traditionnels locaux, mis en place dix ans après l’horreur, et seront condamnés à partir de 30 ans d’emprisonnement et de réclusion à perpétuité. Les juges de ces nouvelles juridictions traditionnelles ne possèdent aucune formation juridique : ce sont de simples paysans, parfois analphabètes, nommés par leurs voisins pour leur intégrité sociale.

Mais pourquoi le déclenchement de ce génocide ?

A partir du 1er octobre1990, le Rwanda traverse une crise politique. Les réfugiés tutsi, quittés le Rwanda depuis 30 ans, vivent en exil depuis. A cette date, ils menacent de rentrer au pays et prendre le pouvoir par les armes. Ils ont un soutien d’un pays d’accueil, l’Ouganda. Pour éviter le pire, le gouvernement rwandais va proposer la mise en place des négociations de paix ayant pour mission le partage du pouvoir. Ces négociations commencent en 1991, à Nsélé (RDC) et se terminent à Arusha (Tanzanie). Les pourparlers prennent fin en août 1993, lors de la signature des accords de paix et de partage du pouvoir entre les deux parties, en conflit.

Mais la paix tant attendue ne va pas durer longtemps. Au printemps 1994, l’avion qui transportait le président Juvénal Habyarimana du sommet des chefs d’Etat de la région à Dar-es-Salaam (Tanzanie), est abattu par un missile à 20 heures 30 minutes à Kigali, la capitale. A bord, son homologue burundais, une importante délégation des deux chefs d’Etats, ainsi que les trois pilotes français. Aucun survivant.

Le lendemain, 07 avril, les massacres dirigés par des militaires de la garde rapprochée du président assassiné, sont déclenchés. Les tutsi sont visés les premiers car ils sont soupçonnés d’être responsables de l’assassinat du chef de l’Etat, au pouvoir sans partage depuis 21 ans. Il s’en suivra des assassinats politiques et des membres adhérant les partis politiques d’opposition au dictateur assassiné. Beaucoup d’autres personnes innocentes, tant hutu que tutsi, périront dans cet événement douloureux, inattendu.

La haine

Pour Yves Ternon et Georges Bensoussan, historiens spécialistes des crimes contre l’humanité, « le génocide rwandais est causé par la haine qui date depuis longtemps entre les hutu et les tutsi. »

Selon eux, « On ne peut pas comprendre le génocide rwandais, sans comprendre son histoire. Est-ce l’arrivée des colons à la fin du XIXe siècle qui a commencé à mettre le feu aux poudres ? La réalité est bien plus compliquée. Les Européens ont toujours eu une vision « ethniste » de l’Afrique. Lorsque les Allemands arrivent au Rwanda, la situation historique complexe de ce pays leur échappe. »

Et d’ajouter : « Le royaume du Rwanda fonctionne avec des lignages qui se transmettent de génération en génération. C’est dans ce contexte que très progressivement apparaissent les notions de tutsi (les responsables du royaume et les militaires), de hutu (plus pauvres, ils avaient des responsabilités subalternes). »

« Dans les années 1930, l’histoire du pays est réécrite de toutes pièces. On imagine que les tutsi ne sont pas des locaux, mais des immigrés. On les appelle « les juifs de l’Afrique » venus pour s’implanter dans le territoire rwandais chez les hutu. La catastrophe commence lorsque la carte d’identité matérialise l’appartenance : chacun doit se définir tutsi ou hutu. (Celles-ci seront utilisées en 1994 pour identifier et tuer les tutsi) », conclurent les deux spécialistes.

Quant à Pierre Péan, journaliste et enquêteur-écrivain français, dans son livre Noirs fureurs, blancs menteurs, « Le génocide de 1994 ne fut qu’un épisode dans une guerre civile et régionale ignorée, plus meurtrière encore, voulue depuis octobre 1990. Le FPR (ndlr: Front patriotique rwandais, parti actuel au pouvoir) était prêt à tout pour conquérir le pouvoir à Kigali, y compris à sacrifier hutu et tutsi. »

Personne n’est condamné pour planification du génocide

Si le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a été mis sur place pour juger les architectes du génocide rwandais, cette institution onusienne n’a condamné aucune personne pour planification de ce génocide, faute de preuves. Au cours des procès devant le TPIR, certains accusés ont même contesté l’existence d’un génocide des tutsi, faisant croire qu’il y a eu plutôt un double génocide des tutsi massacrés par les hutu et un génocide des hutu massacrés par les tutsi, aujourd’hui au pouvoir. Le résultat est amer : le TPIR a fini par décréter que la planification du génocide n’a plus besoin d’être approuvée.

Mais les rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme, telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch, combattent cette idée d’un double génocide. Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires étrangères, déclarait en mars 2008, dans la revue Défense nationale et sécurité collective, qu’il voit mal la thèse d’un double génocide au Rwanda.

« Je ne peux pas cautionner cette vision simpliste et infamante qui fait des tutsi les responsables de leurs propres malheurs, pas plus que je peux supporter d’entendre certains défendre la thèse d’un double génocide tutsi et hutu. »

Force est donc de constater que, 22 ans après le génocide qui a bousculé le Rwanda dans l’horreur, les survivants de l’horreur gardent toujours les cicatrices de cette tragédie. Les familles des victimes emportées par cet événement tragique, n’ont toujours pas été indemnisées. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, dont la mission principale était de juger les crimes de ce génocide de l’histoire et d’autres crimes de guerre commis par des militaires du régime actuel n’a, jusqu’à preuve du contraire, poursuivi qu’une seule partie des déclencheurs du génocide rwandais.

Selon Thierry Cruvellier, ancien rédacteur en chef de la revue spécialisée International Justice Tribune et auteur du livre Le Tribunal des vaincus, « Il n’y aura aucune mise en accusation pour les crimes commis par ceux qui sont sortis vainqueurs de la guerre civile. »

Le documentaire ci-après en dit beaucoup plus.

[vimeo]https://vimeo.com/112879025[/vimeo]

Amiel Nkuliza,

Sweden.