La justice sous la férule des services de renseignement

Par Ben Barugahare

Durant l’année en cours, il est fait état d’une série d’arrestations des personnes soupçonnées de tentative de subversion contre le pouvoir. Les charges sont graves et laissent présager des sérieuses sanctions pénales à l’encontre des accusés. Les récentes arrestations des adeptes du parti Dalfa-Umurinzi avec le journaliste d’Umubavu-tv Théoneste Nsengimana dont l’audience de detention provisoire a attire une foule de personnes qui assistaient parmi lesquelles on percevait beaucoup d’agents de renseignement. Ce constat laisse penser aux dérives d’un régime totalitaire dont les relations diplomatiques avec les autres pays sont en état déplorable et qui a peur de tout, suspectant tout le monde et désespéré procède aux persécutions souvent sans fondement.

Théoneste Nsengimana journaliste d’Umubavu TV et huit membres du parti d’opposition Dalfa Umurinzi créé par Mme Ingabire Victoire Umuhoza ont été arrêtés pour publication des rumeurs le 13 octobre 2021. Le journaliste a été arrêté à Kigali pendant que les autres étaient arrêtés en même temps que lui à Kigali et dans les provinces. L’annonce a été faite par le Bureau rwandais d’enquête (RIB).Le journaliste Théoneste Nsengimana avait été arrêté en avril 2020 puis libéré quelques semaines après. Selon les témoignages des responsables de Dalfa Umurinzi, 7 membres du parti et une amie personnelle de Mme Ingabire Victoire  Umuhoza ont été arrêtés. Certains ont été arrêtés les 13 et 14 octobre 2021 en même temps que le journaliste Théoneste Nsengimana. Il s’agit de :Sylvain Sibomana résidant à Kigarama/Kicukiro /Ville de Kigali. Il avait été libéré en mars 2021 après un emprisonnement arbitraire de 8 ans parce qu’il était membre du FDU Inkingi ;Alexis Rucubanganya résidant à Nyamagana/ Remera/Ngoma/ représentant du parti Dalfa Umurinzi dans la province de l’Est ; Hamad Hagengimana résidant à Kimisagara/Nyarugenge /Ville de Kigali ; Jean-Claude Ndayishimiye résidant à Rwamiko/Gisagara/ Province du Sud ;Joyeuse Uwatuje résidant à Nyarurama/Gatenga/Kicukiro/Ville de Kigali, amie et assistante personnelle de Victoire Ingabire Umuhoza ;Alphonse Mutabazi résidant à Rubona/Nyamyumba/Rubavu/Province de l’Ouest ;Marcel Habimana résidant à Terimbere/Nyundo/Rubavu/Province de l’Ouest, Secrétaire général du parti ;Emmanuel Masengesho résidant à Munanira/Nyamyumba/ Rubavu/Province de l’Ouest.Lors de leur arrestation pour suspicion de publication de fausses rumeurs, ils préparaient la célébration d’Ingabire Day le 14 octobre 2021. Alors qu’il travaillait chez lui à la maison, Théoneste Nsengimana a été appelé par une de ses connaissances. Il est sorti pour le rencontrer mais il est revenu, menotté et escorté par la police. Sa maison a été immédiatement perquisitionnée et le matériel de travail a été tous pris notamment les téléphones portables. En date du 28 octobre 2021, au tribunal de base de Kagarama dans le district de Kicukiro /Ville de Kigali, les neuf prévenus ont comparu pour une audience sur la détention mais elle a été remise sur demande de la défense représentée par Me Gashabana. L’avocat de la défense soulignait que le Ministère public leur avait remis les éléments du dossier d’accusation la veille et que la défense n’avait pas eu le temps suffisant pour la lecture et l’analyse du dossier ainsi que la concertation avec les détenus. L’audience a été remise au 02 novembre 2021.

A considérer les charges retenues contre les accusés par le ministère public, l’on croirait que ce dernier anticipait ou prévenait des infractions non encore commises mais qui risquaient de se commettre ou pas. 

Opinions politiques ou crimes 

Selon les déclarations du RIB relayées par les médias locaux, ils sont accusés de former ou d’adhérer à une association de malfaiteur, de répandre des rumeurs, répandre des informations fausses rumeurs ou des propagandes nuisibles, avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais, d’incitation au soulèvement ou aux troubles de la population. Selon la loi sur la cybercriminalité (article 39) loi N°60/2018 du 22/08/2018, les accusés encourent entre 3 et 5 ans pour publication de rumeurs. Selon le code pénal ou loi N°68/2018 du 30/08/2018 déterminant les infractions et les peines en général, ils encourent des peines compris entre 7 et 10 ans pour diffusion des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile (articles 194), entre 10 et 15 ans pour incitation au soulèvement ou aux troubles de la population (article 204) et entre 7 et 10 ans pour formation ou adhésion dans une association de malfaiteurs.

Rappelons que le journaliste Théoneste Nsengimana est cofondateur de la chaine Umubavu TV, directeur d’Umubavu TV online et Umubavu.com. Dans ses reportages, il dénonce des injustices sociales liées à la mauvaise gouvernance et aux inégalités sociales. Il est l’un des journalistes comme Cyuma Hassan Dieudonné à avoir dénoncé les expropriations non indemnisées des quartiers populaires de la Ville de Kigali et des situations de précarité pendant les mesures contre le Covid 19 dont le confinement. Theoneste Nsengimana a été renié par Rwanda Media Commission (RMC). Il est étrange que cet organisme sensé protéger  la liberté d’opinion et d’expression, et défendre les intérêts des journalistes trahit sa mission.

Les groupes sociaux ciblés

Les journalistes en ligne sont particulièrement la cible des autorités ; ils font l’objet des harcèlements policiers et judiciaires, et ils sont régulièrement stigmatisés et désignés en toute impunité à la vindicte populaire par des personnalités du régime qui leur reprochent de publier des articles sur les violations de droits de l’homme notamment les exécutions sommaires, les disparitions forcées ou les viols par les services de l’ordre ou de sécurité.Le journaliste Cyuma Hassan Dieudonné Niyonsenga, libéré par le juge en mars 2021 après onze mois de détention, est particulièrement la cible de ces harcèlements à cause de ses reportages.Agnès Uwimana Nkusi journaliste d’Umurabyo TV a purgé une peine de prison de cinq ans. Elle a repris son travail de journaliste et fait des reportages sur certains aspects des victimes du FPR en 1994. Elle continue à subir des harcèlements et a dû remettre sa carte à Rwanda Media commission (RMC).

A quoi servent des instruments juridiques?

Durant les trois mandats de la présidence de M Paul Kagame,  les libertés d’expression et d’opinion sont particulièrement violées et visées comme telles. Elles sont pourtant garanties par les instruments internationaux des droits de l’homme ratifiés par l’Etat Rwandais et les dispositions constitutionnelles seulement pour la liberté d’expression (article 38). En revanche la constitution rwandaise de décembre 2015 reste muette en ce qui concerne la liberté d’opinion. L’Etat rwandais a ratifié aussi la convention contre la torture et d’autres traitements inhumains. La torture, les sévices et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sont bannis par les dispositions constitutionnelles de l’article 14 qui consacrent l’intégrité physique et mentale mais les actes de torture sont régulièrement dénoncés en vain par les victimes et les organisations de défense des droits de l’homme.Par ailleurs le Gouvernement rwandais a refusé de ratifier la convention concernant les disparitions forcées. Des recommandations lui adressées par plusieurs Etats dont les USA, la Grande Bretagne lors de l’Examen Périodique Universel du 25 janvier 2021 lui demandaient de ratifier la convention pour la protection de toute personnes contre les disparitions forcées et d’autoriser des enquêtes indépendantes sur les cas d’exécutions sommaires et de disparitions forcées. Ces recommandations ont été validées en juin 2021 par le Conseil des droits de l’homme à Genève. Le Gouvernement rwandais les a clairement rejetées en prétextant fallacieusement qu’il ne souscrivait pas « à la recommandation tendant à ce qu’il ratifie cet instrument, sachant qu’il étudie encore l’évolution de certains facteurs géopolitiques dans la région qui pourraient avoir des incidences sur la mise en œuvre de la convention, et sachant aussi qu’il est encore en train de s’assurer que toutes les dispositions constitutionnelles voulues sont en place ».Particulièrement sous le troisième mandat de M. Paul Kagame, les atteintes aux droits de l’homme se sont accentuées même si l’image que veulent véhiculer le régime de Kigali et ses soutiens est celle du développement économique. Mais quel développement sans le respect des libertés fondamentales et celle du droit à la vie et à la dignité humaine ?Des actes d’assassinats, de tortures et de disparitions forcées des opposants et de personnes qui réclament leurs droits ou les droits d’autrui n’ont pas cessés depuis la prise du pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR). À titre indicatif, les cas de disparitions forcées ou d’assassinats de Kagwa Rwisereka André du Parti démocratique Vert (juillet 2010) et de plusieurs membres du FDU-nkingi dont Mme Illuminée Iragena (mars 2016) et de Boniface Twagirimana vice-président du FDU-Inkingi Octobre 2018) qui était détenu à la Prison de Mpanga sont parlants.Les exécutions sommaires dans les stations de police ont aussi été dénoncées. Les cas du Kizito Mihigo (février 2020), de l’avocat Donat Mutunzi (avril 2018), de l’ex-médecin personnel du Président, Dr Emmanuel Gasakure  (février 2015) et beaucoup d’autres sont parlants. Aucune enquête indépendante connue n’a été menée pour la poursuite des auteurs de ces assassinats et disparitions forcées.

4Harcelés pour leurs opinions

Depuis le 25 octobre 2021, sur les réseaux sociaux circulent les  témoignages et des entretiens de Hakuzimana Abdou Rashid sur YouTube et sa convocation par le Bureau rwandais des enquêtes (RIB). Convoqué pour  le 27 octobre, il s’est présenté le 28 octobre et a été arrêté.  Les motifs donnés pour son arrestation sont le négationnisme du génocide des tutsi commis en 1994 et le divisionnisme dans ses propos tenus dans ses entretiens en ligne sur des chaines YouTube. Il est détenu à la station de Kicukiro dans la Ville de Kigali.Il souligne qu’il fait la politique et qu’il est né d’une famille mixte (parents hutu et tutsi) et que son père a été emmené par les soldats du FPR et qu’il n’est jamais revenu. Il ne connait pas l’endroit où il a été assassiné et enterré. Dans ses propos sur sa chaine YouTube et celle des autres chaines YouTube, il ne reconnait pas le double génocide mais soutient que beaucoup de membres de l’ethnie Hutu ont été tués par le FPR comme l’a par ailleurs reconnu Paul Kagame, Président de la République. Il critique des inégalités et discriminations dans la société rwandaise. Il propose aussi de revoir la façon dont sont faites les commémorations du génocide des tutsi afin de permettre aux hutu qui ont perdu les proches de les retrouver et de les enterrer dignement ou de les commémorer.

A la suite des arrestations des membres de DALFA-Umurinzi, Mme Ingabire Victoire Umuhoza a exprimé ses inquiétudes pour les membres arrêtés juste pour l’organisation d’Ingabire Day commémoré régulièrement en soutien aux politiciens rwandais injustement emprisonnées. Au cours de ces deux dernières semaines, elle a été convoquée à deux reprises dans les bureaux du RIB pour un entretien à bâtons rompus sur la question d’arrestation des membres de son parti et sur le respect et d’ouverture de l’espace démocratique.Le thème de débat sur l’ouverture de l’espace politique et sur l’impunité est un des sujets sensibles au Rwanda et il est évoqués ces derniers temps sur les chaines YouTube.  M. Rachid Abdoul Hakuzimana revient souvent dans ses débats sur ces questions et les massacres commis par le FPR.  Les massacres des hutu et la qualification de ces massacres sont tabou au Rwanda.  Ceux qui osent avancer les crimes commis par le FPR sont qualifiés de négationniste ou de révisionniste par le régime du FPR et dans les débats publics et sur les réseaux sociaux.  Beaucoup de personnes qui ont évoqué ce sujet ont été dans le viseur du régime alors que c’est une question sociale rwandaise qui nécessite un débat ouvert pour une vraie réconciliation nationale. Mme Ingabire Victoire Umuhoza l’a été lorsqu’elle a évoqué ce sujet ; elle a été condamnée à 15 ans de prison. Aimable Karasira est en procès pour avoir affirmé tout haut qu’il sait que les massacre de son père, sa mère et sa sœur ont été commis par le FPR  même si c’est une famille d’ethnie tutsi. Gilbert Shyaka est porté disparu pour avoir osé l’écrire au président de la République et demandé de résoudre cette question. Kizito Mihigo en a payé de sa vie pour avoir composé et chanté en évoquant « les massacres des hutu qui n’a pas été qualifié de génocide » dans la chanson « explication de la mort » ; dans tous ses chansons il militait pour une vraie réconciliation. En international, ceux qui évoquent ces massacres ou essaient de mener des enquêtes à ce sujet sont harcelés dans les médias pour imposer un silence absolu ces violations graves du droits humanitaires au Rwanda et qui se sont poursuivies dans les pays voisins. La journaliste canadienne Judi Rever, la BBC ou l’ancienne procureure du TPIR Mme Carla Del Ponte ont subi le courroux du régime de Kigali via les médias et les politiques internationales. Le Docteur Denis Mukwege prix Nobel de la paix 2018 a subi des menaces du régime rwandais pour avoir évoqué la mise en place d’un tribunal pour juger les crimes de masse commis en RDC répertoriés par le rapport Mapping des Nations Unies.

Pourtant M. Paul Kagame, président de la République et président du FPR qui est pointé du doigt a reconnu que des hutu ont été massacrés. Même s’il a affirmé qu’ils ont pas été massacrés pour leur appartenance à l’ethnie hutu. Il n’a cependant pas spécifié la cause du massacre alors ce fait est une réalité dans la tragédie rwandaise. Les critiques sur des questions sociales notamment les inégalités, les discriminations et la pauvreté ne sont pas non plus tolérées parce qu’elles touchent à la gouvernance et à l’image du pays dans son ensemble.

Nous apprenons que les officiels rwandais sont en négociation avec Youtube pour qu’il puisse bloquer les blogs qui émettent des messages frisant l’idéologie du génocide et le divisionnisme mais en réalité ils visent ceux qui critiquent leur dictature et les violations des droits de l’homme qu’ils commettent au quotidien.   Le monde médiatique est menacé et si rien n’est fait tous les medias opérant à l’intérieur du pays et qui ne plaisent pas au régime rwandais devront fermer après que leurs propriétaires auront été emprisonnés s’ils ne parviennent pas à fuir le pays. Nous en appelons à la communauté internationale et à toutes structures internationales œuvrant dans le cadre de la liberté de la presse d’exercer une pression au régime car toute idée ne rimant pas avec la politique du régime est directement incriminée et brutalement réprimée.