La liberté d’expression au Rwanda reste illusoire

Par The Rwandan Analyst

Introduction

Partout dans le monde la liberté de la presse est officiellement reconnue et même inscrite en lettres d’or dans les constitutions et les actes constitutionnels. Mais elle est aussi vite limitée, parfois supprimée. Elle fait peur. Ceci est aussi vrai dans les pays développés que dans ceux en voie de développement. La restriction des médias fait que le journaliste s’autocensure, privant ainsi les lecteurs et auditeurs des faits et des vérités quand il dépasse les limites et deviendrait ainsi victime de poursuites, de procès ou de condamnation.

A Genève, lors de l‘examen périodique universel sur le respect des droits de l’Homme, plusieurs pays ont demandé à ce que le Rwanda revoit sa position en matière de liberté d’expression. A quoi se fonde cette position des évaluateurs du périodique? est-ce que les lois locales ne garantissent pas cette liberté?

1.De la légalisation à la réalité

La constitution de 2003 telle que révisée en 2015 et la loi sur la presse reconnaissent la liberté d’expression. En effet, selon le prescrit de l’article  38 de la constitution,La liberté de presse, d’expression et d’accès à l’information sont reconnues et garanties par l’Etat. La liberté d’expression et la liberté d’accès à l‟ information ne doivent pas porter atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, à la protection des jeunes et des enfants ainsi qu’au droit dont jouit tout citoyen à l’honneur, à la dignité et à la préservation de l’intimité de sa vie personnelle et familiale. Les conditions d’exercice et de respect de ces libertés sont déterminées par la loi. La presse de nouveau dans le collimateur du pouvoir Le nouveau gouvernement se confronte rapidement à des divisions internes et à un problème de cohésion dans l’action gouvernementale. Il n’arrive pas à mettre en place de nouvelles lois adaptées au contexte du moment ou à faire respecter les lois, parfois obsolètes, toujours en vigueur. Le régime se radicalise et la presse en subit les conséquences. Si au début du nouveau régime il semblait exister encore une certaine volonté d’encourager la presse libre, très vite un contrôle plus strict des médias se présente. Dans cette perspective, le Premier ministre a proclamé, que « le rôle de la presse a été plus destructeur que constructeur dans la reconstruction nationale », suite à la “révélation” sur Radio Rwanda d’un détournement de fonds au ministère des Finances. Le ministre de l’Information prononce l’avertissement suivant: « la nouvelle politique de l’information est la promotion de l’unité et de la réconciliation des Rwandais. Pour cela rien ne sera ménagé, dans le but de respecter cette nouvelle politique. » Le message est ferme: « on ne tolère pas de nouvelles dérives ». C’est à cette époque qu’une commission de contrôle de la presse est constituée au sein du gouvernement mais la mise en pratique de cette commission est lente. Selon les autorités, les journaux privés se laissent aller souvent à des dérives. Le ministre de l’Information estime même que des mesures doivent être prises pour limiter la liberté de la presse. A cette fin, il propose de modifier l’article 6 de la loi du 15 novembre 1991 qui reconnaît à toute personne la liberté de fonder une entreprise de publication de presse écrite. Cet article sera complété par une autre disposition qui prescrit que des accords doivent d’abord être établi avec le gouvernement et tous les journaux existants doivent demander l’autorisation de paraître au ministère de l’Information, ce qui signifie un contrôle accru des médias. Au risque de ne pas distinguer le droit de critique et la liberté d’opinion de l’incitation à la haine ou à la division ethnique, les services du ministère de l’Information s’en prennent à l’ensemble des journaux rwandais. La conséquence est que des journalistes sont harcelés et menacés, le plus souvent par des membres des forces de l’ordre et des services de renseignements, en dehors de toute procédure légale. L’inquiétude parmi les journalistes ne se laisse pas attendre: « Comment instaurer ce système de censure sans violer la liberté d’opinion? A quel moment est-on dans l’extrémisme? Quel mot ne faut-il pas prononcer pour ne pas courir ce risque? 

De la loi à la réalité, les lois sont là mais leur strict respect est théorique car les persécutions contre les journalistes sont plus que patentes: où se trouvent Ismail Mbonigaba; Kabonero Charles d’Umuseso Jean Bosco Gasasira d’Umuvugizi? en exil. Que dire des journalistes assassinés; des journalistes menacés; des journaux retenus à la frontière? ce qu’il reste de la presse est youtube que le parquet surveille de près pour pêcher quiconque franchit la ligne rouge.   

2.Les entraves aux libertés et la censure.

Le Rwanda est de plus en plus cité dans des rapports soulignant différentes violations des droits de l’Homme.

A Genève, s’est tenu récemment l’examen périodique universel sur les droits de l’homme, où le Rwanda a été une nouvelle fois critiqué.

Ce pays, souvent cité en exemple pour son développement économique, se voit obligé de répondre sur les disparitions forcées, le musèlement des médias ou la liberté d’expression.

Les bonnes relations entre le Rwanda et le Royaume-Uni sont d’ailleurs aussi menacées après les critiques de Londres sur la situation des droits humains dans ce pays. 

Notre invité de la semaine s’appelle John Williams Ntwali, un journaliste rwandais qui s’exprime sur ce sujet au micro d’Etienne Gatanazi, notre correspondant à Kigali.

La liberté d’expression au Rwanda reste quelque chose d’illusoire. Je parle d’illusion au vrai sens du terme. Il y a des lois et décrets qui disent que cette liberté est assurée mais dans la pratique, ce n’est pas le cas. Les citoyens ne peuvent pas s’exprimer, s’adresser à des médias. Ils craignent des attaques de la part des autorités publiques comme les instances de base, les organes de sécurité, pour ne citer que ceux-là.

La liberté d’expression est également menacée car les citoyens n’ont pas accès à la prise de décision concernant leur vie quotidienne. Récemment, il y a eu une flambée de mécontentement en rapport avec des prix de transport en hausse sans tenir compte de la situation macabre vécue par les Rwandais qui ont du mal à surmonter la crise issue de la Covid-19.

Depuis six mois, les citoyens craignent la révision des impôts car ils ne travaillent que quelques heures dans la journée. Et cette fois-ci, Kigali vit dans un confinement total. Mais le gouvernement rwandais s’en méfie donc le citoyen rwandais n’a pas accès à la prise de décision ce qui revient à conclure à l’absence de liberté d’expression.

3.Dossier des disparitions forcées

Le Rwanda n’a toujours pas signé les accords onusiens permettant d’enquêter sur les disparitions forcées. A mon avis, c’est évident : le Rwanda ne veut pas se piéger en signant des accords concernant quelque chose dont il se croit coupable. Les disparitions forcées sont multiples et répétitives depuis bien longtemps. Des gens disparaissent pour ne plus réapparaître. D’autres sont portés disparus et réapparaissent plus tard dans des prisons, dans des cachots de la police nationale ou lorsqu’ils sont présentés aux médias. D’autres disparaissent et sont retrouvés morts dans des circonstances mystérieuses. Hier, ce fut le sort d’un certain Joël Nsekanabo, résident de Rusizi en province de l’ouest du pays, porté disparu il y a deux semaines. Alors que sa femme avait dit qu’il avait été enlevé avec des policiers, la police et le Rwanda Investigation Bureau (RIB) ont nié savoir où il serait emprisonné. Et hier, des policiers ont dit à sa femme très surprise que Joel s’était suicidé dans un cachot de la police.Ce genre de  » suicide » reste un dilemme car ses circonstances ne sont pas vérifiables.

4.Musellement des medias locaux

Les médias ne jouissent pas de la liberté d’expression. La censure est devenue une règle générale, au point que les journalistes savent ce qu’ils peuvent publier et ce qu’ils ne peuvent pas oser. Même les citoyens craignent de s’adresser aux médias. Certains veulent qu’on cache leur visage, d’autres qu’on brouille leur voix pour leur « propre sécurité. »A plusieurs reprises, des médias en ligne se sont senti obligés d’effacer des articles déjà publiés et sont menacés de fermeture, d’exclusion du business. Le Rwanda figure parmi les pays où la liberté des médias est remise en question par Reporters sans Frontières, mais il n’y a pas de volonté politique pour que ça change.

Conclusion: quel impact sur le CHOGUM prévu à Kigali?

Le Royaume Uni est l’un des pays qui ont souvent défendu le Rwanda au niveau international. Mais il n’a pas mâché ses mots à Genève, critiquant le non-respect des droits de l’Homme. Ce pays signale la fermeture de l’espace politique au Rwanda, avec le harcèlement de politiciens de l’opposition, tout en ajoutant que ceci va « à l’encontre des valeurs du Commonwealth ». Les choses sont-elles en train de changer entre Kigali et Londres ? une conclusion hâtive ad hoc n’est pas permise mais cette fois-ci, les harcèlements sautent aux yeux sur le sol rwandais. Ceci pourrait-il constituer un obstacle à la tenue à Kigali de la conférence des pays anglophones au mois de juin ?
Pourquoi pas ? en tout cas, mais ça ne serait pas la première fois que ce genre de choses se produit. Nous n’avons qu’à attendre.Il reste encore deux mois au gouvernement rwandais pour se placer au rendez-vous. Mais la situation peut aussi empirer, on ne sait jamais, l’avenir réserve toujours des surprises.