Le TPIR ferme ses portes. Quels enseignements ?

Le 8 novembre 2014 le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a célébré avec fastes ses 20 ans d’existence à Arusha (Tanzanie) où il a son siège. Le TPIR fut en effet créé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa Résolution 955 (1994)  du 8 novembre 1994.

Dans cette résolution comme dans les statuts du Tribunal, il est stipule que le Conseil de sécurité :

« 1. Décide par la présente résolution, comme suite à la demande qu’il a reçue du Gouvernement rwandais (S/1994/1115), de créer un tribunal international chargé uniquement de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins, entre le1er janvier et le 31 décembre 1994, et d’adopter à cette fin le Statut du Tribunal criminel international pour le Rwanda annexé à la présente résolution; »

On notera que le Conseil de Sécurité souligne que c’est notamment sur demande du gouvernement rwandais que ce tribunal fut mis en place. Pourtant, le même gouvernement rwandais ne votera pas la résolution pour feindre son insatisfaction et faire croire à une quelconque défiance par rapport à cet instrument qui allait être utilisé pour asseoir et pérenniser un pouvoir oligarchique au Rwanda et dans la région des Grands Lacs.

Ecart entre les principes généreux énoncés par les textes fondamentaux et la réalité.

Le fonctionnement du TPIR ainsi que le déroulement des procès ont fini d’enterrer le prétexte de sa création et de révéler au grand jour les vrais motifs de sa mise en place dès 1994. Ce Tribunal est apparu et restera dans l’Histoire comme « un Tribunal des vaincus » dans une guerre régionale sous couvert de l’antagonisme hutu-tutsi au Rwanda. Après avoir favorisé la conquête du Rwanda par le Front Patriotique Rwandais, la Communauté Internationale se devait de lui garantir la survie en l’assurant d’annihiler toute opposition potentielle à son régime, notamment en diabolisant et en tuant « juridiquement et administrativement » les anciens rivaux qui s’étaient opposés à la rébellion tutsi venue d’Ouganda en 1990.

D’emblée, le TPIR étonnait les non initiés mais se ridiculisait face aux plus avisés quand il a affirmé que l’attenta du 6 avril 1994 qui coûta la vie aux chefs d’Etats rwandais et burundais n’entrait pas dans son mandat qui pourtant couvre la période du 01 janvier au 31 décembre 1994. On se demande par quelle magie le TPIR est parvenu à se procurer et à lire le seul calendrier de l’année 1994 dans lequel il manque la date du 6 avril ! C’est ainsi que les enquêteurs naïfs du Procureur qui avaient pris à la lettre le texte de la Résolution 955/1994 et qui avaient commencé à enquêter sur les crimes commis par le FPR dans la période indiquée, ont tout simplement été licenciés et même sanctionnés. En même temps, le régime du FPR n’a cessé des s’immiscer dans le fonctionnement du TPIR par chantage et instrumentalisation  que le même TPIR digérait sans broncher. Ainsi, chaque fois que le TPIR rendait un arrêt ou une décision qui contrariait le régime, Kigali réagissait en suspendant toute coopération avec celui-ci, ce qui signifiait un désarment total du Procureur dont presque tous les témoins provenaient de Kigali en accord avec le Gouvernement. Le monde entier en a reçu une illustration quand Jean Bosco Barayagwiza régulièrement libéré par le TPIR fut réarrêté et rejugé sur demande du gouvernement rwandais qui menaçait de ne plus permettre à aucun autre témoin de l’accusation de revenir à Arusha si Barayagwiza était libéré.

Perte de crédibilité suite à ses prises de position ou ses décisions

Le TPIR, qui ferme ses portes fin décembre 2014, aura manqué de crédibilité jusqu’au bout. En effet ce tribunal, après avoir jugé et acquitté plusieurs anciens dignitaires du régime déchu, n’arrive pas à trouver une destination à des innocents incarcérés pour la plupart pendant une dizaine d’années. La seule explication que le TPIR donne à ceux qui se demandent le pourquoi de cette situation kafkaïenne, est que « ce cas n’était pas prévu » ! Entendez par là que lors de la création du Tribunal, il n’était pas prévisible et même pensable  qu’il y aurait des acquittés parmi les Hutu qui étaient visés. C’est tout simplement ahurissant !

Contradictions entre ses jugements et leurs interprétations

Le TPIR a fonctionné sous le système dit de « Common Law » anglo-saxon. Ce système admet le principe de « Plaider coupable » après des arrangements avec le Procureur. La personne qui plaide coupable à sa comparution initiale épargne ainsi à la Cour un long procès incertain, mais par contre les observateurs ne sauront rien de plus sur le fond de l’affaire, à part les charges du Procureur présentées et admises sans aucune contradiction. Ce fut le cas du pauvre Jean Kambanda, un opposant au régime de Juvénal Habyarimana, qui, arrêté par le TPIR en 1997 et mis sous pression psychologique et soucieux de sauver sa famille, a plaidé coupable de tous les chefs d’accusation dont  celui « d’Entente en vue de commettre le génocide », lui qui ne fut désigné Premier Ministre que le 9 avril 1994 en plein génocide sur fond d’une offensive militaire générale du FPR sur tous les fronts.

Le TPIR n’ayant pas pu établir formellement les preuves de la planification du génocide et qui dut recourir à un diktat dit «  Constat Judiciaire » pour débloquer certaines situations, n’a pas pu tirer profit du « Plaider coupable » de Jean Kambanda. Parallèlement, celui-ci, de sa prison au Mali après de longues  réflexions, a publié dans un livre de plus de 400 pages sur son amertume et a dénoncé la supercherie dont il avait été victime.

Le même TPIR n’a d’ailleurs pas été au bout de ces contradictions car après l’extorsion du « plaider coupable » au Premier Ministre Jean Kambanda, le tribunal n’a pas pu condamner son gouvernement sur base de cette supercherie. En effet, presque tous les membres de son gouvernement qui avaient été arrêtés ont été acquittés de tous les chefs d’accusation dont celui « d’entente en vue de commettre le génocide ».

Le TPIR, un punching-ball du régime du FPR de Paul Kagame

Tout au long de ses 20 ans d’existence, le TPIR est souvent apparu comme le « punching-ball » du régime installé à Kigali en 1994. Chaque fois que ce tribunal condamnait lourdement (surtout à l’emprisonnement à perpétuité), Kigali le félicitait et se réjouissait de son travail en promettant toute sa coopération. Mais quand un acquittement ou même une peine de quelques années de prison étaient prononcés, le régime sortait de ses gonds et menaçait de rompre tout contact avec le tribunal. Ses services de propagande n’hésitaient pas à organiser des manifestations « spontanées » à Kigali pour dénoncer le TPIR suite à certains arrêts d’acquittement.

De même, le régime de Kigali utilise le « plaider coupable » de Kambanda pour faire croire que les preuves de la planification du génocide auraient  été fournies devant le TPIR par ce même Kambanda mais sans aller jusqu’à dire lesquels. Visiblement, un tel discours du régime est destiné à son opinion interne qui risque d’être déboussolée par la propagande officielle face aux faits réels.

Enfin, le « mauvais, inutile et budgétivore » tribunal qu’est le TPIR d’après le régime du FPR, est encore adoubé quand dans le cadre de sa stratégie de fin de mandat, il doit envoyer au Rwanda deux prévenus arrêtés sur le tard et qualifiés de « petits poissons » pour y être jugés. Le régime présente ce fait comme une preuve de la reconnaissance par le Communauté internationale, notamment par ses instances judiciaires qu’il existe au Rwanda une justice équitable et indépendante. Ici aussi, la propagande semble être destinée à l’opinion interne. Il n’empêche que le TPIR restera, aux yeux du régime, parfait et son contraire tout dépend dans quel sens est allée telle ou telle des ses décisions.

Les archives pour sauver l’honneur ! 

Humilié, instrumentalisé, ridiculisé…, le TPIR aura peut-être sauvé son honneur en parvenant in extremis à s’opposer à la demande saugrenue du Rwanda d’hériter de ses archives. En parvenant à les maintenir à Arusha, le TPIR aura empêché le régime du FPR de les charcuter à volonté, de faire de son allégeance une des conditions pour pouvoir les consulter comme il en est du Mémorial et ainsi leur retirer leur caractères avant tout académiques et historique en tant que patrimoine de l’Humanité. Sur ce point, Bravo  au TPIR.

Emmanuel Neretse
19/11/2014

 musabyimana.net