Les conséquences effrayantes des lois rwandaises sur l’idéologie du génocide et le sectarisme

 Par The Rwandan Lawyer

Introduction

Le silence sauve dans les pays où les services de renseignements agissent clandestinement jusqu’à impliquer des paysans, des proches, à telle enseigne que l’on se garde de parler même en présence de ses enfants, son épouse car on ne sait jamais les murs ont des oreilles…La présente étude analyse succinctement les effets de la législation adoptée au Rwanda sur l’idéologie du génocide et le sectarisme où l’on voit clairement que c’est une seule ethnie hutue qui est visée.

1. Faits

Les lois rwandaises sur l’« idéologie du génocide » et le « sectarisme », plus communément appelé « divisionnisme », ont été introduites dans la décennie qui a suivi le génocide perpétré en 1994 au Rwanda. Conscient du rôle joué par les discours de haine, le gouvernement du Front patriotique rwandais (FPR) formé après le génocide a promulgué des lois visant à encourager l’unité et à limiter les propos pouvant constituer une incitation à la haine. À l’issue de six années de réformes de grande ampleur du système de justice conventionnelle, le gouvernement rwandais a annoncé, un réexamen de la loi réprimant l’« idéologie du génocide »une initiative qui était accueillie favorablement par les activistes des droits de l’homme. Le présent article met en évidence les sujets de préoccupation de l’organisation à propos de la loi en vigueur et de son application eu égard au processus de réexamen mené par le gouvernement rwandais. Prohiber le discours haineux est un objectif légitime, mais l’approche retenue par les autorités rwandaises viole le droit international relatif aux droits humains. Les dispositions législatives réprimant l’« idéologie du génocide » et le « divisionnisme », relevant des lois sur le « sectarisme », rédigées en termes vagues et ayant une large portée et qui érigent en infraction l’expression orale ou écrite protégée par des traités internationaux, sont contraires aux obligations régionales et internationales du Rwanda en matière de droits humains ainsi qu’à ses engagements en faveur de la liberté d’expression. La formulation vague de ces lois est délibérément utilisée pour violer les droits humains. Des poursuites pour « idéologie du génocide » ainsi que pour des infractions prétendument « liées à l’idéologie du génocide » ont été engagées avant même la promulgation de la loi définissant cette infraction. Des personnes continuent d’être inculpées de « divisionnisme » aux termes des lois sur le « sectarisme » bien que cette infraction ne soit pas définie par la loi. Des Rwandais, parmi lesquels figuraient des juges, des avocats et des défenseurs des droits humains, ont fait part de leur préoccupation face au type de comportement visé par ces textes. Ces lois définies de manière vague et ayant une large portée ont mis en place un cadre législatif utilisé abusivement pour ériger en infraction les critiques à l’égard du gouvernement et l’expression légitime d’opinions dissidentes. C’est ainsi que des personnes qui réclamaient l’ouverture de poursuites pour les crimes de guerre commis par le FPR ont été réduites au silence. À cet égard, un amalgame a été fait entre la dissidence politique légitime et l’« idéologie du génocide » , entravant la liberté d’expression et d’association des personnalités politiques de l’opposition, des défenseurs des droits humains et des journalistes critiques à l’égard du gouvernement. Des individus ont exploité les failles de la loi à des fins personnelles, par exemple pour jeter le discrédit sur des enseignants ou acquérir une influence politique au niveau local, ou encore dans le cadre de litiges fonciers ou de conflits entre personnes. Plusieurs accusations d’« idéologie du génocide » et de « divisionnisme » reposant sur des éléments peu convaincants ont débouché sur des acquittements, toutefois souvent après que l’accusé eut passé plusieurs mois en détention préventive. Beaucoup d’accusations de cette nature auraient dû faire l’objet d’enquêtes approfondies, mais la formulation vague des lois fournit peu de critères à la police et au parquet. Ces lois ont des effets paralysants : elles dissuadent les gens d’exercer leur droit à la liberté d’expression. Ainsi, même si aucune mesure n’a été prise contre elles, des personnes s’abstiennent d’exprimer des opinions qui peuvent être légitimes par crainte de représailles. Dans certains cas, des personnes ont été dissuadées de témoigner en faveur de la défense dans des procès pénaux. Ces lois, qui ont contribué à détruire la confiance mutuelle dans une société déjà fragilisée après le génocide de 1994, vont à l’encontre de l’engagement du gouvernement en faveur de l’unité nationale. Les autorités ont parfois déployé beaucoup d’efforts afin d’obtenir l’ouverture de poursuites pour « idéologie du génocide ». Une telle procédure a notamment été ouverte contre un demandeur d’asile débouté en raison de déclarations qu’il avait faites à l’étranger. De tels cas, dans un contexte où les responsables gouvernementaux font des déclarations publiques insinuant la culpabilité de personnes avant leur procès, ont des effets encore plus dissuasifs et ne contribuent pas à inspirer la confiance dans le système de justice. Les autorités rwandaises ont pris un certain nombre d’initiatives en vue d’améliorer le système de justice conventionnel – en particulier l’abolition de la peine de mort – et la manière dont la justice est rendue, ainsi que pour tenter d’obtenir du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et de juridictions nationales le transfert de personnes soupçonnées de génocide. Toutefois, de nombreuses améliorations semblent largement formelles, d’autres n’ont pas été expérimentées et l’équité des procès reste un sujet de préoccupation. Les efforts du Rwanda pour réformer nombre de ses lois afin de les mettre en conformité avec ses obligations internationales révèlent de plus en plus la nature problématique de l’« idéologie du génocide » et du « sectarisme ». Ces lois ont ébranlé la confiance dans le système judiciaire et entravé les initiatives prises par le gouvernement pour tenter d’obtenir que des personnes soupçonnées de génocide et vivant à l’étranger, soient extradées au Rwanda pour y être jugées. Elles ont également compromis les efforts déployés en vue de créer des conditions favorables au retour des réfugiés rwandais dans leur foyer. Elles ont enfin suscité de nombreuses critiques au niveau international dans la période précédant l’élection présidentielle. Le gouvernement rwandais a annoncé, en avril 2010, un réexamen de la loi réprimant l’« idéologie du génocide ». On espérait que ce processus déboucherait sur une modification de la loi et de la pratique afin de n’interdire que l’expression orale ou écrite équivalant à un appel à la haine et constituant une incitation à l’hostilité, à la discrimination ou à la violence, tout en autorisant la liberté d’expression, conformément aux obligations internationales du Rwanda en matière de droits humains. La liberté d’expression est essentielle à la concrétisation et à l’exercice de l’ensemble des droits humains dont elle est indissociable. L’attention de la communauté internationale s’est soudainement portée sur ces lois à la suite de l’arrestation, en mai 2010, de l’avocat Peter Erlinder pour négation du génocide aux termes d’une loi de 2003 ; ce citoyen américain a été remis en liberté sous caution par la suite. Le présent article ne porte pas spécifiquement sur cette affaire ou sur la loi de 2003, mais traite de l’application de lois similaires et connexes. L’« idéologie du génocide » est un sujet sensible au Rwanda. Des groupes de défense des droits humains et des journalistes sont régulièrement tancés par des médias proches du gouvernement pour avoir attiré l’attention sur des insuffisances de la loi. L’organisation espère que le gouvernement rwandais et d’autres acteurs concernés accueilleront ce rapport comme une contribution utile au processus de réexamen annoncé par le gouvernement rwandais.

2.Analyse

2.1.Des commissions marquées par la délation, les règlement de comptes, la jalousie sur toile de fond ethnique

Depuis 2003, le gouvernement rwandais mène une campagne de grande ampleur contre ce qu’il appelle le « divisionnisme » et l’« idéologie du génocide ». Entre 2003 et 2008, quatre commissions parlementaires ont enquêté sur des allégations de « divisionnisme » et d’« idéologie du génocide » qui ont entraîné la dénonciation publique de centaines de Rwandais ainsi que d’organisations rwandaises et internationales. Les dénonciations ont rarement donné lieu à des procédures judiciaires et de nombreux accusés n’ont pas eu la possibilité de se faire disculper. Ces commissions ont fait une interprétation très large du « divisionnisme » et de l’« idéologie du génocide » qui érigeait en infraction des opinions et propos dissidents autorisés par les instruments internationaux relatifs aux droits humains. La première commission qui a rendu publiques ses conclusions quelques mois avant les élections législatives et présidentielle de 2003 a de fait prôné la dissolution du Mouvement démocratique républicain (MDR), le parti d’opposition le plus fort, et désigné 47 personnes comme responsables de « discrimination et de division ». Elle a interprété le « divisionnisme » de manière à ce qu’il recouvre l’opposition à la politique gouvernementale. Ce rapport a entraîné la disparition du MDR dont le chef, Faustin Twagiramungu, n’a pu se présenter au scrutin présidentiel que comme candidat indépendant.De telles allégations contre des membres du MDR, lancées en dehors de toute procédure régulière peu avant l’élection présidentielle de 2003, s’inscrivaient dans une campagne de répression de l’opposition orchestrée par le gouvernement. Le rapport a également accusé des journalistes d’Umuseso, un journal privé en kinyarwanda qui est l’une des rares publications critiquant le gouvernement, d’être des « propagandistes de la division.

2.2. Fauses accusations

Il y a lieu de déplorer le fait que ces tribunaux ne respectaient pas les normes internationales d’équité des procès, mais les autorités rwandaises ont affirmé que l’équité pouvait être garantie par la participation de la population locale. Ces tribunaux ne prévoyaient pas de garanties suffisantes pour empêcher que de fausses accusations soient formulées, tout particulièrement après 2004, quand les accusations ont été recueillies par des agents administratifs locaux plutôt qu’au cours d’audiences publiques des gacaca. Les accusés n’avaient pas la possibilité de contester les charges retenues à leur encontre avant le procès. Ainsi qu’un universitaire rwandais l’a expliqué : « la dénonciation faisait également partie de la vie de tous les jours sur les collines du Rwanda où des voisins réglaient leurs comptes personnels en formulant des accusations (vraies ou fausses) de génocide ». Alors que le système gacaca touche à sa fin, il est impératif que les lois sur l’« idéologie du génocide » et le « sectarisme » rédigées en termes vagues ne deviennent pas des outils de dénonciation liée à des différends politiques ou personnels.

Conclusion 

On comprend mieux l’impact des lois qui donnent une définition très vaste de l’« idéologie du génocide » et du « sectarisme » si on le place dans le contexte des autres mesures prises pour limiter les critiques et la dissidence. Des groupes d’opposition ont été la cible d’intimidation et de harcèlement et les autorités les ont empêchés de faire les démarches nécessaires pour obtenir leur enregistrement à la veille du scrutin présidentiel de 2010, comme cela avait déjà été le cas lors de l’élection présidentielle de 2003 et des élections législatives de 2008. La loi de 2009 relative aux médias a imposé des restrictions abusives à la liberté de presse et les journalistes critiques à l’égard des autorités ne sont pas autorisés à assister aux conférences de presse gouvernementales. Le Haut Conseil des médias, une instance de régulation proche du parti au pouvoir, a interdit des journaux.Les restrictions imposées à la liberté d’expression et d’association auxquelles s’ajoutent les lois ambiguës réprimant l’« idéologie du génocide » et le « sectarisme » ainsi que celles qui érigent en infraction « l’outrage au président » ont pour conséquence de museler la dissidence au sein de la société rwandaise.