L’INNOCENCE ASSASSINÉE: épisode 1

By Jean-Jacques Bigwabishinze

« Tant qu’un grain d’amitié reste dans la balance, le souvenir souffrant s’attache à l’espérance. »

(Alfred de Musset, Les Premières Poésies, Namouna, 1832)

Existe-t-il une parole

Qui puisse consoler 

Une mère mortellement affligée

Par la mort de son premier-né ?

Existe-t-il un geste 

Que l’on pourrait poser 

Pour apaiser la douleur

D’une femme éprouvée ?

Quelles chansons douces 

Pourraient vous consoler, Madame,

Et vous donner la sérénité

Face à l’épée qui perce votre coeur ?

Sheja était votre trésor,

Et la source de votre fierté maternelle ;

Votre bonheur était alors sans bornes,

Et vous rendiez grâce à Dieu.

Je fus attristé par sa mort,

Moi qui ne l’ai jamais connu,

Et qui n’ai vu son aspect angélique

A longueur d’années.

Il va de soi dès lors

Que la douleur de sa mère

Qui le chérissait dès sa conception,

Doit être indicible !

Quelle personne au coeur sensible 

Ne serait tellement triste 

En entendant une mère 

Qui pleure la perte de son enfant ?

Il mourut en criant au secours,

Avant de se rendre auprès de l’Eternel,

Tandis que ses meurtriers 

Persistaient dans le crime.

Je ne cesse d’invoquer le Ciel,

Pour que le sang de cet enfant innocent

Marque pour le Rwanda 

Le début d’une ère de paix.

Je voudrais regarder en arrière

Et interroger l’histoire,

Afin d’apprendre à quiconque l’ignore encore,

Le message de la reine Nyiratunga.

Cette mère du roi Gahindiro

Aimait tendrement les petits enfants ;

Elle avait proclamé dans tout le royaume 

Que l’infanticide était réprouvé.

Jadis, les Rwandais étaient un peuple sage,

Leurs pensées avaient pour centre de gravité

Le respect absolu de la vie,

Comme le prouvent leurs lois et préceptes.

Défaire le nid d’un oiseau,

Ou tuer certaines espèces ornithologiques,

Etait impensable dans ce pays

Où l’on craignait le courroux céleste.

Autrefois l’enfance était sacrée,

Bien avant cette époque maudite,

Marquée par des génocides

Et par des luttes intestines et mortelles.

Autant que l’enfant né d’une mère,

Tout objet qui figurait l’enfant

Recelait une certaine sacralité,

Et personne n’osait le profaner.

Votre coeur est sans rancune, Madame,

Vous prônez l’unité des Rwandais,

Vous êtes la fierté du pays natal,

Comme par prédestination !

Je viens appuyer votre noble projet 

Par un discours de soutien,

Dans ce combat que vous menez

En faveur de la réconciliation nationale.

Le début des problèmes coïncide 

Avec la fin de l’autorité royale,

Lorsqu’un nouveau système de gouvernement 

Fut introduit dans le royaume.

Durant plusieurs siècles,

Le Rwanda était gouverné différemment,

Il évoluait dans une monarchie absolue,

Comme dans d’autres pays du monde.

Le pays vivait de pratiques magico-religieuses,

Des prêtres célébraient des rituels incessants,

Le royaume avait d’innombrables secrets

Que gardait un corps de confidents ritualistes.

L’arrivée des Européens apporta

Au pays de nouvelles habitudes politiques

Qui consistent à designer les dirigeants

Par la voie des urnes.

« Le pays appartient aux sujets, dit l’Européen,

C’est au peuple souverain de choisir 

Ses représentants aux institutions,

Pour une durée déterminée.

Si un élu est apprécié

Au terme de son mandat,

Il se présente à nouveau devant le peuple

Pour solliciter une nouvelle échéance.

Il en est de même pour le dirigeant médiocre

Qui cède sa place à celui qui la mérite ;

La distribution traditionnelle des charges

Fait partie d’une époque révolue.

Le gouvernement des provinces,

Le partage des richesses nationales,

Ainsi que les affaires juridiques,

Ne seront plus de la compétence du monarque ! »

Cette idée à la mode,

Qu’on surnomma « la loi »,

Devait guider l’action du roi

Et protéger la population.

Ces principes démocratiques

Furent embrassés par certains compatriotes,

Qui se révoltèrent ouvertement

Contre un système féodal.

Mille neuf cent cinquante-neuf

Fut l’année des troubles ;

L’abolition de la monarchie 

Se doubla d’une persécution ethnique.

Lors de ces soulèvements populaires,

Des compatriotes tutsis périrent

Ou leurs cases furent incendiées,

D’autres fuirent le pays massivement.

Personne ne fuit la paix ;

Nul ne s’exile volontiers 

Pour aller vivre dans la précarité 

Des camps de réfugiés.

On ne renonce pas joyeusement à ses racines

Pour errer de par le monde,

Et refaire péniblement sa vie 

Dans un pays d’asile.

Deux ans après l’éclatement de la révolte,

La monarchie fut évincée

Au profit de la République,

Et le roi prit le chemin de l’exil.

Des troubles ethniques répétés

Traumatisaient les Tutsis,

Qui étaient souvent massacrés

Et contraints à l’exil.

A un moment donné,

Les élèves furent renvoyés,

Les employés de la fonction publique

Furent limogés dans la foulée.

A peine arrivés dans les pays voisins,

Les réfugiés, qui désiraient rentrer, 

Créèrent une milice

Qui déstabilisa les frontières.

Les Tutsis restés dans leur pays

Faisaient l’objet de représailles sanglantes, 

On déplorait la mort d’innocents

Et on observait des flux de réfugiés.

Enfin le calme revint,

L’on prôna l’unité des Rwandais,

Et, malgré le système des quotas,

Le pays recouvra la tranquillité.

Le problème des réfugiés

Ne fut pas vite résolu,

Et prit des dimensions telles,

Qu’il resta sans réponse.