By Jean-Jacques Bigwabishinze
« Tant qu’un grain d’amitié reste dans la balance, le souvenir souffrant s’attache à l’espérance. »
(Alfred de Musset, Les Premières Poésies, Namouna, 1832)
J’ai fait un rêve,
Et je garde l’espoir
Que l’avenir du Rwanda
Sera bien meilleur !
J’ai vu notre pays
Paré d’une lumière éclatante
Et d’une blancheur immaculée,
Tel le soleil levant.
L’avenir sera enchanté,
L’épervier ne frappera plus la sauterelle,
Le lion n’égorgera plus la brebis
Qui viendra brouter à ses côtés.
Aucun outil agricole
Ne servira plus d’arme
Destinée à l’épuration ethnique ;
L’épée et le poignard,
Ainsi que la mitraillette meurtrière,
Seront fondus dans la forge,
Et il n’en restera que le couteau
Destiné à éplucher les tubercules.
De toutes les armes,
Il ne restera qu’un seul spécimen,
Destiné à instruire le peuple
Dans les musées du pays.
Quand ce moment viendra,
On ne connaîtra plus la guerre,
Nous vivrons dans la paix
Et comme un peuple fier.
Aucune mère dans notre pays
Ne perdra plus ses enfants par l’épée,
Les parents ne seront plus esseulés
Comme un arbre solitaire.
Personne parmi nos compatriotes
N’aura le moindre droit
De la tuer avec les siens,
Ni d’exterminer sa descendance.
Tout enfant qui naîtra,
Et qui ne mourra pas d’une mort naturelle,
Atteindra ses vieux jours
Et verra naître ses petits-enfants,
Et même ses arrière-petits-enfants,
Comme dans les temps anciens,
Quand nos ancêtres respectaient
Le droit inaliénable à la vie.
Pourquoi le sang versé et la désolation
Devraient-ils se succéder
En plongeant le pays dans le deuil ?
Pourquoi pas la paix et la prospérité ?
L’amour hérité de nos ancêtres,
Ainsi que le bon sens retrouvé,
Ne permettront plus
Des fleuves de sang.
Aucun citoyen rwandais,
Sur la place publique,
N’éprouvera plus le besoin
D’égorger son compatriote.
Durant notre vie sur la terre,
Il est indigne de se réjouir
Des malheurs d’autrui,
Car nous sommes tous des frères.
L’égalité des Rwandais
Sera de fait désormais,
Pour peu que nous soyons déterminés
A la promouvoir sans réserve.
Aucun citoyen
Ne devrait être exclu,
Ou être frappé d’ostracisme
A cause de son ethnie.
Maintenant que les murs
Qui nous séparaient s’écroulent,
Il convient d’agir ensemble,
Puisque nous avons le même destin.
Plus de haine, ni de divisions,
Plus d’injustice parmi nous,
Loin de nous le fardeau des vendettas :
Vivent la fraternité et la miséricorde !
Assez les mauvaises habitudes
De l’ethnisme et de ses tragédies !
Marchons plutôt dans la lumière,
Et que la justice protège tous les hommes.
La lutte contre la misère
Est le seul combat qui vaille la peine,
Au lieu de semer la mort
Dans un pays exsangue.
La nuit de la vilenie et de l’envie
N’a que trop duré !
Les temps meilleurs sont devant nous,
Le jour de la fraternité se lève.
Que toutes les couches sociales
Se régalent à l’agapè national
Autour de la table ronde,
Pour conclure un pacte d’unité.
Que ces ethnies boivent à la même source,
Sans voir dans l’Autre un intouchable,
Sans que les plus forts parmi nous
Mangent la plus grosse part du gâteau.
Autour d’une amphore immense,
Buvons un vin salutaire,
Au lieu d’avaler la haine,
Et de plonger le pays dans le précipice.
Nos ethnies sont jumelles,
Elles sont liées et entrelacées,
Nos destinées sont mêlées
Dans un univers monadique.
Un amour bien ordonné
Commence par son prochain ;
Et le mal que l’on fait aux autres
Revient comme un boumerang.
N’ayons pas un cœur de pierre,
Ce qui vient d’être dit plus haut
Demande instamment au peuple
De se comporter comme un seul corps.
Quand le pied heurte une pierre,
La langue crie au secours ;
Quand le cerveau est en défaillance,
D’autres organes en pâtissent.
Aimons-nous les uns les autres,
Animés de la tolérance en toutes choses,
Vivons en paix pour les siècles sans fin,
A l’ombre de la Providence.
Puissent les trois ethnies
Vivre en harmonie
Comme une trinité sacrée ;
Puisse le Rwanda connaître la paix !
Telle la clarté lunaire,
La tranquillité nous illuminera,
Et se répandra partout
Sur toutes les contrées du pays.
L’aurore dans toute sa splendeur
Se lèvera à l’est,
Et traversera les mille collines
Jusqu’aux bords du lac Kivu.
Le jour naissant et ensoleillé
Chassera les ténèbres ;
La servitude et les dissensions
Fondront comme la neige.
Le brouillard du mensonge
Finira par se dissiper ;
Les inégalités et les discriminations
Seront remplacées par l’équité.
Pour reprendre les paroles d’un poète :
Marchons côte à côte,
La main dans la main,
Vers un même but !
A bas les guerres civiles !
Préférez la fraternité
Aux crimes de toutes sortes
Qui ont endeuillé le pays !
Remettez l’épée dans son fourreau,
Déposez vos armes,
Ne multipliez pas les crimes
Dont nul ne peut se glorifier !
Assez ! Trop de sang a coulé,
Cessez d’être des mercenaires
Et de diviser le peuple :
Revenez à la raison !
Promettez à Richard Sheja,
Assassiné dans son innocence,
Que vous ne tuerez plus les enfants,
Et que vous n’écraserez plus mon peuple !
Où que vous alliez,
Dites à cet ange
Que vous renoncez au mal,
Et que vous ne ferez plus du tort à personne !
Jurez solennellement devant cet enfant
Que vous marcherez dans la droiture,
Et que vous allez œuvrer
Pour l’amour et la paix !
L’extrême souffrance,
Qui n’épargne personne,
Devrait nous rassembler
Dans le désir de vivre en harmonie.
Rien n’est impossible
Quand le peuple est uni,
Et que la paix et la prospérité
S’étendent à toutes les générations ;
Quand la bonté règne dans le pays,
Et que la distribution des richesses
Et le partage sont équitables,
L’unité nationale fait la force.