Réponse du Rwanda à l’expulsion de son ambassadeur en RDC : un alibi sans fondement

Vincent Karega

Les responsables ougandais affirment que le Rwanda est devenu plus déterminé à relancer le M23 après le désarroi de ses entreprises économiques en RDC. Lors du raid du M23 à Bunagana le 23 mars 2022, des militaires ougandais sont intervenus pour protéger les biens et le personnel de Dott Services. Le récit à Kampala est que l’attaque a été menée par « l’aile rwandaise » du M23 dans le cadre d’un complot du Rwanda visant à perturber les entreprises économiques ougandaises en RDC. Le récit à Kigali est que l’attaque a été menée par des éléments du M23 contrôlés par l’Ouganda dans le but de s’emparer de la ville frontalière, qui est une zone de transit importante pour les opérations de Dott Services. Ces contre-accusations soulignent le rôle que jouent les intérêts financiers et économiques dans la résurrection du M23 qui se nourrit de la rivalité Ouganda-Rwanda. La récente expulsion est un signe que la RDC en a marre de la diplomatie mensongère de Kigali qui prétend être un ami tout en envahissant malicieusement le pays au vu et au su de tous. Que faut-il attendre de cette escalade ? les lignes suivantes tentent de discuter de ces points chauds de la région des grands lacs

1. Faits : tenants et aboutissants de la résurgence du M23

La plupart des hauts commandants du M23 ont servi dans le Front patriotique rwandais (FPR). Les dirigeants du FPR, dont le président Paul Kagame et son ancien chef d’état-major, James Kabarebe, ont servi dans l’armée ougandaise et ont fait partie de la rébellion qui a porté Yoweri Museveni au pouvoir en 1986. Ils ont ensuite occupé des postes de direction dans l’armée et les actuels officiels du Rwanda ont pris le pouvoir avec le soutien de l’Ouganda en 1994. Lorsque les deux pays ont envahi la RDC en 1996 pour chasser Mobutu Sese Seko et installer Laurent Kabila, un schéma similaire s’est produit avec James Kabarebe devenant chef d’état-major de l’armée de la RDC. Cependant, lorsque Kabila s’est brouillé avec l’Ouganda et le Rwanda, les deux pays ont parrainé une autre rébellion en RDC.

Au fil du temps, l’Ouganda et le Rwanda se sont disputés et ont commencé à soutenir les forces par procuration les unes contre les autres. Cette histoire de recyclage des agents entre le Rwanda, l’Ouganda et la RDC – et l’utilisation de procurations – a des implications sur la crise actuelle. Kabarebe a été identifié par l’ONU en 2012 comme le cerveau principal du M23. En plus du Rwanda, l’ONU a impliqué l’Ouganda dans l’aide au M23. Suite à la prise de Bunagana en juin 2022, le président de l’Assemblée nationale de la RDC et allié clé du président Félix Tshisekedi, Christophe Mboso, a condamné l’Ouganda et présenté une motion visant à suspendre tous les accords militaires et économiques entre les deux pays. Alors que les responsables ougandais de la sécurité ont accusé le Rwanda de soutenir l’attaque du M23 à Bunagana pour contrecarrer les opérations de l’UPDF contre les ADF, le Rwanda allègue que l’Ouganda utilise des éléments du M23 pour menacer le Rwanda. En réponse à la détérioration rapide de l’est de la RDC, la Communauté de l’Afrique de l’Est a décidé en juin 2022 de déployer une force régionale sous commandement kenyan pour rétablir la stabilité. La rivalité de longue date entre l’Ouganda et le Rwanda en RDC et dans la région des Grands Lacs est un moteur clé de la crise actuelle. Il y a des raisons immédiates et à plus long terme à cela. En ce qui concerne ce dernier, il existe une profonde méfiance à tous les niveaux – entre la RDC et ses voisins, notamment le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi – ainsi qu’entre tous ces voisins. En outre, à moins que les problèmes sous-jacents entre le Rwanda et l’Ouganda en particulier ne soient résolus, il est peu probable que le problème du M23 soit résolu de manière satisfaisante, même si une force régionale est déployée. C’est une leçon que nous avons tirée des précédentes interventions ougandaises et rwandaises au Congo.

2. Analyse

L’escalade précipitée de la crise sécuritaire dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) risque de raviver un conflit interétatique dans la région des Grands Lacs. Cependant, la myriade d’acteurs et d’intérêts impliqués défie souvent une analyse facile.

1) Déclaration des hostilités

L’expulsion de l’ambassadeur du Rwanda en RDC est une demande attendue depuis longtemps de la population congolaise. Cette population demandait depuis longtemps au gouvernement de l’expulser, d’autant plus que des preuves tangibles ont montré que c’est le Rwanda qui agresse la République démocratique du Congo dans le territoire de Rutshuru. Même si l’État congolais n’exclut pas d’éventuelles négociations pour cesser les hostilités, il a toujours déclaré que le M23 n’est qu’un bataillon des Forces rwandaises de défense de sorte qu’il est inutile de discuter avec ces terroristes alors que le véritable agresseur est là et que toutes les preuves chargent Rwanda de jour un rôle actif dans les affrontements sont là et incontestables étant donné que les contingents rwandais traversent quotidiennement les frontières à la vue de tous et le satellite a intercepté leurs mouvements et les ordres militaires provenant de l’état-major de l’armée rwandaise. Le ministre congolais des Affaires étrangères Christophe Lutundura l’a réitéré sur France 24.

2) Réactions sans fondement

Face à l’expulsion de son ambassadeur à Kinshasa, le gouvernement rwandais accuse la RDC de travailler avec les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda ou FDLR. L’objectif déclaré du groupe rebelle est de renverser le gouvernement rwandais. De son côté, la RDC accuse le Rwanda de violer sa souveraineté en soutenant le Mouvement du 23 Mars (M23). Le groupe rebelle, avec plusieurs autres, est actif en RDC. Au lieu de cela, rejetant les accusations d’armement et de participation active à l’agression, le Rwanda semble reconnaître les faits en justifiant son implication par la raison de soupçonner les FDLR au sein des forces soutenant les FARDC. Juridiquement et même politiquement parlant, cette argumentation est sans fondement étant donné qu’aucun instrument international ou régional n’autorisait ce pays à violer la souveraineté d’un autre pays au seul motif d’y soupçonner des opposants. C’est ce que ses hommes de main ont fait et continuent de faire dans le monde entier en tuant des gens, en enlevant d’autres, pour n’en citer que quelques-unes de ces atrocités aux multiples facettes.

3) Quel rôle jouent les intérêts économiques et commerciaux ?

La résurgence soudaine du M23 est également liée à des intérêts économiques et commerciaux qui se chevauchent. Le Rwanda et l’Ouganda peuvent prétendre avoir des intérêts sécuritaires légitimes au Congo, cependant, ils y ont aussi d’énormes intérêts financiers, en particulier dans les industries extractives, ce qui contribue à leur rivalité.L’arc s’étendant de Bunagana à la frontière ougandaise, en passant par Kanyabayonga, jusqu’à Goma à la frontière rwandaise, couvre une ceinture minière lucrative contenant certains des plus grands gisements de coltan au monde, qui est utilisé dans presque tous les appareils électroniques. La RDC est également le premier producteur mondial de cobalt, un ingrédient clé des batteries de voitures électriques qui sont actuellement très demandées.

Il existe de nombreuses preuves suggérant que les factions rebelles soutenues par l’Ouganda et le Rwanda, y compris le M23, contrôlent des chaînes d’approvisionnement stratégiques mais informelles allant des mines des Kivus aux deux pays. Les insurgés utilisent le produit du trafic d’or, de diamants et de coltan pour acheter des armes, recruter et contrôler des mineurs artisanaux et payer des douaniers et des agents des frontières congolais corrompus ainsi que des soldats et des policiers. Une violence importante est également impliquée dans ces opérations illicites, car diverses factions rebelles s’affrontent souvent pour le contrôle des mines et des voies de transport.

4) Risques de conflit interétatique

La récente expulsion de l’ambassadeur rwandais Vincent Karega est une déclaration d’hostilité qui risque d’entraîner une guerre ouverte contre le Rwanda accusé de soutenir les rebelles du M23 ou tout simplement d’envahir ce pays déguisé en rebelles. En effet, nul n’ignore que l’est de la RDC est une poudrière car le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi font chacun face à des rébellions armées toutes basées dans cette région. Cela amplifie le risque de conflits interétatiques. Le Rwanda a été plus explicite dans sa menace d’intervenir militairement en RDC qu’il ne l’a été ces dernières années. Il accuse les FARDC de combattre aux côtés des FDLR et d’être indifférentes aux craintes sécuritaires de Kigali. Cependant, ces menaces ont déjà été proférées. Ce qui les rend plus prononcés cette fois-ci, c’est la présence des troupes ougandaises au Nord-Kivu, la proximité entre l’Ouganda, le Burundi et la RDC, et l’échec du rapprochement entre les présidents Kagame et Tshisekedi.

Le risque de conflit interétatique est également accru par l’échec des efforts de désarmement. En octobre 2017, les 13 pays signataires et les 4 institutions garantes (ONU, UA, CIRGL et SADC) de l’Accord-cadre de paix, de sécurité et de coopération pour la RDC et la région ont décidé de rapatrier les ex-combattants des FDLR et du M23 jusqu’à octobre 2018. Cette échéance est tombée sans aucune action significative ou juste un échec dont les conséquences sont maintenant évidentes. Notamment, très peu des cohortes du M23 qui ont fui vers l’Ouganda et le Rwanda en 2013 ont été rapatriées en RDC.

Aux termes de l’accord de paix de 2013 entre le gouvernement de la RDC et le M23, des amnisties générales ont été accordées à ceux qui ont renoncé à la rébellion à moins qu’ils ne soient inculpés de crimes de guerre. Les dirigeants du M23 accusent souvent le gouvernement de la RDC de revenir sur cet accord. Beaucoup pensent que les récentes attaques du M23 pourraient également viser à faire pression sur le gouvernement Tshisekedi pour qu’il fasse valoir leur cause. Nous devons également nous interroger sur la logique de la poursuite acharnée par les voisins du Congo ; en effet, l’Ouganda et le Rwanda ont déjà opéré en RDC avec l’autorisation congolaise mais n’ont pas réussi à déloger leurs groupes armés respectifs. On se demande si ce n’est pas simplement un prétexte pour continuer à piller le pays et à se tailler des zones d’influence.

La résurgence du M23 a également mis en évidence la dynamique ethnique complexe et explosive de la région. Ses chefs et combattants sont majoritairement Tutsi ; une communauté dont le statut de citoyenneté reste controversé. Le soulèvement contre le défunt dictateur, Mobutu Sese Seko, a été déclenché en partie par sa décision de dépouiller les Banyamulenge – Congolais d’origine rwandaise – de leur citoyenneté. Ils ont constitué l’essentiel de la force qui a renversé Mobutu et installé Laurent Kabila en 1998 avec le soutien de l’Ouganda et du Rwanda. Lorsque l’Ouganda et le Rwanda se brouillent avec Kabila en 1999, ils forment à nouveau le gros de la rébellion mise sur pied pour le renverser, sous la bannière du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Lorsque l’Ouganda et le Rwanda se sont brouillés, le RCD s’est scindé en deux factions soutenues de part et d’autre. Cette tendance se poursuit et se manifeste dans la dynamique interne du M23.

Conclusion

Les temps futurs augurent de bonnes nouvelles pour la RDC car si la mission des forces régionales s’avère fructueuse, les rebelles devront se retirer comme cela leur est arrivé en 2012. Mais généralement le Rwanda perd diplomatiquement car il ne parvient pas à convaincre le monde qu’il ne soutient pas le M23 alors même qu’il lui avait offert l’asile dans l’est du pays lors de la dernière défaite et que le président rwandais déclare être à l’origine de ce mouvement dans ses différents discours internes comme si personne ne l’entendait. Au demeurant, les autorités de Kigali devraient savoir que la politique du mensonge ne dure pas longtemps.