Par RUGEMINTWAZA Erasme

La visite du président rwandais Paul Kagame à Paris  a été ponctuée  d’une saga médiatique autour de plusieurs  questions qui marquent la vie politique et la diplomatie de Kigali. Dans cette petite analyse nous allons nous atteler sur trois questions majeures soulevées dans les media qui marquent le régime de Paul Kagame. A côté de la chasse acharnée du pardon de la France quant à son rôle dans le Génocide contre les Tutsis de 1994, l’homme fort de Kigali s’est aussi trouvé au milieu d’un débat inopinément houleux autour de son rôle dans les massacres du Congo et de son système judiciaire dont la communauté internationale considère d’inique et taillé à mesure! Mais dans l’espace d’une semaine nous avons deux Kagame devant les media : un révolté et un repenti ! Pourquoi cette volte-face d’un homme pourtant réputé d’être intransigeant?

C’est tout juste une semaine, le temps qui nous donne deux Kagame : le 18/05/2021, Kagame fumant de colère nargue les congolais et méprise la communauté internationale dans l’exclusif de 20 minutes qu’il accorda à France 24 et RFI ;  et  le 25/05/20 dans l’interview publiée par  Jeune Afrique publie, Kagamé semble réticent et un peu assagi et rectifie ses tirs.  Qu’est ce qui fait qu’un homme, connu pour son intransigeance fasse des voltes faces dans un espace ne dépassant pas une semaine? 

Les relations  réglées par les rapports taillés à mesure !

Tout le monde peut se demander les mobiles réels de cet engouement diplomatique entre Kigali et Paris, après 27 ans d’achoppement. Arrêtons-nous d’aborder sur les deux rapports qui semblent battre la mesure de ce réchauffement : le rapport de la Commission Duclert et le rapport de la Commission Muse commandés respectivement par Paris et Kigali. Dans l’exclusif du 18/05/2021, Kagamé a dit : «  Il y a donc une convergence sur les faits, les preuves de ce qui s’est passé. Je pense que la France est le Rwanda ont ainsi la possibilité dès à présent, ont une bonne base sur laquelle nouer  de bonnes relations comme cela aurait dû être le cas. Et ensuite pour ce qui est du reste, nous pouvons laisser cela derrière nous, ne pas l’oublier, mais pardonner et aller de l’avant de la meilleure façon, et je pense qu’effectivement, nous avançons bien ». Aller de l’avant malgré « des responsabilités lourdes et accablantes » sans «complicité» de la France  dans le Génocide contre les Tutsis de 1994, Kagamé dit qu’il peut «  s’accommoder » à cela, mais souligne qu’il peut avoir son propre opinion et continuer de croire à son opinion de 2014  que «  la France n’a pas été seulement complice mais qu’elle avait participé de façon active dans le génocide ». Soulignons qu’en 2014, juste la veille de la commémoration de 20 ans du génocide Paul Kagamé tira  à boulets rouges en fustigeant le « rôle direct de la France dans la préparation du génocide » et même « sa participation » et son « exécution ». Ceci s’est passé malgré la reconnaissance, par Nicolas Sarkozy en 2010, des « erreurs politiques » et un « aveuglement de la France », une embellie qui fut tout à fait très éphémère.

Dans l’interview publié par  Jeune Afrique ce 25/05/2021, Paul Kagame semble nuancer sa position. Sur les rapports, il dit : « Tout d’abord, je ne sais pas ce que la formule ‘toutes responsabilités établies‘ signifie pour vous. On ne peut pas tout balayer d’un coup. Chaque responsabilité a une importance cruciale. Ensuite, les deux rapports n’arrivent pas à la même conclusion. La nôtre n’écarte pas la notion de complicité. Il soulève juste des questions qui, si elles sont approfondies, aboutiraient à cette conclusion. Personnellement, je m’en tiens à ce qui a été établi de manière très claire dans ces deux rapports, à savoir la notion de lourde responsabilité. Qu’il y ait eu responsabilités. Qu’il y ait eu complicité ou non, nous laissons à cela à l’interprétation de chacun »

Dans cette saga diplomatique la France a trouvé le bouc émissaire pour exorciser les maux  de tous ses errements : François Mitterrand. Ainsi l’on laisse entendre que l’entourage politique de Françoise Mitterrand et lui-même, définissait la rébellion du FPR-Inkotanyi comme un mouvement « Ougando-Tutsi », pour créer un empire « Hima-Tutsi » dans la région des Grands lacs africains, et de surcroît un mouvement anglo-saxon qui veut s’accaparer du fief francophone. Ceci pour dire que le FPR venait en soi mettre en cause les mobiles géopolitiques qui ont poussé la France à venir au Rwanda, à savoir servir de vigie ou mieux de digue à toute entreprise anglo-saxonne dans le monde francophone.  Ses deux  anciens premiers Ministre Edouard Balladur et Feu Michel Roch ainsi que son ministre des affaires étrangères Alain Jupé l’ont fait savoir et répété à tue-tête. La France refuse la complicité et blâme son ancien président pour essayer d’esquiver la responsabilité et ainsi se protéger contre toutes velléités qui émaneraient des associations des rescapés du génocide contre les Tutsis, comme Ibuka. Ainsi la France a bel et bien préparé la conscience des Rwandais pour  déculpabiliser l’Etat français sous la main de la République en Marche!  Ce qui reste est de savoir si le FPR acceptera ce mea culpa et ainsi  écouter de bonne oreille ce flirt!

Kagame face aux « faits têtus»!

Lors du fameux exclusif  du 18/05/2021 que Paul Kagame accorda aux journalistes  Marc Perelman de France 24 et Alexandra Brangeon de RFI, ces derniers ont voulu savoir si Kagame  accepterait de livrer  ses officiers à la justice  pour des crimes contre l’humanité et la responsabilité  dont le rapport onusien du nom de « Rapport Mapping » fait état. Avec hargne et dédain, Kagame a répondu que «  Le rapport du projet Mapping a été extrêmement controversé. Et en réalité, il est hautement contesté par les des gens que ce soit en RDC ou dans les pays voisins. Il a été politisé. Mukwege devient un symbole, un outil de ces forces qu’on n’aperçoit pas et il reçoit le prix Nobel donc, on lui dit quoi dire et j’ajouterai qu’il y a d’autres rapports qui sont sortis et qui contestent en disant tout à fait l’inverse. Il n’y a pas eu de crimes. Même en RDC. Absolument pas. Que ce soit par les personnes soient évoquées ou les pays cités. Si vous voulez, c’est la théorie du double génocide  qui est à l’œuvre. »

Les propos de Paul Kagame provoquèrent un tollé et font rougir tout le Congo comme le fait actuellement le Nyiragongo. Kagamé fut traité de négationniste et d’un mauvais ami qui crache ou mieux urine sur la mémoire de son prétendu ami. Après avoir refusé toute polémique par les media, le Président Felix Tshisekedi laisse entendre « Et donc, moi je m’inscris plutôt  dans la logique de la paix, la paix dans mon pays, la paix avec mes voisins, et je ne fais pas attention à ces genres de déclarations qui, peut-être, peuvent mettre le feu à la région, car cela ne sert à rien, donc je n’ai vraiment pas l’intention à répliquer à cela ». Il continue que « ce serait plutôt une attitude positive que le président Kagame aurait de collaborer. Si les gens qu’il défend sont innocents, la justice va les innocenter […] S’il y a au FPR des gens qui ont commis des crimes, ils doivent être attrapés par la justice. Et c’est dans l’intérêt du président Kagamé de les livrer à la justice, parce que qu’il y va de l’honneur de son pays aussi. ». 

Mais Kigali semblait illico reconnaitre, les bévues de son patron car dans la foulée des réactions on remarque une excuse à peine voilée du Ministre des Affaires Etrangères. Dr Vincent BIRUTA qui écrit sur son compte Twitter : «  Il y a confusion sur ce que le Prés. Kagamé a dit sur le rapport Mapping lorsqu’il a été interrompu par Alexandra Brangeon. Il a fait valoir que le rapport est utilisé pour accuser à tort certains individus/pays afin de faire avancer la théorie du ‘double génocide’. Mais cette excuse reste dans ligne tracée par le régime du FPR, celui de voir  toujours le Tutsi comme victime et jamais comme quelqu’un capable de commettre des forfaits. Car le régime du FPR est totalement obnubilé par le Génocide contre Tutsis, qui est devenu la mesure de tout et qu’il brandit chaque fois qu’il est question de répondre à ses forfaits. C’est un tribalisme pernicieux de prendre que seuls les massacres des Tutsis peuvent être  reconnus et qualifiés de génocide aux mépris des autres, d’ailleurs plus important en nombre! L’attitude de Kagame trahit aussi la justice rwandaise, seule sa parole fait tomber le verdict. Comment se proposer d’innocenter les gens qui ne sont même pas encore devant la justice ? Veut-il négocier une amnistie pour ses hommes qui ont écumé les villages et contrées entiers au Rwanda et en RDC? Pourquoi le fait-il en brandissant un chantage tribal?

Une semaine après, le 25/05/2021, avec Jeune Afrique qui le prend pour son héro adulé, Paul Kagame se plaint : «  J’ai parlé du ‘ Rapport Mapping’ tant de fois dans le contexte de nos relations avec la RDC. C’est la dernière fois que je m’adresse à des journalistes sur ce sujet, surtout quand certains n’ont pas d’autres objectifs que d’envenimer la situation » ; malgré cette plainte Kagame va  finalement baisser le ton et reconnaître pour la toute première fois qu’il y a eu des morts en RDC. Même s’il jette la responsabilité sur les autres, il dit : « De nombreuses personnes sont mortes au Rwanda et au Congo, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais là où les experts font plus de politique qu’autre chose, c’est lorsqu’il s’agit de dire qui, quoi et comment ». 

A la question de savoir pourquoi il voit d’une façon diamétralement opposée que son homologue Tshisekedi, ce problème des massacres du Congo pourtant connu de tout le monde, Kagame répond : « Le président Tshisekedi a le droit de croire aux experts, et moi de ne pas leur faire confiance. Nous sommes légitimes, chacun pour des raisons différentes, à avoir nos propres opinions, et il ne devrait pas y avoir de querelles sur ce sujet. Le temps fera son effet. Nos deux pays ont connu des tragédies et nous ne pouvons les surmonter qu’en travaillant ensemble. Cette souffrance a perduré et nous pouvons contribuer à y mettre fin. Mais les experts de l’ONU ou d’ailleurs ne nous  serons pas utiles pour y parvenir »

Il rejoint en quelque sorte la parole de Félix Tshisekedi  qui préconise une collaboration honnête sur la question afin de laisser la justice faire son travail. Il reste à savoir si réellement Kagame laissera ses généraux comparaître devant les tribunaux, un acte qui peut être considéré comme un prélude de la fin de son régime. Et l’on peut se demander comment un chef d’Etat peut se contredire dans un laps de temps ! En rejetant au départ le « Rapport Mapping », Kagame pensait que les services, d’ailleurs officieux, qu’il offre à Tshisekedi allaient l’empêcher de parler pour son peuple! Il  ne savait pas  qu’il jouait avec le feu, que son excès de zèle constitue un grave incident diplomatique qui risquait de provoquer le divorce diplomatique! A bon entendeur salut!

Une justice en mal!

Quand on évoque Rusesebagina devant Kagame, il faut s’attendre  à un pamphlet qui laisse entrevoir une justice subjuguée. Car c’est sa parole en tant que Chef, qui précède les procédures et fait tomber le verdict. 

Il souligne au départ ceci pour l’affaire Rusesabagina « Donc, je ne vois pas pourquoi les gens font tout ce bruit. Il est devant la justice, il n’est pas caché quelque part, il est au tribunal comme beaucoup d’autres »

Tout le nœud du problème de Rusesabagina est en fait autour de son arrestation que même beaucoup d’amis de Kigali n’ont pas digéré parce qu’ils la considèrent comme un kidnapping, ce qui constitue de ce fait, la violation aux droits de la personne et un grave manquement à la procédure pénale. Et cela marque le manque de confiance que Kigali a pour les Etats hôtes de Rusesabagina ; Kagame a dit ; «  qui a-t-il de mal à piéger un criminel? Lorsque vous le trouvez, qu’est-ce que vous en faites ? Vous le traduisez devant la justice, c’est acceptable non? »

Quant au procès équitable, que la communauté internationale ne voit pas pour Rusesabagina, en considérant son kidnapping et la jurisprudence rwandaise en la matière surtout le ca de Kizito Mihigo, Kagame a répondu «  Bien sur, j’en appelle à un procès équitable de mon cote. Ce n’est pas le Royaume-Uni ou les Etats Unis, ou l’Union Européenne. Non, je souhaite voir un procès équitable aussi. Pourquoi? Oui, vous savez, c’est ainsi que les gens disent des choses insensées et finissent par être racistes. C’est comme si on disait, la seule façon d’être juste en Afrique ou au Rwanda, c’est que cela soit surveillé par l’Europe, les Etats-Unis, ou un autre pays. Non, pas du tout ».

Dans l’interview avec jeune Afrique du 25/05/2021, voici la réponse que Kagame réserve a la communauté internationale qui dit que Rusesabagina été kidnappe : « il y a deux aspects bien distincts dans cette affaire. Le premier c’est le processus qui a mené Rusesabagina à Kigali. Le second, c’est de savoir si Rusesabagina est coupable ou non. Il faut arrêter de mélanger les deux. S’il est établi qu’il a été arrêté de manière illégale, alors il serait possible d’argumenter sur ce point, d’en faire une procédure à part et d’en débattre. Mais si d’un autre côté, quelqu’un vous dit que ce même Rusesabagina appartient depuis plusieurs années à un groupe terroriste qui attaque le Rwanda.  Que c’est étayé par des preuves qui sont présentées en ce moment même devant une cour de justice, ça ne peut pas être ignore. Il existe même des déclarations ou il se vante d’être leader de l’un de ces groupes qui agissent en RDC ou au Burundi. Si les Etats-Unis ou la Belgique, où il vivait depuis plusieurs années, avaient voulu engager des poursuites pour ces faits-la, nous leur aurions fourni les mêmes preuves ». 

« Parce qu’il aurait soit disant arrêté de manière « illégale », il devrait s’en sortir, alors que ce groupe terroriste a tué des gens au Rwanda ? Je préfèrerais que les deux affaires soient traitées séparément. Ou ceux qui le disent prouvent qu’il a été illégalement arrêté. Si une affaire est ouverte, très bien, nous argumenterons. Mais il faut aussi le juger pour ce dont il est suspecté au Rwanda. S’il est innocent il sera libre. S’il est coupable il en paiera le prix. Si les gens pensent qu’il a été arrêté parce qu’il est un héros, statut qui lui a  été accordé grâce à film qui au départ devait être un film de fiction, cela démontre leur niveau de paresse», dit-il.

Les propos de Kagame prouvent tout simplement son refus de reconsidérer la procédure d’arrestation de Rusesabagina même s’il semble comprendre que cela devrait constituer une délibération judiciaire. Il balaie son raisonnement et s’enferme dans la logique de culpabiliser Rusesabagina. Ses conseillers en droits devraient lui apprendre que la procédure d’arrestation constitue l’étape légale et primordiale de tout emprisonnement ! 

Conclusion

A tout prendre l’interview de Jeune Afrique, comparable à celle que ferait le Journal local igihe, ténor du gouvernement du FPR, est commandée par Kagame pour corriger ses propres  extravagances et bévue débitées devant les camera de France 24 et les micros de la RFI, le 18/05/2021. Etant dans une espèce d’extase, Kagame a poussé trop loin son zèle, et a nargué et méprisé les congolais et la communauté internationale. Ressaisi et assis avec son journal, le Jeune Afrique, Kagame n’a pas manqué de rectifier ses propos qui lui ont valu l’inimitié du peuple congolais qu’il prétend pourtant défendre contre les groupes armés avec son armada de mercenaires payée à son propre compte. Kagame a continué d’exiger à la France un pardon explicite, soulignant que la « complicité » bien évitée par le rapport Duclert peut être bel et bien prouvée par les faits contenus dans le rapport Muse. Quant à la justice rwandaise, elle peut se jauger au prisme du procès de Rusesabagina, qui est déjà partout traité de criminel par Kagame de «  criminel », avant même la tombée du verdict. Un procès  qui piétine toutes les procédures pénales à commencer par son arrestation du prévenu, un kidnapping que Kagamé défend à couteau tiré, en traitant des critiques de « paroles insensées ». Il ne manque pas pourtant de tromper l’opinion, dans Jeune Afrique, en disant que la procédure d’arrestation peut être discutée! Quelle hypocrisie si l’on sait que la partie pénale  de ce procès est presque terminée? Toutefois, une leçon est tirée: Il ne faut pas sous-estimer la force de quelqu’un. Tshisekedi, soutenu par son peuple, l’a bien montré. Tshisekedi est plus que jamais plus fort que l’homme fort de Kigali! Car le Congo  est uni, il n’est pas comme le Rwanda où sa population ne partage pas même pas la simple l’histoire de leur pays mais plutôt se regarde en chien de faïence!