Rwanda : la fortune du FPR

Tristars Investiments, un holding regroupant toutes les sociétés fondées par le FPR, change de nom. Elle s’appelle Crystal Ventures. Que couvre-t-elle? La réponse se trouve dans le texte ci-après.

Le Front patriotique rwandais (FPR) a hérité de mauvaises pratiques de la NRA, l’armée ougandaise, qui a pris le pouvoir avec Yoweri Museveni en janvier 1986. L’action des officiers d’origine rwandaise fut déterminante pour cette victoire. Ils ont alors investi la capitale Kampala et se sont constitués un butin de guerre par des pillages sauvages.

Avant la guerre, les actes de vols et de pillage furent organisés depuis 1986. Elles furent systématiques avec le déclenchement de la guerre en octobre 1990 en tuant et en chassant la population pour occuper leurs biens et récolter ce qu’elle avait semé sans oublier l’usage de ses biens meubles et immeubles à des fins de guerre. Les villes de Byumba et de Ruhengeri furent occupées et pillées systématiquement, respectivement en 1991 et 1992. Les zones conquises étaient soumises aux mêmes rapines et saccages. Des machines furent démontées dans différentes unités de production, dont notamment des usines à thé de la préfecture de Byumba et vendues en Ouganda.

Après sa victoire sur les Forces armées rwandaises (FAR), l’armée du FPR s’est livrée aux razzias de plusieurs villes et régions. Dans la ville de Kigali, les militaires du FPR et ses partisans se sont appropriés des véhicules neufs de toutes sortes et des containers des médicaments trouvés dans les magasins généraux du Rwanda (MAGERWA), du matériel de construction, des appareils électroménagers, des TV et autres appareils Hi-Fi, des ordinateurs et autres matériels informatiques, des pierres précieuses, des sacs de thé et de café trouvés dans les entrepôts d’exportation, du mobilier de luxe, de la quincaillerie, de tissus, du lait en poudre, de l’argent liquide abandonné dans les magasins et les banques, etc. Une partie était transportée vers Byumba ou Rwagitima et supervisée par un certain Titien Muberangabo. Celui-ci était chargé d’évaluer la valeur de ces articles et de les vendre. Des commerçants ougandais sont venus nombreux s’approvisionner dans ces stocks du FPR. Une autre partie a été gardée par les pilleurs. C’est ainsi que les officiers du FPR ou leurs proches ont pu ouvrir des magasins des objets de luxe et des pharmacies sans investir un centime.

A partir de juin 1994, à Gitarama, toute la population fut conduite vers le sud-est dans la région du Bugesera. La ville et la région ont été mises à sac. Dans le sud du pays, à Butare, la ville universitaire et commerçante fut pillée par des officiers du FPR. A Kibungo, comme dans toute la région du Mutara, le FPR fit un nettoyage ethnique pour pouvoir créer des zones de peuplement pour les réfugiés venus d’Ouganda qui s’étaient appropriés des biens des victimes.

Après avoir pillé le Rwanda, le FPR a étendu plus tard cette pratique sur les immenses richesses de la RDC entre 1996 et 2003. Les militaires du FPR sont appelés ironiquement les « Soldats Sans Frontières » (SSF), sobriquet dû au fait qu’ils ont combattus, pour la plupart, en Ouganda, au Rwanda et au Zaïre. Dans leur aventure, les SSF ont reproduit les mêmes méthodes qu’ils ont expérimentées et qui ont fait leur preuve. Par de petits groupes, ils infiltrent une région ou une ville, y sèment le chaos et la terreur par des assassinats ciblés. Des personnes fuient sans rien sauver. La région ou la ville sont alors investies et pillées. Le butin de guerre est toujours impressionnant car l’infrastructure d’une ville avec ses magasins, ses habitations de luxe, ses dépôts pour les grandes sociétés,…, tout cela constitue des richesses que le FPR a acquises sans rien dépenser. La conséquence est que le FPR a une richesse dont il peut encore se servir pendant de nombreuses années. Les conquêtes et les razzias des régions et des villes ougandaises, rwandaises et congolaises ont fait l’objet des méthodes utilisées lors de la guerre de la NRA de 1982 à 1986.

Pour rentabiliser tous ses biens mal acquis, le FPR fonda la société  » « Tri Stars Investiments ». Sa gestion fut confiée au Dr Ben Rugangazi. Il n’apparaît nulle part dans l’organigramme du FPR. Il est assisté de Jean Marie Nyaruhirira.
La trésorière du FPR, Aloysie Inyumba, et Paul Kagame recevaient quotidiennement des rapports de ce qui avait été pillé et de ce qui avait été vendu. La destination de ces fonds créa un malaise au sein de la famille FPR. Dans la réunion dite de « Michigan II » qui eut lieu dans cette ville des Etats-Unis, les membres posèrent la question de leur utilisation à Charles Muligande, alors secrétaire général du FPR. Il répondit que celui qui serait intéressé devrait venir à Kigali et consulter les livres de compte. Ces livres étaient tenus par Laetitia Nkunda et Claudine Masozera.

Le blanchiment de cette fortune mal acquise fut fait via la société « Tri Stars Investiments ». Celle-ci a investi dans diverses activités. Elle a pris des parts dans la banque BCDI , elle a ouvert également un magasin de matériel de construction sous le nom d’APEX et elle a participé au financement du projet dénommé « Mutara Development » chargé du développement de la région du Mutara où bon nombre des barons du FPR ont installé leurs familles en provenance d’Ouganda.

Tristars s’est aussi lancé dans le commerce du café. Elle a fondé la société RWACOF et instruit tous les commandants d’unités de l’APR que personne d’autre n’avait droit d’acheter du café. Ce monopole rapporte des sommes colossales à la société, étant entendu qu’elle a profité au départ des stocks du café torréfié trouvé dans différents entrepôts de l’OCIR-Café, société parastatale de commercialisation du café sous le régime Habyarimana. La société profita également de l’embargo imposé au Burundi voisin et fit entrer frauduleusement des milliers de tonnes du café en provenance de ce pays. L’opération fut confiée au major Gacinya Rugumya avec les facilités des Services de « External Intelligence » alors dirigé par le colonel Patrick Karegeya.

La fraude sur les produits en provenance du Burundi porta également sur les bières AMSTEL et le sucre de l’usine SOSUMO. Tristars s’est lancée également dans le secteur du bâtiment par le biais de la société COTRACO et dans le domaine du génie civil.

Au vu de l’augmentation du parc automobile au Rwanda notamment dans la capitale Kigali, Tristar a investi dans les stations d’essence et mis sur pied la société ENGIEN, anciennement BP-FINA. Elle a profité de l’embargo sur le Burundi et a écoulé de millions d’hectolitres de produits pétroliers vers ce pays.

Pour protéger les « nouveaux riches » et sécuriser leurs biens, Tristars fonda une société de gardiennage appelée INTERSEC avec des hommes armés. Tristars est donc tentaculaire. En association avec la société des assurances du Rwanda (SONARWA), Tristars Investiments créa la société de construction « Nyarutarama Management Property.
Au cours de la guerre du Congo en 1996, le FPR s’est également livré aux pillages des richesses du Zaïre. Dans différentes villes et localités conquises, notamment au Kivu et à Kisangani, le FPR s’est accaparé des caisses de dollars en liquide, des lingots d’or, de diamants, de coltan, de la cassitérite, de bois massif, … Comme la distance entre plusieurs régions de la RDC et le Rwanda longue et que les routes y sont inexistantes ou impraticables, le FPR a dû affréter des avions pour transporter ce butin vers le Rwanda. Ainsi, journellement, des containers entiers de pierres précieuses furent embarqués à destination de Kigali à partir de l’aéroport de Lubumbashi dont le commandement avait été confié au capitaine Mugabo. A son retour, il fut en charge de la gestion de l’aéroport de Kigali pour superviser l’entrée des richesses en provenance du Zaïre.

Il ne fut pas facile d’écouler tous ces produits. Le FPR s’organisa avec la société érythréenne « Trans-Afrika ». Des camions arrivaient au Rwanda avec du sel de cuisine et repartaient avec des containers des richesses pillées au Zaïre. Le suivi de cette maffieuse affaire fut confiée à Charles Karamba, un officier qui travaillait à l’ambassade rwandaise en Ethiopie et qui fut muté, pour ce faire, à Asmara, capitale de l’Erythrée.

Un autre domaine auquel s’est intéressé Tristars est la télécommunication. C’est grâce à son initiative et à son financement que naquit « Rwandacel ». Au départ, la société MTN d’Afrique du Sud disposait d’actions dans la société mais se retira très vite. La société étendit son monopole sur tout le territoire national ainsi que dans les zones occupées du Congo-Zaïre à savoir les deux Kivu de façon que l’indicatif international pour téléphoner dans ces régions zaïroises est le même que celui du Rwanda (00 250…). Rwandacel s’est imposé en écartant le groupe de Miko Rwayitare, un autre opérateur dans le secteur de la téléphonie cellulaire.

Tristars Investiments profita également de la politique de la privatisation des sociétés parastatales du Rwanda pour acquérir plusieurs sociétés. Lorsque l’Etat lançait des appels d’offres pour la vente des entreprises publiques, Tristars cherchait des hommes d’affaires étrangers qui devaient lui servir de paravent pour les acheter. Il en fut ainsi de la sucrerie de Kabuye, de l’hôpital roi Fayçal, de l’hôtel Kiyovu, du Guest house Kibuye, de l’hôtel des diplomates, de l’imprimerie nationale, etc. Par diverses magouilles, les biens de l’Etat sont cédés à vil prix. Cette pratique s’applique aussi aux biens privés que le FPR se permet de vendre. Une autre astuce utilisée est de faire acheter par l’Etat à des prix de loin supérieur à leurs coûts réels des immeubles appartenant à des hommes d’affaires membres du FPR pour en faire des bureaux des services administratifs.

A côté de la société Tristars Investiments, certains politiciens, militaires et hommes d’affaires proches qui sont restés fidèles au général Kagame, se sont enrichis par le détournement des fonds publics, des aides internationales et de l’appropriation des biens privés.

Le FPR en a fondé des ONG et en a confié la gestion à ses agents. Ainsi on peut citer « Rwanda Development Organization » géré au départ par le major Furuma actuellement en exil aux USA, « Benishyaka » gérée par l’épouse du colonel Karemera et « Rwaho » géré par Jacqueline Rukeba qui a dû s’exiler car elle était en concurrence avec « Benishyaka » dans la recherche des aides pour les veuves et les orphelins.

Certains dignitaires du FPR ont cru bon de disposer d’un ranch. Comme celui-ci suppose une grande superficie de terrain, ce sont des pauvres paysans qui en ont payé le prix. Les éleveurs Bagogwe de la forêt de Gisahwati furent écartés souvent contre leur gré ou contre une somme dérisoire. Les plus récalcitrants furent tués et leur mort imputée aux infiltrés hutu en provenance du Zaïre. Dans les environs de Kigali, des personnes furent expropriées pour faire place aux ranches des barons du FPR.

Depuis la prise de pouvoir par le FPR à Kigali, des terres des paysans furent prises comme butin de guerre par des hauts officiers de l’armée et leurs proches. L’exemple est venu d’en haut. Le général Paul Kagame, président du Rwanda s’est octroyé 45 hectares au bord du lac Muhazi. Il y a érigé une ferme : Ntebe Dairy Farm. Ses officiers supérieurs lui ont emboîté le pas. Ils ont fait main basse sur les terres fertiles de la province de l’Est, qui fait frontière avec l’Ouganda. Ils ne se sont pas contentés de quelques dizaines d’hectares mais des centaines. Ainsi, le général Ibingira Fred dispose de 320 hectares. Les généraux Frank Rusagara et Charles Kayonga totalisent à eu seuls 700 hectares. Même les fonctionnaires civils proches du FPR se sont servis : le gouverneur de cette province en 2007, Théoneste Mutsindashyaka, a à lui seul 109 ha. Mary Baine, la commissaire générale de l’office rwandais des recettes et la secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères, Rosemary Museminari figurent également parmi les grands propriétaires terriens. Cette situation est grave quand on sait que dans les régions les plus habitées du pays, l’exploitation moyenne oscille entre 0,6 ha et 0,2 ha.

Extrait du livre de Gaspard Musabyimana, Dictionnaire politique de l’histoire du Rwanda, Editions Scribe, 2011, pp. 230-235.