Par RUGEMINTWAZA Erasme
L’affaire Rusesabagina est et restera plus que jamais celle qui aura retenu le souffle de la communauté internationale, celle qui suscita tant de remous, tant de suspense, tant de questionnement car la star de la Hollywood n’est plus un acteur, il est plus que l’acteur, il est le thème, le script…qui fait couler beaucoup d’encre et de salive depuis son kidnapping de la fin du mois d’août 2020. Son Kidnapping, financé par le gouvernement de Kigali, son procès, les relations diplomatiques qui s’ajustent à la mesure cette affaire, tout donne à penser. Pourquoi Paul KAGAME, l’homme fort de l’Afrique, a-t-il pris ce choix de haut risque, sans concertations avec ses anciens amis qu’il traite au contraire d’insensés ? Sans pour autant prétendre être exhaustif, nous allons essayer d’analyser cette affaire. Il s’agit en fait de puiser un océan avec un tout petit verre.
- A la genèse : une jalousie haineuse
L’affaire Rusesabagina n’a pas commencé d’un coup ce 31 Aout 2020, quand il fut présenté au public après trois jours de séquestration. Bien avant même son engagement politique comme féroce critique du régime de Kagame et fondateur de MRCD (Mouvement Rwandais pour Changement Démocratique qui rime bien comme le Mouvementent Révolutionnaire National pour le développement et la Démocratie(MRNDD) de Juvénal HABYARIMANA), Rusesabagina était dans le collimateur de Kagame. Dans plusieurs occasions, Kagame a attaqué Rusesabagina, en le démontrant comme star d’un film, d’une fiction mais non une star d’une réelle histoire comme lui. Une jalousie haineuse de Kagame envers Rusesabagina, car ce dernier a été récompensé comme sauveur de plus de 1200 Tutsis, alors que lui Kagame est toujours considéré comme un grand criminel d’Afrique. Rusesabagina est devenu une figure internationale par sa grandeur naturelle qu’est l’amour de l’autre, la compassion et non par la grandeur d’établissement et le Kalachnikov comme Kagame. Aux yeux de celui qui sait bien jauger la réalité, Rusesabagina est grandissime devant un Kagame qui d’ailleurs a commencé à perdre les pédales! En soit, les gens comme Kagame rongé par un amour propre narcissique ne veulent jamais entendre parler des succès de quelqu’un d’autre : ils sont cruellement égoïstes et paranoïaques! C’est cette haine qui va formater le public rwandais, qui au lieu de voir Rusesabagina, qui sauva plus de 1200 Tutsi, en vrai héros national reconnu par la communauté internationale et les puissants du monde, va plutôt le voir comme un simple acteur ou clown d’un film qui pourtant relate une réalité fatale. Kagame ne veut pas partager son titre de sauveur des Tutsi avec quiconque! Rusesabagina est ainsi devenu, certainement sans le savoir, le rival de Kagame dans une affaire que ce dernier considère comme sa chasse gardée. En analysant « Hotel Rwanda » dont il est le héros, on trouve bien que Rusesabagina est devenu, depuis 2004, la figure de proue de la remise en question de la thèse de la préparation des massacres des Tutsi ainsi que toutes les littératures y relatives. Remettre en cause la préparation des massacres des Tutsis, c’est remettre en cause, les mobiles avancés par le FPR-Inkotanyi de briser les Accords de paix d’Arusha en aout 1993, c’est vouloir ébranler la fondation sous laquelle le régime de Kagame est bâti. C’est un coup d’Etat par la plume et non par la Kalachnikov! Un coup d’Etat que tout le monde peut admire car il verse peu ou pas de sang! Mais Kagame l’a bien dit « Nous sommes toujours les mêmes [les rebelles ndlr], nous sommes prêts à retourner dans les bivouacs », et la folie humaine l’a bien démontré « Celui qui règne par l’épée, périra par l’épée! ». Car en fait le film révèle que certaines personnalités tant politiques que militaires accusées d’avoir préparé les massacres des Tutsi, ont d’une manière directe aidé Rusesabagina dans sa détermination de sauver les Tutsi de l’Hôtel des Milles Collines, en plein cœur de Kigali. Un témoignage, que je pourrai un jour partager aux lecteurs de The Rwandan, indique que les Tutsis cherchaient refuge dans l’Hôtel des milles Collines, avec l’aide de Rusesabagina. Il suffisait de lui téléphoner et indiquer la location, il s’arrangeait pour le faire enfin de faire parvenir la personne en détresse à l’hôtel! Pour arriver à l’Hôtel de milles Collines, il y avait toujours l’intervention des militaires de la haute hiérarchie. Parmi ces personnalités militaires se trouvent le Chef d’Etat Major des Forces Armées Rwandaises(FAR), le Général Bizimungu Augustin, toujours en cavale mais qui, un jour, par une sorte de message SOS lui envoyé par Paul Rusesabagina, va éloigner ou mieux déloger la milice Interahamwe qui rodait autour de l’hôtel pour y faire l’assaut. Soulignons que parler de la guerre civile qui opposa Hutu et Tutsi dans des massacres inter-ethniques sans précédent, constitue un sujet tabou au Rwanda. Il y a une ligne rouge tracée par le régime de Kigali qui veut cacher l’autre face du « Génocide Tutsi », les massacres à grande échelle des Hutus.
- Des fausses accusations
Le procès de Rusesabagina n’est qu’une farce depuis son kidnapping qui est une violation des droits de l’homme les plus flagrants. Que ce soit sa famille, ses avocats dont le Belge Vincent Leurquin, le HRW, la Commission des Relations extérieures de la Chambre en Belgique, la Fondation Lantos, tous qualifient l’arrestation de Paul Rusesabagina, d’enlèvement. Ainsi dans la résolution de la Commission des Relations la Chambre susmentionnée, adressée au Gouvernement Belge, Mme Els Van Hoof dit de cette arrestation que « C’est une violation flagrante de la convention internationale sur la protection contre les disparitions forcées. Les droits ont été systématiquement bafoués ». Et d’ajouter « Si le Rwanda n’est pas en mesure de prévoir les conditions minimales d’un procès équitable, le Belgique doit entreprendre des actions pour permettre un procès équitable dans notre pays ».
En fait tout le monde est d’accord que le procès de Rusesabagina est un procès hautement politique pour des intérêts stratégiques que nous analyserons ici en bas. Mais soulignons que les neufs d’accusations retenus sur sa charge dont celui du terrorisme suite à son soutien présumé au Front de Libération Nationale(FLN), groupe rebelle accusé d’avoir mené des attaques meurtrières au Rwanda, sont fausses. Les faits incontestables démontrent que Rusesabagina ne participait plus dans les activités du MRCD, même s’il l’a fondé. En plus de cela deux coaccusés Herman Nsengimana et Marc Nizeyimana ont donné les témoignages selon lesquels Paul Rusesabagina ne participait plus dans les activités du FLN, supposée branche armée du MRCD. Au lieu de mettre sur la balance les témoignages, Jean Pierre Habarurema, l’un des procureurs déclare, lors de l’audience du jeudi le 17 juin 2021 : « Nous avons vu que chaque acte de Rusesabagina était de nature criminelle, avec l’intention de commettre des actes de terrorisme ». Et de continuer « En tant que dirigeant, soutien et partisan du MRCD/FLN, il a encouragé et permis aux combattants de commettre ces actes terroristes contre le Rwanda. Même s’il n’a pas participé activement à ces attentats, il est considéré comme quelqu’un qui a joué un rôle simplement en étant un soutien de ces combattants ». « Il était le président du MRCD/FLN lorsqu’ils ont attaqué et tué à Nyaruguru en 2019, la personne qui a donné les ordres », pérora l’autre procureur Bonaventure Ruberwa. Ainsi, une peine de prison à vie a été requise, ce 17 juin 2021, contre Rusesabagina, héros du film qui a été primé d’Oscar et honoré de la Médaille Présidentielle pour la Liberté, que le président américain George W. Bush, lui a remise.
- Un procès politiquement stratégique
Quand on évoque Rusesabagina devant Kagame, il faut s’attendre à un pamphlet qui laisse entrevoir une justice subjuguée. Car c’est la parole de Kagame, en tant que Chef, qui précède les procédures et fait tomber le verdict. Paul Kagame souligne au départ ceci pour l’affaire Rusesabagina « Donc, je ne vois pas pourquoi les gens font tout ce bruit. Il est devant la justice, il n’est pas caché quelque part, il est au tribunal comme beaucoup d’autres ».
L’arrestation de Paul Rusesabagina est le résultat de fins calculs du régime de Kagame. En fait en mal avec ses voisins et grands amis comme les Etats Unis, le régime de Kagame chercha un alibi pour essayer de ressusciter sa carte de victime du génocide. C’est ainsi qu’il choisit de pêcher le gros poisson qu’est Paul Rusesabagina, une pierre qu’il va lancer aux Etants-Unis, à la Belgique et à la communauté internationale mais qui ne va pas manquer de lui entacher de quelques éclaboussures.
Kigali alors craqua la porte avant d’être jetée par la fenêtre, car le régime de Kigali venait de s’illustrer dans la violation des Droits de l’homme, par les assassinats ciblés comme celui de Kizito Mihigo, les arrestations des hommes politiques et des journalistes, en un mot le règne de la terreur. L’affaire de Rusesabagina qui devrait être une goutte d’eau qui fait déborder le vase constitue au contraire une échappatoire : ressusciter les passions en berne pour faire couvrir les hontes! L’Arrestation que même beaucoup d’amis de Kigali n’ont pas digéré parce qu’ils la considèrent comme un kidnapping, ce qui constitue de ce fait, la violation aux droits de la personne et un grave manquement à la procédure pénale, va amorcer une odyssée harassante mais sûre de bons fruits pour Kigali. Cet enlèvement, est une lettre ouverte adressée aux Etats-unis, hôtes de Rusesabagina, qui, eux, exécutent les terroristes sans aucun jugement, inique soit-il Avec arrogance Kagame a dit : « qui a-t-il de mal à piéger un criminel? Lorsque vous le trouvez, qu’est-ce que vous en faites ? Vous le traduisez devant la justice, c’est acceptable non? »
Quant au procès équitable, que la communauté internationale ne voit pas pour Rusesabagina, en considérant son kidnapping et la jurisprudence rwandaise en la matière surtout le cas de Kizito Mihigo, Kagame a répondu « Bien sur, j’en appelle à un procès équitable de mon cote. Ce n’est pas le Royaume-Uni ou les Etats Unis, ou l’Union Européenne. Non, je souhaite voir un procès équitable aussi. Pourquoi? Oui, vous savez, c’est ainsi que les gens disent des choses insensées et finissent par être racistes. C’est comme si on disait, la seule façon d’être juste en Afrique ou au Rwanda, c’est que cela soit surveillé par l’Europe, les Etats-Unis, ou un autre pays. Non, pas du tout ».
Dans l’interview avec jeune Afrique du 25/05/2021, voici la réponse que Kagame réserve a la communauté internationale qui dit que Rusesabagina été kidnappe : « il y a deux aspects bien distincts dans cette affaire. Le premier c’est le processus qui a mené Rusesabagina à Kigali. Le second, c’est de savoir si Rusesabagina est coupable ou non. Il faut arrêter de mélanger les deux. S’il est établi qu’il a été arrêté de manière illégale, alors il serait possible d’argumenter sur ce point, d’en faire une procédure à part et d’en débattre. Mais si d’un autre côté, quelqu’un vous dit que ce même Rusesabagina appartient depuis plusieurs années à un groupe terroriste qui attaque le Rwanda. Que c’est étayé par des preuves qui sont présentées en ce moment même devant une cour de justice, ça ne peut pas être ignoré. Il existe même des déclarations où il se vante d’être leader de l’un de ces groupes qui agissent en RDC ou au Burundi. Si les Etats-Unis ou la Belgique, où il vivait depuis plusieurs années, avaient voulu engager des poursuites pour ces faits-là, nous leur aurions fourni les mêmes preuves ».
« Parce qu’il aurait soit disant arrêté de manière « illégale », il devrait s’en sortir, alors que ce groupe terroriste a tué des gens au Rwanda ? Je préfèrerais que les deux affaires soient traitées séparément. Ou ceux qui le disent prouvent qu’il a été illégalement arrêté. Si une affaire est ouverte, très bien, nous argumenterons. Mais il faut aussi le juger pour ce dont il est suspecté au Rwanda. S’il est innocent il sera libre. S’il est coupable il en paiera le prix. Si les gens pensent qu’il a été arrêté parce qu’il est un héros, statut qui lui a été accordé grâce à un film qui au départ devait être un film de fiction, cela démontre leur niveau de paresse», dit Kagame.
Les propos de Kagame prouvent tout simplement son refus de reconsidérer la procédure d’arrestation de Rusesabagina même s’il semble comprendre que cela devrait constituer une délibération judiciaire. Il balaie son raisonnement et s’enferme dans la logique de culpabiliser Rusesabagina.
Ainsi, si on s’y penche attentivement, on trouve se dessiner le dessein de cette affaire de Rusesabagina. Kagame a trouvé une bonne façon de divorcer d’avec les Etats-Unis qui commençaient de lorgner dans les mauvais linges et bien comprendre son régime totalitaire et de se retire petit à petit. Ainsi malgré quelques éclaboussures faciles à laver avec du fric, Kigali va sortir de l’affaire Rusesabagina doublement réconfortée.
De prime abord, le régime de Kigali sera réconforté dans le public Rwandais par les Tutsi qui voient en Kagame une intransigeance avec toute personne qui dépasse la ligne rouge du génocide contre les Tutsi, de nier sa préparation. Les Hutus victimes des attaques de Nyaruguru, vont se sentir satisfaits de la poursuite de Rusesabagina surtout qu’ils misent beaucoup aux dédommagements de la partie civile du procès évaluée à plus de 2 milliards. L’une des victimes de ces attaques dont Rusesabagina est accusé, a demandé 150 millions de dédommagement! Soulignons que d’aucuns n’hésitent pas dire que les attaques du sud du Rwanda ne sont que des scenarios bien ourdis par Kagame pour se faire victime et continuer d’accuser le Burundi. Désormais, à l’instar d’Israël toute la frontière du sud du Rwanda va être surveillée par de puissantes caméras!
Kigali va sortir réconfortée dans l’opinion internationale car, elle aura défié l’opinion internationale en chassant, à l’américaine, un terroriste. Un roman policier à l’instar des SAS de Gérard de Villiers. C’est un grand succès pour Kagame, éphémère soit-il, devant ses homologues africains en mal avec l’Occident et sa démocratie.
A tout prendre, l’affaire Rusesabagina, est bel et bien un exercice subtil de Paul Kagame, de défier l’opinion internationale, une affaire de démonstration de la force. L’affaire est sans nul doute une arme de dissuasion que Kagame a génialement choisie. Dissuader la communauté internationale et lui obliger de fermer les yeux quand c’est Kigali qui parle. Car Kigali est spéciale. Elle a été victime du génocide des Tutsis que la communauté internationale n’a pu arrêter. Une arme de dissuasion à toute voix dissidente car si Kigali a bien réussi d’arrêter Rusesabagina, un belgo-américain, qui est ipso facto un gros poisson, et que Kagame a bien réussi à faire taire la communauté internationale en la traitant par dessus-tout d’ « insensée », il est bien facile de ramasser de petites anguilles qui se cachent dans des marres africaines ou dans les eaux étanches méditerranéennes. Kagame a dernièrement montré qu’il suffit d’un petit hameçon pour attraper un Ntamuhanga! Et tout le monde peut se demander le dénouement de ce drame dans laquelle se trouve bien coincé, notre héros de « Hôtel Rwanda ». Y aura-t-il ce « Deus ex machina » qui va changer le cours inexorable de l’affaire vers la perpète en un « happy end » hollywoodien, pour voir enfin Paul Rusesabagina libre? Ou une grâce présidentielle ou une amnistie! Acta est fabula!