Par Erasme Rugemintwaza
Dans les récentes rencontres de qualification pour la Coupe du monde qui se tiendra à Qatar l’année prochaine 2022, l’Ouganda a battu le Rwanda dans les deux rencontres. Pendant que je regardais ces deux matches hautement compétitifs, mon esprit n’a pas pu s’empêcher de s’éloigner du sport et pour s’envoler dans les relations diplomatiques actuellement froides entre les deux pays.
Les matches m’ont rappelé la frontière de Gatuna entre le Rwanda et l’Ouganda qui est toujours fermée au trafic humain et de fret depuis plus de deux ans. Pourtant les liens historiques entre les mouvements politiques au pouvoir dans les deux pays – le Mouvement/Armée de résistance nationale (NRM/NRA) et le Front Patriotique Rwandais (FPR) – peuvent facilement être considérés comme les plus profonds de l’histoire moderne de l’Afrique.
De nombreux hauts cadres du FPR et de la NRA étaient autrefois des camarades de classe, des frères de combat et des meilleurs amis qui partagent ensemble de nombreux souvenirs intimes. Par conséquent, il est triste et épouvantable de voir ces anciens alliés, frères, se transformer en « ennemis » qui se regardent avec mépris, en chiens de faïence.
Lorsque le chef rebelle – aujourd’hui président ougandais – Yoweri Museveni a formé l’Armée de Résistance Nationale (NRA), qui a mené une guerre de guérilla dans les brousses de Luweero, contre le gouvernement de l’ancien président Milton Obote, de nombreux Rwandais ont rejoint et finalement formé un noyau central de la rébellion. C’est ici que le charismatique Fred Rwigyema a combattu pour la première fois aux côtés d’un certain nombre de futurs dirigeants du FPR dont le futur président rwandais Paul Kagame, James Kabarebe, Patrick Karegeya et Kayumba Nyamwasa. Selon les estimations du professeur Mahmood Mamdani, au moment où la NRA a pris le pouvoir en 1986, elle comptait 16.000 hommes et environ 4.000 soldats étaient Rwandais. Après la guerre, de nombreux Rwandais ont fini par occuper différents postes dans le nouveau gouvernement NRA/NRM.
Mais une fois la guerre de brousse gagnée en Ouganda, le FPR va naître et prendre forme sous la houlette de Rwigyema. Et le 1er octobre 1990, la guerre contre le gouvernement rwandais commença à travers le nord-est du pays. Cependant, le deuxième jour, Rwigyema a été mystérieusement tué et fin octobre, le FPR a été largement vaincu par les Forces Armées Rwandaises(FAR). Sans l’assistance de l’Ouganda qui va pouvoir ouvrir ses frontiers pour laisser affluer les militaires de tout bord pour la rescousse, le FPR/APR était au bord d’une défaite humiliante car fragilisé par la mort de Rwigyema et la débandande devant les FAR soutenues par leurs amis dont la France et le Zaïre.
Mais il a fallu aussi le retour du Major Kagame, 33 ans, dont beaucoup pensent qu’il a été trié sur par le président Museveni, de sa formation aux États-Unis pour prendre les rênes en tant que nouveau chef du FPR/APR. Sans aucun doute, la survie du FPR à l’époque dépendait entièrement de la gentillesse de l’Ouganda.
En août 1993, l’accord de paix d’Arusha a été signé lors d’une cérémonie en présence de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Burundi et de la République démocratique du Congo. Il prévoyait la mise en place d’un gouvernement de transition à base élargie comprenant le FPR et les partis d’opposition. Il fallait soit le respect total de l’accord ou la transgression. L’option du FPR/APR fut la deuxième car il voulait le pouvoir total. Michela Wrong cite un commandant ougandais à la retraite disant : « Nous considérions le FPR comme de jeunes fils, pas même des frères ». En évoquant le passé, les Ougandais s’attardent sur la manière dont la NRA avait accueilli les Rwandais dans ses rangs, comme il les a aidés pour organiser la conquête du Rwanda. Et pour cela, ils croient encore que les Rwandais leur doivent leur victoire.
Mais de leur côté, ce dont les Rwandais se souviennent, c’est plutôt la dépendance de la NRA à leur égard pour mener ses combats les plus sales, et le sentiment d’avoir toujours été importun en territoire étranger.
Le problème avec l’histoire n’est pas que les gens n’apprennent pas de ses leçons, mais qu’ils apprennent les mauvaises. Pour le NRM et le FPR, leur atout le plus précieux est la riche histoire entrelacée qu’ils partagent. Si seulement ils pouvaient s’asseoir – d’homme à homme – pour réfléchir et résoudre leurs différends l’Ouganda et le Rwanda seraient tous les deux gagnants même dans les rencontres sportives comme celles-là qui m’ont fait rêver, car en fait de compte, les Rwandais et les Ougandais sont, à maints égards des frères, avant même les régimes de ces deux rebelles.