Affaire Rusesabagina : un appel qui démasque une justice sans aucune indépendance

L’opposant politique Paul Rusesabagina assiste à une audience au tribunal à Kigali, au Rwanda, le 26 février 2021. La Chambre spéciale chargée de juger les crimes internationaux et transnationaux au sein de la Haute Cour du Rwanda a décidé qu’elle était compétente pour le juger.

Par The Rwandan Lawyer

Le 9 septembre 2021, la chambre de la haute cour rwandaise chargée des crimes internationaux et trans-frontaliers a inculpé le héros rwandais de l’hôtel Paul Rusesabagina et les coaccusés et les a condamnés à une série de peines allant de 25 ans de prison à d’autres sanctions mineures et à des millions de francs rwandais des dommages-intérêts résultant des crimes qui auraient été commis. Étonnamment, alors que le monde entier dénonçait ce procès qui n’avait pas respecté les principes du procès équitable, le ministère public ose interjeter appel en demandant des peines plus lourdes. Le présent article s’attache à analyser les tenants et aboutissants de cet appel.

Les faits

Les procureurs rwandais ont annoncé mercredi avoir fait appel d’une décision de justice condamnant le héros de « Hotel Rwanda » Paul Rusesabagina à 25 ans de prison pour terrorisme. Le ministère public national fait appel des jugements contre Rusesabagina, un ardent critique du président Paul Kagame, et 20 co-accusés, a déclaré à l’AFP le porte-parole Faustin Nkusi. Rusesabagina, 67 ans, et ses coaccusés ont été reconnus coupables et condamnés le 20 septembre à l’issue d’un procès. que les groupes de défense des droits et ses partisans avaient stigmatisé une imposture. Il n’était pas clair si les procureurs faisaient appel de la peine elle-même ou de la décision plus large. Mais le procureur général Aimable Havugiyaremye avait déclaré aux journalistes à l’époque que l’accusation n’était « pas satisfaite du verdict car tous les accusés ont écopé de peines inférieures à ce que les procureurs avaient prescrit ». Les procureurs avaient requis une peine de prison à vie pour Rusesabagina, l’ancien directeur d’hôtel de Kigali qui était accusé d’avoir soutenu un groupe rebelle accusé d’une série d’attaques au Rwanda en 2018 et 2019. Rusesabagina a été crédité d’avoir sauvé plus de 1 200 vies au cours du génocide de 1994, et ses actions ont inspiré le film hollywoodien « Hotel Rwanda ».

Il a ensuite utilisé sa renommée pour dénoncer le chef rebelle devenu président Kagame en tant que dictateur, et a quitté le Rwanda en 1996, vivant en Belgique puis aux États-Unis. Il est derrière les barreaux depuis son arrestation en août 2020, lorsqu’un avion qu’il croyait lié pour le Burundi a atterri à la place à Kigali. Sa famille dit que Rusesabagina a été kidnappé et a rejeté les neuf charges retenues contre lui comme une revanche par un gouvernement vindicatif pour ses opinions franches contre Kagame. Ni lui ni ses avocats n’étaient au tribunal pour le verdict de septembre, qui a vu ses co-accusés écoper des peines allant de trois à 20 ans. Les Etats-Unis et la Belgique ont tous deux exprimé leur inquiétude quant au refus d’un procès équitable en faveur Rusesabagina. 

« En faisant appel et en demandant plus, l’accusation ne fait que révéler à quel point ce procès est et a toujours été politique, » a déclaré sa fille. La cour d’appel décidera à une date ultérieure de la date d’audition de la cause de l’accusation, a déclaré à l’AFP un responsable du tribunal. 2018 et 2019 qui ont fait neuf morts. Il a nié toute implication dans les attaques, mais était l’un des fondateurs du Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), un groupe d’opposition dont le FLN est considéré comme la branche armée. Kagame avait rejeté les critiques de l’affaire, affirmant que Rusesabagina avait été mis sur le banc des accusés non pas à cause de sa renommée mais à cause des vies perdues « à cause de ses actions ». Kagame règne à la tête d’un gouvernement dominé par les Tutsis depuis que ses forces ont mis fin aux massacres qui ont coûté la vie à plus de 800 000 personnes, principalement des Tutsis. Mais il a souvent été critiqué pour des violations des droits et une répression de la liberté d’expression, des critiques et de l’opposition pour saper le gouvernement. « La dernière répression du gouvernement rwandais montre qu’il n’est pas disposé à tolérer le débat et la critique », a déclaré Lewis Mudge, directeur de l’Afrique centrale à Human Rights Watch, dans un communiqué, appelant les partenaires internationaux du Rwanda à faire pression pour la libération des personnes détenues. « Ces arrestations manifestement arbitraires et motivées par des considérations politiques visent à décourager davantage les gens de dénoncer la politique ou les abus du gouvernement.

Analyse

-Une contradiction qui trahit l’unité et l’indivision du parquet rwandais

Lors du procès notamment dans son dernier réquisitoire, le ministère public a demandé à la cour d’accorder des circonstances atténuantes à Sankara et Herman pour avoir avoué leurs faits et facilité la justice dans la procédure et a par conséquent requis des sanctions douces en leur faveur. Avec l’appel du jugement précédent qui conteste les peines prononcées par le tribunal, le ministère public rwandais se contredit alors que légalement il est censé paraître unique et indivisible dans le sens que la position prise par son membre reflète la position de l’ensemble de l’institution. A cet égard, on se demanderait pourquoi la même institution qui a exigé des sanctions qui ont été effectivement décidées se rétracte et modifie sa position en les jugeant moins sévères.

-Interdiction de reformatio in pejus

Reformatio in peius (du latin reformatio, « changement » – en fait, « amélioration » et peius, « pire ») est une expression latine utilisée en droit qui signifie qu’une décision d’une cour d’appel est modifiée en une pire. Il résulte des principes généraux du droit qu’une sanction infligée en première instance par une juridiction pénale ne peut être aggravée par le juge d’appel, lorsqu’il n’est régulièrement saisi que du seul recours contre le jugement dont la sentence a frappée l’inculpé par une sanction.

Pour l’application de cette règle, relative à la compétence du juge d’appel et dont la méconnaissance doit, le cas échéant, être relevée d’office par le juge de cassation, la gravité d’une sanction d’interdiction prononcée par la juridiction précédente s’apprécie au regard de son objet et de sa durée, celle-ci s’entendant indépendamment des modalités d’exécution de la sanction, notamment l’octroi éventuel d’un sursis.

Lorsque le juge d’appel ne modifie pas la sanction prononcée en première instance, il ne saurait davantage aggraver la situation du condamné sur le au niveau de l’ appel en réduisant ou en supprimant un sursis accordé en première instance.

En vertu de cette règle universellement reconnue, les juridictions auxquelles sont soumises les voies de recours ne peuvent aggraver les peines décidées par les juridictions de première instance ; en d’autres termes, la cour d’appel ne peut aggraver la situation dans laquelle la juridiction inférieure avait placé le condamné. Ceci implique qu’à moins que la qualification des faits ne soit modifiée, la cour d’appel rwandaise n’est pas légalement autorisée à relever les peines infligées aux accusés par la chambre du tribunal de grande instance chargée des crimes internationaux et trans-frontaliers ; au contraire, il peut opter soit pour les maintenir, soit pour les réduire.

-Question de dommages et intérêts

Les parties civiles dans cette affaire sont des personnes qui ont perdu leurs proches ou leurs biens à cause des combats du FLN. Ces derniers ont le droit de faire appel de la décision s’ils estiment qu’on leur a accordé moins que ce qu’ils attendaient du tribunal. La question qui rend également le recours illogique est qu’ils n’ont pas contesté les sommes allouées mais qu’ils se contestent uniquement les peines décidées discrétionnairement par le juge alors que cela appartient au ministère public. En effet, les délits sont commis contre la société en général et non contre les individus, c’est pourquoi c’est le ministère public qui représente la société qui apprécie les peines méritant de tels délits et non les victimes qui ne sont concernées que par les dommages résultant des délits. Dans ce cas, les règles régissant la responsabilité délictuelle sont appliquées lorsque est établi le lien entre le préjudice matériel et moral et le crime commis à leur encontre. Paradoxalement, dans cette affaire, il est rapporté que les victimes n’étaient pas satisfaites des sanctions pénales infligées à l’accusé et ce sont elles qui ont poussé le parquet à introduire un recours. En acceptant de faire appel en apparence à contrecœur, le parquet rwandais perd son indépendance vis-à-vis des victimes et son opportunité de poursuites qui sont légalement reconnues au ministère public.

Conclusion

L’appel interjeté par le parquet rwandais semble viser uniquement Rusesabagina Paul et non les autres coaccusés étant donné que le même parquet avait demandé l’indulgence en faveur de Sankara et d’autres condamnés qui avaient reconnu leur rôle dans les crimes. Cela prouve encore que les institutions judiciaires rwandaises ne sont pas indépendantes car visiblement le régime pousse cette institution à faire appel alors que sa précédente position présageait qu’elle serait d’accord avec le verdict. Naturellement, la cour d’appel décidera de ce que le régime veut bien sûr même en foulant aux pieds les garanties judiciaires internationalement consacrées.