Les récentes révélations de l’appui matériel et militaire du Rwanda aux rebelles congolais du M23 ont jeté un froid dans les relations diplomatiques avec la RDC. Mais depuis longtemps, le régime rwandais tire des énormes bénéfices financier et géostratégique en contrôlant la province du Nord Kivu. Explications.
Mise à jour du 4 septembre: Suspecté de soutenir la rébellion du M23 à l’est de la République démocratique du Congo, le Rwanda a annoncé, le 31 août 2012, le retrait du contingent rwandais présent sur le sol congolais depuis 2009. Le 3 septembre, la RDC a accusé Kigali d’avoir profité de cette opération de retrait de ses militaires pour exfiltrer des hommes qui ont attaqué l’armée congolaise avec les rebelles du M23 et qui devaient être traduits devant la justice.
La nouvelle a suscité l’émoi en République démocratique du Congo, comme si c’était une première.
Le Rwanda appuie les rebelles du M23 en matériels et en hommes. Un rapport confidentiel de la mission de l’ONU décrivait ces déserteurs comme des citoyens rwandais recrutés au Rwanda —sous prétexte de rejoindre l’armée nationale. L’un d’eux serait un mineur.
Certains déclaraient avoir été recrutés en février, alors que la rébellion s’est déclarée en avril.
Le premier à réagir, le Rwanda, par l’intermédiaire de sa ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, qui est catégorique.
«Le Rwanda n’a ni formé ni envoyé de combattants de l’autre côté de la frontière. Cette fuite montre la désinvolture dont fait preuve la Monusco. Nous avons connaissance de ces allégations depuis des semaines. Pourquoi les diffuser? La première des choses aurait été de les vérifier: qui sont ces Rwandais? De quel district viennent-ils?… Mais accuser un pays de soutenir une rébellion dans un autre pays, c’est totalement irresponsable, compte tenu de notre histoire récente», a-t-elle déclaré à Jeune Afrique.
Du côté congolais, la lente réaction des autorités est tombée par le biais du porte-parole du gouvernement ce samedi 9 juin. Au cours d’une conférence de presse tenue à Goma (Nord-Kivu), Lambert Mende a expliqué:
«Le gouvernement congolais s’est impliqué dans une patiente collecte des faits. Une chose est évidente, le territoire du Rwanda a servi à la préparation et à la perpétration d’une conspiration qui, après avoir commencé comme une simple mutinerie, évolue dangereusement vers un schéma de rupture de la paix entre deux pays de la région des Grands Lacs.»
Joseph, un tutsis congolais étudiant en France, évoquait déjà, l’air de rien, cette présence rwandaise en RDC très récemment:
«A chaque fois que Kigali veut influer sur la politique au Congo, il recrute parmi les gens dans notre communauté ou des Rwandais dont certains ont déjà vécu au Congo. Ce sont soit des démobilisés de l’armée rwandaise ou des anciens rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda. Depuis le génocide, les civils rwandais sont entraînés au maniement des armes. Ces personnes sont donc envoyées pour combattre ou exploiter des minerais.»
Plusieurs démobilisés se sont ainsi retrouvés au Congo après leur rapatriement par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ce phénomène est bien connu du HCR et à la mission onusienne, même si aujourd’hui, pour des raisons de communication et d’image, la nouvelle étonne encore.
En 2008, déjà, un rapport accusait ouvertement le Rwanda de soutenir le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un mouvement rebelle crée pour la défense des minorités tutsies en RDC, et Kigali avait fini par arrêter le général Laurent Nkunda alors que ses troupes menaçaient de s’emparer de Goma, ville à l’est de la RDC, et de ridiculiser ainsi les forces dites impartiales. Contre cet argument de protection des minorités, les congolais soutiennent qu’ «aucune ethnie n’est majoritaire en RDC. Toutes sont minoritaires. Et pourquoi celle des tutsis, devrait émouvoir Kigali?»
Main basse sur les pierres précieuses congolaises
La question reste: pourquoi le Rwanda s’attache-t-il à intervenir, d’une manière ou d’une autre dans cette région troublée de la RDC?
Plusieurs rapports des Nations-Unies l’ont déjà dit:
«Le Rwanda constitue la plaque tournante du commerce illicite des pierres précieuses congolaises.»
En 2011, selon la banque centrale rwandaise, l’exportation minière a rapporté 68 millions de dollars américains à l’Etat devenant ainsi la première source de rentrée de devises, dépassant pour la première fois, l’exportation du thé, qui a toujours été le premier secteur d’exportation. Officiellement, le Rwanda ne dispose pas des gisements à même de fournir une telle production. D’où viennent donc ces minerais exportés?
Déjà dès 2009, un observateur a noté une exponentiation de création des coopératives minières. Au bas mot, plus de 300.
Le secteur minier rwandais emploie quelques 35 000 personnes, et les activités sont concentrées dans les mines artisanales et dans quelques mines qui se livrent à l’exploitation industrielle. Cependant, la part de production rwandaise n’est jamais connue dans les exportations des minerais effectuées à partir du pays.
«Nous avons demandé aux responsables de mines du Rwanda de nous donner de statistiques de productions locales, mine par mine, jusqu’en ce jour, on ne nous a rien donné. On nous fait toujours de promesses», affirme Sophia Pikles, chargé de campagne pour le dernier rapport de l’ONG britannique Global Witness.
Les minerais du Congo sont exportés comme production rwandaise.
A travers ces coopératives, «des minerais congolais qui passent la frontière reçoivent une étiquette au Rwanda et sont écoulés vers les marchés internationaux», signale un expatrié branché dans les milieux d’affaires dans la région.
Autre preuve, fournie cette fois-ci par le rapport de l’ONG britannique, le Rwanda tarde à appliquer la diligence raisonnable pour le contrôle de la chaîne de production des minerais exportés à partir de son territoire.
«Le gouvernement rwandais interdit l’importation des minerais qui ne sont pas certifiées et étiquetées par les autorités compétentes. La seule exception est faite aux minerais qui transitent dans le pays dans des conteneurs scellés, alors qu’ils proviennent du Kivu où ils ne sont pas étiquetés.»
Le général Ntaganda, pilier du commerce illicite
Les minerais congolais ne passent jamais au Rwanda à l’insu des services de sécurité congolais.
«Le président congolais a compris ce qui lui a été dit. Le Rwanda ne peut se développer si notre frontière à l’Est lui est fermée», m’avait chuchoté à l’oreille un membre du sérail présidentiel en marge du sommet de Naïrobi en janvier 2009, sommet consacré aux négociations avec les rebelles de Laurent Nkunda.
L’ancien président français, Nicolas Sarkozy, avait fait une proposition en janvier 2009 sur l’exploitation commune par le Rwanda et la RDC des richesses congolaises
Cette initiative a provoqué l’ire des Congolais. En réalité, l’initiative est plutôt venue du président congolais Kabila lui-même, confiait un membre des services secrets occidentaux au journaliste français d’investigation Charles Onana. Une information reprise dans son ouvrage, «Ces Tutsis tueurs. Au cœur de la tragédie congolaise».
On note que le gouvernement congolais a remplacé le général Nkunda par le général Ntaganda lors du rapprochement négocié par les Américains et qui avait écarté les responsables de l’actuelle Monusco.
Le général Ntaganda dit Terminator, du fait de ses exploits en violations de droits de l’homme, a pris le contrôle de l’espace allant d’une partie de la Province Orientale jusqu’à la province du Nord-Kivu.
Selon le dernier rapport des experts des Nations-Unies, il a mis en place un réseau de contre bande extrêmement rentable dans la zone transfrontalière rwando-congolaise. Les minerais sont introduits au Rwanda via des propriétés de Ntaganda. Le général en tirera jusqu’à 15000 dollars américains de profits par semaine. Le gouvernement Congolais ignore-t-il toutes ces transactions et mouvements ?
Le gouvernement de Kinshasa pouvait-il ne pas prévoir que Terminator se livrerait à ce commerce illicite?
Complicité du gouvernement congolais
Autre fait qui donne froid dans le dos, c’est l’implication des services congolais dans le commerce des minerais de sang. Plusieurs rapports des experts de l’ONU ont mentionné l’implication des personnalités politiques congolaises à tous les niveaux.
Ces rapports, Gersony en 1994, Lutundula, Kassem en 2002, et le Rapport Mapping en 2010, ont cité nommément plusieurs personnalités comme Katumba Mwanké, le tout-puissant conseiller du président Kabila décédé dans des circonstances dramatiques à Goma. Ces personnalités n’ont jamais été inquiétées par la justice.
Quoi de plus normal que de voir ces pratiques perdurer.
Une source du milieu des affaires internationales rapporte cette scène incroyable:
«Le 3 novembre dernier, des autorités rwandaises remettent à la RDC 68 tonnes de minerais de contrebande saisis au cours de l’année par des agents de sécurité rwandais. Le stock est placé dans un dépôt à Goma appartenant à un ancien général congolais, Bora, cité par ailleurs dans l‘assassinat de l‘ancien président congolais, Laurent-Désiré Kabila. Mais le 14 novembre à l’aube, en présence des officiels de la province dont un ancien ministre provincial en charge des mines, ces minerais seront introduits clandestinement au Rwanda et vendus à des acheteurs internationaux».
Aucune enquête n’a été ouverte jusqu’à ce jour par le gouvernement congolais, qui officiellement crie à la tolérance zéro et à la réforme du secteur. Un cadastre minier à vu le jour à Kinshasa, mais pour quel résultat?
Le président Kabila lui-même est mis en cause par le député britannique Eric Joyce pour bradage des ressources naturelles qui ont fait manquer au pays plus de 5 milliards de dollars. On vole, on brade les ressources congolaises, du sommet de l’Etat au plus petit échelon de l’administration en passant par les services de sécurité.
La réforme de la sécurité a accentué la contrebande
Le pourrissement de la situation à l’Est du Congo n’est-il pas entretenu?
En dépit des efforts dans la législation congolaise pour assainir (dans) le secteur des mines, l’échec de la réforme dans le domaine de la sécurité fait douter de la réelle volonté politique de Kinshasa de mettre de l’ordre dans le secteur minier congolais.
Et pourtant, selon Pierre Jaquemot, spécialiste français de la région des grands lacs africains et ancien ambassadeur en RDC, des partenaires ont vu des milliards de dollars engloutis pour une réforme du système de sécurité qui a échoué.
L’armée congolaise faite d’une centaine de milliers d’hommes, sous équipées, mal payés, moins entrainés est un vrai conglomérat de plusieurs dizaines de milices. Pas d’esprit de corps d’armée et celui de l’unité de commandement. Elles peinent à éradiquer le foyer de tension à l‘Est. Un remake de l’armée de Mobutu pendant l’avancée de Laurent Désiré Kabila, comme le détaille Honoré Ngbanda dans son livre Ainsi sonne le glas, Les derniers jours du Maréchal.
Quelques brigades ont été formées par les partenaires belges, américains, sud africains, français et chinois. Malheureusement, ces unités modernes ont tardé à être déployées sur le foyer de tension que sont le Nord et le Sud Kivu.
Plusieurs de ses officiers sont suspectés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, à l’instar de l’actuel chef des armées de terre, Amisi Tango Fort, dont le nom est repris sur la liste noire classée confidentielle au rapport Mapping de l’ONU d’août 2010. Ce rapport reconnait que des crimes de guerre et crimes contre l’humanité pouvant être qualifiés d’actes de génocide ont été commis à l’est de la RDC.
Malgré tout, le président Kabila a mis en place une politique de compensation de ses officiers, pour s’assurer de leur loyauté sans faille, comme l’avait fait le président angolais Dos Santos durant la guerre civile en Angola.
Sous prétexte d’assurer la sécurité, des militaires contrôlent plusieurs mines et rançonnent les creuseurs artisanaux pour survivre. Leur solde est détournée par les hauts-gradés, parfois, même pendant que des militaires mal payés combattent au front à côté de leurs femmes et enfants. Pour exprimer leur ras-le-bol, il arrive que ces militaires se déchargent sur la population par des actes de pillage.
Le temps de guerre donne lieu à certaines pratiques. Les officiers achètent leur rations alimentaires à Kinshasa- les font voyager par avions – à un coût élevé au lieu d’acheter sur les marchés locaux.
Cette chaîne incongrue de dépenses permet aux hauts gradés de s’assurer des pourboires pour renflouer leurs poches. La situation a provoqué, par le passé, des débats houleux à l’assemblée nationale lors des séances de questions orales au gouvernement sans pourtant voir les auteurs sanctionnés. Incompétents et corrompus, plusieurs hauts-gradés ont tardé longtemps à être mutés, d’autres gardent encore leur position à l‘Est du pays.
A la différence de l’Angola, cette politique de rétribution n’a pas produit les mêmes effets en RDC.
Elle a fait échouer la réforme du secteur de sécurité, accentué une «milicianisation» des forces de l’ordre et décuplé le trafic illicite et la contrebande de minerais.
Certaines unités spécialement celles issues du CNDP, la branche armée pro-tutsi, refusent d’être redéployées ailleurs dans le pays, prétextant vouloir protéger les populations dans le Rutshuru et le Masisi.
Pendant ce temps, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), accusées d’être à l’origine du génocide par le régime de Paul Kagamé, ses premiers alliés face à la menace rwandaise, violent et pillent. Ils s’adonnent eux aussi à cœur joie à l’exploitation de richesses.
De quoi financer leur opposition armée face au Rwanda et nourrir la méfiance rageuse de Kigali.
Le président congolais Kabila a donc mené cette politique pendant longtemps alors qu’il disait avoir fait la paix avec ses anciens alliés tutsi de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). C’est la nuisance du CNDP qui l’a contraint à un rétropédalage et à un rapprochement spectaculaire avec Kigali.
Le Rwanda veut rester maître du jeu dans le Kivu, pour élargir sa zone d’influence au delà de ses frontières dans une région riche en minerais, dont les terres peuvent aussi accueillir certains rwandais en quête de terre et pâturage. Alors que la RDC veut y reprendre la main pour des besoins de politique intérieure.
Plusieurs leaders locaux actionnent les milices à l’Est du pays pour obtenir des compensations politiques et financières. Ils ont souvent obtenu gain de cause. Le président Kabila utilise l’argent ou la force pour mettre au pas ces opposants ou certains leaders politiques récalcitrants de son camp.
La nouvelle guerre peut modifier les rapports de force dans la région
Au terme des élections chaotiques qui ont conduit à sa réélection, Kabila semble reprendre les choses en mains.
Son objectif? Redorer son blason terni par un bilan de douze ans plus que mitigés.
Un nouveau gouvernement a vu le jour et s’est fixé six objectifs dont la restauration de l’autorité de l’Etat dans les zones en conflits.
Des brigades modernes de l’armée sont enfin déployées à l’Est pour traquer les forces négatives, reléguant au second plan la résolution interne et politique de la crise. Mais cette priorité de Kinshasa n’est pas du goût de Kigali qui a peur de perdre son influence sur les Kivu et par ricochet dans la région.
Le Rwanda a en effet acquis sa suprématie dans la région depuis que l’AFDL, constituée en grande partie de ses troupes, a réussi à renverser le régime de Mobutu, l’ancien dictateur congolais qui a dirigé le pays pendant 32 ans.
Une suprématie accrue lorsque ses troupes ont défait l’armée ougandaise pendant la guerre de six jours en 2000 à Kisangani alors que les deux armées occupaient encore la RDC. Le Rwanda a fortement été militarisé par les Américains et les Britanniques avant, pendant et après la prise du pouvoir par le Front patriotique rwandais en 1994.
Ses campagnes au Congo lui ont permis de mettre la main sur les immenses richesses de ce pays, comme l’attestent plusieurs rapports des Nations-Unies et des ONGs. La RDC, une vache à lait qu’ il ne peut s’empêcher de la tentation de traire davantage.
Au Congo, le gouvernement rwandais actuel est perçu comme celui qui, en complicité avec des autorités congolaises, a permis aux multinationales de piller les ressources du pays.
Pour Kinshasa, remporter une bataille militaire et réorganiser cette partie du territoire signifie limiter l’influence du pouvoir de Kigali, rééquilibrer les forces dans la région mais surtout réécrire l’histoire de la région des grands-lacs.
Le Rwanda l’a compris et a enjoint le gouvernement congolais à une nouvelle opération militaire conjointe contre les FDLRs, pour lui livrer en échange des forces du CNDP et lui permettre de s’occuper du volet politique de l’accord signé avec les groupes armés.
Une nouvelle lutte de leadership se joue donc au Kivu maintenant. Certaines puissances mondiales qui tirent profit de ce conflit regardent de près pour décider de leur prochain positionnement.
Nazaire Nkoko