Par Erasme Rugemintwaza
La visite de la présidente de la République Unie de Tanzanie, Son Excellence Samia Suluhu HASSAN au Rwanda est une allégresse, comme on l’a vu, pour le président rwandais Paul Kagame. Pour quoi alors cet engouement pour la Tanzanie? Qu’est ce qui se cache derrière cette visite?
La Présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu HASSAN vient d’effectuer une visite officielle de deux jours au pays de Milles Collines. Du lundi le 02 août à mardi le 03 août 2021, Kigali était dans l’allégresse immense. De l’aéroport international de Kanombe au Village Urugwiro où Paul Kagame semble ne plus vouloir sortir, c’était une manifestation de joie, et de grand honneur aussi. Les mots peuvent manquer pour bien décrire l’ambiance de cette visite.
Les deux pays se rapprochent pour plusieurs raisons. Mais celle qui a été soulignée avec emphase par les deux « Frère » et « Sœur » chefs d’Etats, c’est que c’est une visite « pour renforcer les liens entre les deux pays ».
Accueillie par le ministre rwandais des Affaires Etrangères et de la Coopération Vincent BIRUTA, à l’Aéroport International de Kigali, Suluhu HASSAN, a été ensuite reçue au Village Urugwiro sous des fanfares et parades militaires. Par après, elle s’est entretenue avec son homologue Paul Kagame en tête à tête. À l’agenda : la signature d’accords bilatéraux dans plusieurs domaines comme celui des technologies de l’information, l’immigration, l’éducation ou encore la règlementation des produits médicaux. Le premier protocole d’accord porte sur la coopération dans le domaine « des technologies de l’information et de la communication« . Cet accord a été signé par le ministre tanzanien de la Communication et des Technologies de l’information, Faustine Ndugulile et son homologue rwandaise Paula Ingabire Musoni.
Le deuxième accord signé par les deux pays porte sur la « coopération dans les domaines de l’immigration et de l’éducation ». Le troisième concerne le domaine de l’éducation, tandis que le quatrième accord porte sur la coopération en matière de réglementation des produits médicaux. Ces trois derniers accords ont été signés par le ministre tanzanien des Affaires étrangères et de la Coopération est-africaine, Liberata Mulamula et le Dr Vincent Biruta, ministre rwandais des Affaires étrangères.
Si Paul Kagame a invité Suluhu HASSAN à Kigali, c’est avant tout pour « trouver de nouveaux alliés parmi ses voisins, puisqu’il est en froid avec presque tous, à l’exception du Kenya», explique Alex Vines, directeur Afrique du centre de réflexion britannique Chatham House.
Le fait que la Tanzanie soit aussi membre de la SADC, l’organisation de l’Afrique australe, est également à prendre en compte. Selon des observateurs, la venue de Madame Suluhu HASSAN offre au Rwanda l’occasion de rallier à sa cause l’un des principaux membres de la SADC sur la question de l’instabilité au Mozambique, après des critiques sur son déploiement militaire dans ce pays. La Tanzanie partage sa frontière sud avec le Mozambique qui a connait une insurrection djihadiste. L’accord sur l’immigration est alors une façon aussi de demander à la Tanzanie de bien contrôler sa frontière, car comme l’a laissé entendre le ministre Vincent BIRUTA, il semble qu’il y a, parmi les combattants de l’insurrection djihadiste, les rwandais. A cela s’ajoute une inquiétude perpétuelle que le Rwanda a toujours eu sur communauté des réfugiés hutus qui se trouve au Mozambique. En effet, le Mozambique hébergerait une communauté de réfugiés hutus rwandais qui, selon les dires du pouvoir de Kigali, ont des activités économiques prospères et ipso facto constituerait une menace du régime de Kigali, la Tanzanie peut alors facilement être une frontière poreuse pour ces « ennemis » du Rwanda. Même si la Tanzanie est pointée du doigt dans cette insurrection musulmane de la province mozambicaine de Cabo Delgado, la préoccupation principale de Samia Suluhu HASSAN n’est pas la sécurité; la Tanzanie est beaucoup attachée à la relance de l’économie, après la pandémie de COVID-19.
S’adressant aux médias après la signature des accords, le président rwandais Paul Kagame a déclaré qu’ « au-delà du partage d’une frontière, les deux nations ont des liens historiques forts et une aspiration commune à apporter la prospérité à leurs citoyens ». Pour sa part, la présidente tanzanienne, Suluhu HASSAN, a déclaré que les deux pays allaient «s’appuyer sur les liens historiques pour aller au-delà des domaines de coopération actuels ».
Actuellement, la coopération entre ces deux pays d’Afrique de l’Est porte essentiellement sur le commerce. Selon les statistiques, le Rwanda exporte vers la Tanzanie des marchandises évaluées à près de 300 millions de dollars par an, alors que pour sa part, la Tanzanie envoie chaque année des marchandises d’une valeur de plus de 500 millions de dollars au Rwanda.
Signalons que la présidente Suluhu HASSAN, est allée au mémorial du génocide de Kigali, où elle a rendu hommage aux restes des victimes qui gisent là-bas, en déposant une gerbe de fleurs mais surtout en laissant un message vibrant aux leaders africains. « C’était une histoire triste et pitoyable. J’aimerais que ce soit une histoire, juste je découvre que c’était une réalité. Les dirigeants Africains devraient réaliser que diviser les communautés n’est une voie à suivre. Que Dieu les bénisse tous et leur permette de se reposer en paix. Amen», écrit-elle dans le livre d’or du mémorial.
La visite de la Présidente Suluhu HASSAN, est réellement une réussite pour un Kagame isolé, vue l’importance historique de la Tanzanie dans la géopolitique de la région. A commencer par le Mozambique de Samora Machel, l’Ouganda de Yoweri Museveni, l’Afrique du Sud de Nelson Mandela et le Rwanda de Paul Kagame. Les trônes de ces pays ont été le produit des complots ou mieux des plaidoiries du Père de la nation tanzanienne Julius Kambarage Nyerere, qui sans nul doute a été aussi le fossoyeur d’autant de régimes. S’écarter de ses successeurs s’est une ingratitude mais aussi élire le siège sous l’épée de Damoclès.