THE RWANDA TRUTH COMMISSION: Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda

THE RWANDA TRUTH COMMISSION
Rue Uyttenhove 37/618
BE-1090 Bruxelles

E-mail : [email protected]

Bruxelles, le 20 juillet 2020

Son Excellence Monsieur Volkan Bozkir

Président de la 75ème Session de l’Assemblée Générale des Nations Unies

Mission permanente de la Turquie auprès des Nations-Unies

821 United Nations Plaza, 10th Floor, New York, NY 10017

Son Excellence Monsieur Tijjani Muhammad-Bande

Président de la 74ème Session de l’Assemblée Générale des Nations-Unies

Mission permanente du Nigeria auprès des Nations-Unies, 

828 Second Avenue New York, NY 10017


Son Excellence Monsieur Antonio Guterres

Secrétaire Général des Nations Unies

UN Plaza

P.O Box 20 

New York N.Y.10017 USA

Objet : Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda

Excellence Messieurs les Présidents,

Excellence Monsieur le Secrétaire Général,

En date du 20 avril 2020, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 74/273 : Journée internationale de réflexion sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Cette résolution, dans la suite de la décision 72/550 du 26 janvier 2018, venait modifier la résolution 58/234 : Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda adoptée par l’Assemblée générale en date du 23 décembre 2003. 

Rwanda Truth Commission considère que cette modification n’est pas anodine. Elle n’est pas qu’un changement de l’intitulé de la manifestation annuelle. La transformation concerne essentiellement le fond. En effet, en ne retenant que le génocide des Tutsis, le nouvel intitulé occulte les autres actes de génocide, les crimes contre l’humanité ainsi que les autres violations graves du droit international humanitaire sur d’autres groupes ethniques victimes, en particulier les Hutus, crimes internationaux commis sur le territoire du Rwanda et celui de la République Démocratique du Congo (RDC). Sur cet aspect fondamental des crimes, la résolution 74/273 est manifestement en retrait et est en porte à faux avec la résolution 955 (1994) prise par le Conseil de sécurité en date du 8 novembre 1994 sur la création du Tribunal pénal international sur le Rwanda. Ladite résolution enjoignait en effet, la Communauté internationale de poursuivre devant ledit tribunal tous les auteurs présumés de la catastrophe rwandaise. Pour Rwanda Truth Commission, le nouvel intitulé de la Journée internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda recèle surtout le dessein latent et délibéré de couvrir et de renoncer à poursuivre les actes de génocide présumés et les crimes contre l’humanité commis en 1994 et après par le Front patriotique rwandais (FPR), aujourd’hui au pouvoir au Rwanda.

Cette modification de l’intitulé s’avère importante que lors de l’adoption de la résolution précité que les représentants permanents auprès des Nations Unies des Etats-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni et du Japon se sont résolus à exprimer des réserves sérieuses quant à la forme et quant au fond de la résolution. 

Les Etats-Unis ont exprimé leurs préoccupations en soulignant que les modifications apportées en 2018 et en 2020 au texte originel de 2003, en ne retenant que le génocide contre les Tutsis, empêchaient de saisir pleinement l’ampleur de la violence exercée contre d’autres groupes nationaux rwandais. Pour les Etats-Unis, de nombreux Hutus et d’autres civils avaient également été tués pendant le génocide, notamment les Hutus qui ont été assassinés pour leur opposition aux atrocités commises. Ne pas honorer et ne pas se souvenir de ces victimes présentait une image incomplète de cette partie sombre de l’histoire. Toujours, selon les Etats-Unis, le changement de langage utilisé pour décrire les génocides passés créait un dangereux précédent et risquait de conduire à reconsidérer d’autres journées de réflexion. Et s’ils soutenaient l’objectif général de la résolution de réfléchir sur le génocide au Rwanda, ils ont en même temps souligné que leur compréhension des circonstances du génocide au Rwanda n’avait pas changé. Voir à ce sujet l’explication américaine de la position sur la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le génocide rwandais1.

De son côté, le Royaume-Uni a indiqué ses réserves sur le fond en disant qu’il n’était pas d’accord avec le fait que le génocide soit exclusivement réduit au « génocide de 1994 contre les Tutsis ». Comme indiqué dans les résolutions précédentes, le Royaume-Uni a déclaré qu’il était d’avis que les Hutus et les autres personnes tuées devaient également être reconnues. Il a enfin noté que ses préoccupations concernaient également le manque de transparence avéré à la base du processus d’adoption de la contestable résolution 74/273. Voir à ce sujet l’explication de la position du Royaume-Uni sur le projet de résolution relatif à la Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda2.

Enfin, le Japon a tenu à exprimer ses sincères condoléances à toutes les victimes, hommes, femmes et enfants, y compris les personnes assassinées alors qu’elles s’opposaient aux atrocités. Pour le Japon, la compassion devait concerner l’ensemble des familles, des survivants du génocide et des violations graves du droit international humanitaire. Evoquant que des consultations transparentes et inclusives font partie intégrante de la garantie des valeurs et principes fondamentaux de l’Assemblée générale des Nations Unies, il a également exprimé les préoccupations de son pays sur le manque de transparence dans le processus de négociation qui a abouti à l’adoption de la résolution 74/273. Tout en se joignant au consensus pour soutenir la poursuite de la réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda, il a souhaité néanmoins que le processus de négociation opaque à la base de ladite résolution ne crée de précédent. Voir à ce sujet l’explication de la position du Japon sur le projet de résolution relatif à la Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda3.

Rwanda Truth Commission apprécie à sa juste valeur les positions exprimées par les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon. Elle est indignée par la résolution 74/273 du 20 avril 2020. En effet, tronquer dans le souvenir en affirmant que les Tutsis sont les seules victimes du génocide de 1994 au Rwanda et en occultant de manière délibérée la mémoire des Hutus victimes du même phénomène criminel revient à piétiner leur mémoire et à nier le deuil à leurs parents survivants. Aussi Rwanda Truth Commission est d’avis que sans la compassion, sans la réhabilitation de toutes les victimes et sans le jugement des principaux auteurs responsables des crimes contre l’humanité et des violations graves du droit international humanitaire, il n’existe point de chance de lutter contre l’impunité, et il n’est point de réconciliation possible entre rwandais. 

Excellence Messieurs les Présidents,

Excellence Monsieur le Secrétaire Général,

Quand nous parlons de crimes commis par le Front patriotique rwandais, il s’agit de crimes contre l’humanité avérés qui se basent sur des rapports commandités et publiés par des organisations internationales, comme par exemple les Nations Unies dont Vous êtes les plus hauts représentants. Rwanda Truth Commission soutient que la Journée de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda doit se dérouler en tenant compte du contexte général du génocide. Elle devrait aussi rappeler des crimes contre l’humanité, voire de génocide commis par les principaux auteurs des crimes internationaux, à savoir le régime rwandais de l’époque et le Front patriotique rwandais, aujourd’hui au pouvoir. 

Les crimes de l’ancien régime ayant été suffisamment exposés lors de cette journée de réflexion, nous aimerions étayer nos propos en mettant en exergue ci-dessous les rapports des instances des Nations Unies qui parlent des crimes du FPR, mais qui n’ont pas du tout été abordés lors de la Journée de réflexion sur le génocide au Rwanda. 

En premier lieu, Vous Vous rappellerez qu’entre le 1er août et le 5 septembre 1994, en vue d’étudier les voies et moyens susceptibles d’accélérer le rapatriement de plus de deux millions de réfugiés rwandais qui avaient fui le Rwanda lors de la prise du pouvoir par la force par le F.P.R, Monsieur Robert Gersony et son équipe réalisèrent une étude pour le compte du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Au cours de sa mission, ils acquirent la conviction que le F.P.R s’était livré à « des massacres et à des persécutions manifestement systématiques de la population hutu dans certaines parties du pays ». Dans les 41 communes sur 145 qu’ils visitèrent, ils avaient évalué entre 25’000 et 45’000 le nombre des civils tués systématiquement et parallèlement par le FPR. L’examen des faits et les conclusions établies et après les avoir communiqués au Secrétaire Général des Nations Unies ne furent jamais portés à la connaissance de l’opinion rwandaise et internationale. N’eussent été les fuites du rapport qui parvinrent fort heureusement à la presse, le Rapport Gersony serait encore jusqu’à ce jour maintenu sous embargo des commanditaires dudit rapport. 

Dans un deuxième temps, le Rapporteur spécial des Nations Unies, dans son « Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda présenté par M. René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, aux termes du paragraphe 20 de la résolution de la commission, E/CN, 4/S-3/1 du 25 mai 1994 », avait affirmé dans son rapport de mai 1994 qu’un génocide avait bien eu lieu au Rwanda. Il concluait également que le FPR avait bien commis des crimes contre l’humanité. Vous Vous souviendrez que c’est notamment suite à ce rapport qu’en date du 8 novembre 1994 que le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal international sur le Rwanda chargé de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

En troisième lieu, abordons à présent les « Rapport Roberto Garreton » et « Rapport des Nations Unies de la mission conjointe chargée d’enquêter sur les allégations de massacres et autres atteintes aux droits de l’homme ayant lieu dans l’Est du Zaïre (actuellement République Démocratique du Congo) depuis septembre 1996, en application du paragraphe 6 de la résolution 1997/58 de la Commission des droits de l’homme ». Il Vous souviendra que les deux rapports avaient affirmé que : « On ne peut pas nier que les massacres de caractère ethnique ont été commis, dont les victimes sont en grande partie des hutu, rwandais, burundais et zaïrois. De l’avis préliminaire de la mission conjointe, certaines allégations pourraient constituer des actes de génocide ». Force est aujourd’hui de constater que longtemps après que ces conclusions Vous aient été communiquées, les Nations Unies n’ont pris aucune disposition appropriée pour prévenir et réprimer les crimes contre l’humanité dont les actes de génocide perpétrés par l’ancienne rébellion et le pouvoir en place à Kigali. L’espoir que nous avions mis en les Nations Unies pour appuyer le Peuple rwandais dans sa recherche de vérité, de justice et de réconciliation s’est étiolé une fois de plus, car aucune suite pénale ne fut dirigée contre les auteurs desdits crimes.

Quatrièmement, le Rapport Mapping. Vous reconnaitrez que la Commission onusienne des droits de l’homme a rendu public un rapport, connu sous le titre “Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, 2010″. Ce rapport accusant l’armée du régime et son chef le président Kagame de gravissimes crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de possibles crimes de génocide si une autorité judiciaire pouvait les examiner et les qualifier. D’abord l’ampleur des crimes et le grand nombre de victimes sont démontrés par les nombreux incidents décrits dans ledit rapport. L’usage extensif d’armes blanches (principalement des marteaux) et le massacre systématique des survivants, dont des femmes et des enfants, après la prise des camps montrent que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre ou assimilables à des dommages collatéraux est abondamment renseigné. Ce sont des crimes contre l’humanité et des actes de génocide perpétrés par le FPR contre les Hutus qui sont basés sur des données substantielles et une analyse solide. Le rapport a demandé la constitution d’un tribunal international pour juger les coupables présumés. Dix ans après, il convient de constater que la constitution d’un tel tribunal a toujours été repoussée aux calendes grecques et qu’en conséquence aucun jugement ne sera rendu si les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies ne se décident à faciliter la création d’un tel tribunal.

Enfin, il est déplorable que le Tribunal pénal international pour le Rwanda ait clôturé son mandat sans enquêter sur le contexte complet du génocide, en particulier sur l’élément déclencheur du génocide, à savoir l’attentat de l’avion présidentiel dans lequel ont péri les Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi ainsi que tout leur premier cercle du pouvoir. Il est surtout regrettable que, alors que Madame Carla Del Ponte, Procureure auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda, avait réuni, dans ce qui est communément appelé « Enquêtes spéciales », des dossiers accablants et bien documentés sur plusieurs dizaines de massacres commis en 1994 commis contre la population hutue par des officiers du FPR dont l’identité est bien connue, le TPIR a fermé chapitre sans juger un seul de ces militaires. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a préféré plutôt écarter Madame Del Ponte pour laisser au Secrétaire général Kofi Annan désigner un nouveau procureur, Monsieur Hassan Jallow. Ce dernier enterra à jamais le dossier des crimes du FPR. Dans l’intérêt de rendre compte de l’histoire de façon complète et impartiale pour faire du « plus jamais » un objectif réalisable, il serait pourtant plus logique que le Mécanisme international résiduel pour les tribunaux pénaux intègre dans son mandat la poursuite du travail inachevé de jugement des crimes commis depuis 1994 par le FPR.

Excellence Messieurs les Présidents,

Excellence Monsieur le Secrétaire Général,

Voilà des rapports et des thèmes qui mériteraient d’être abordés à l’occasion d’une Journée de réflexion dédiée au génocide commis au Rwanda. Seule la lumière peut chasser l’obscurité. La vérité sur le génocide et les crimes contre l’humanité commis au Rwanda reste encore à construire. Pour le moment elle est partielle et partiale et profite à une catégorie de bourreaux, celle du FPR, qui est en train de construire un narratif basé sur le manque de transparence, la discrimination des victimes, le mensonge, l’impunité et l’enfouissement de ses propres crimes. Il est temps que les Nations Unies découvrent que, à l’occasion des journées de réflexion sur le génocide au Rwanda comme celle du 20 avril 2020 où Vous laissez l’espace au régime FPR déployer à sa guise sa propagande, ce dernier exploite d’une manière éhontée une situation tragique dans laquelle il emporte pourtant de très lourdes responsabilités politiques et pénales. 

Les rapports des Nations Unis décrits plus haut ainsi que les réserves importantes exprimées par les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon lors de la Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda représentent cette lumière qui fait tant défaut dans l’analyse du drame rwandais, et donc dans la recherche de solutions viables. Nous Vous demandons d’exhumer tous ces rapports, de restituer la vérité en les remettant sur le lampadaire onusien et en proposant aux membres des Nations Unies les voies et moyens idoines de rendre justice à toutes les victimes du génocide de 1994 au Rwanda. 

Tout en Vous assurant de la disponibilité de Rwanda Truth Commission à contribuer à l’éclatement de la vérité, nous Vous prions d’agréer, Excellence Monsieur le Président de la 75ème Session de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, Excellence Monsieur le Président de la 74ème Session de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, Excellence Monsieur le Secrétaire Général des Nations-Unies, l’expression de notre très haute considération.

Jonathan Musonera Nkiko Nsengimana

Président du Comité exécutif Président du Conseil d’administration

Copie pour information :

  • Mesdames, Messieurs les Membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies
  • Monsieur le Représentant des Etats-Unis auprès des Nations-Unies
  • Monsieur le Représentant du Royaume-Uni auprès des Nations-Unies
  • Monsieur le Représentant de la Mission permanente du Japon auprès des Nations-Unies
  • Monsieur le chef de délégation de l’Union Européenne aux Nations-Unies

1 https://usun.usmission.gov/explanation-of-position-on-the-un-general-assembly-resolution-on-the-rwandan-genocide/

2 https://www.un.org/pga/74/wp-content/uploads/sites/99/2020/04/UK-EOP-on-Rwandan-genocide-resolution-20-April.pdf

3 http://www.japans-eop-international-day-of-reflection-on-the-1994-genocide-against-the-tutsi-in-rwanda-final.pdf/