Une lettre à mon frère Déogratias Mushaidi

Cher frère,

Dans seulement quelques heures, nous embrassons une année nouvelle et passons en 2013. C’est pour beaucoup une occasion de festoyer et d’apprécier les cadeaux reçus, de prendre des résolutions (qu’ils oublieront peut-être le mois d’après) et surtout de formuler des vœux à ceux qui leur sont proches. C’est là toute la difficulté à rédiger cette lettre : de là où tu es, il paraît que le temps ne passe pas ; je ne sais donc pas si nous passerons le cap en même temps. Il paraît aussi que l’idée même de fête est une aberration dans ce bagne où ils t’ont confiné. Pour les cadeaux, je sais que tu n’en reçois que de Rurema. Ta vie par exemple ainsi que l’indéfectible soutien des tiens. Tes calomniateurs et tortionnaires savent tous que tant que tu resteras couvert par la main du Créateur, ils ne pourront rien contre toi. Iyakaremye niyo ikamena. Cadeau de Nyir’ibiremwa. Pour concurrencer ce dernier, je t’écris ces lignes que Lui se chargera de mettre au pied de ton sapin.

Je noircis ainsi cette page pour narguer ceux-là qui ont cru t’éloigner de moi. De nous. Pour leur rappeler que je ne t’oublie pas. Même lorsque des hobereaux qui ne pigent mot à ton combat essaient, tels des moutons de Panurge, de jeter ton nom en pâture. Car de cette obscurité qui te sert de cadre de vie aujourd’hui, il nous parvient tout de même un petit faisceau de lumière et celle-ci est dorée de par la force que tu lui a imprimée. Je t ‘entend encore tordre le cou à l’ethnisme de certains ; tu disais alors et toujours : « ubuhutu, ubututsi si umushinga ». Je me surprend tous les jours en train d’admirer le courage qui t’a fait quitter et dénoncer la malfaisance de nos bourreaux. Une de tes phrases passera, je n’en doute pas, à la postérité : « Ils sont capables d’écraser nos corps mais aucune de leurs armes, aussi sophistiquée soit-elle, ne pourra atteindre notre conscience ». Je me demande bien souvent si ton vrai et seul crime n’est pas d’avoir eu raison très tôt…

Tu as vaillamment dénoncé leur cupidité, tu as constamment fustigé leur félonie, tu as mis à nu et abhorré leurs mensonges, tu as systématiquement cassé les barrières ethniques, tu as prêté une oreille de compassion à toutes les souffrances, tu as refusé le facile character assassination, tu as toujours privilégié la force de l’argument au détriment de l’argument de la force. Tu es digne du Rwanda. Celui de nos ancêtres, eux qui n’avaient qu’une parole. Jamais de langue fourchue. Tu es digne du Rwanda. Celui de nos rêves, celui chanté par feu Philip Lucky Dube lorsqu’il interroge : « the cats and the dogs have forgiven each other, what’s wrong with us ? All these years fighting each other but (there is) no solution ». Celui annoncé par Enrico Macias qui déclarait : « Je vous apporte la nouvelle : tous les loups tous les agneaux, plus jamais ne se querellent au bord du même ruisseau ».

Cher frère,

tu es certainement au courant, mais depuis qu’ils t’ont kidnappé et qu’ils t’ont emmuré, le camp de la Vérité a pris un coup et surtout a peur; s’organiser efficacement relève désormais plus du tâtonnement que d’une stratégie de lutte bien rodée pour faire partir Serwakira. Dans son mutisme, le peuple veut bien croire que les choses se passent bien et en toute discrétion. La vérité est que le spectacle qui nous est épisodiquement offert par tes partenaires d’hier fait désespérer plus d’un et, malgré l’accumulation des bourdes et autres provocations d’Arbre-dans-l’oeil, le socle de la tyrannie ne se lézarde que très lentement. Avec la courageuse Ingabire et le téméraire Ntaganda, vous devez vous posez beaucoup de questions. Je n’en ai pas les vraies réponses, juste des suppositions. Mieux, des vœux. Celui par exemple de voir émerger une figure charismatique qui fédérera toutes les forces qui auront un jour (mais définitivement alors) raison des afande qui nous ont aliéné nos voisins et n’arrêtent pas de mortifier les nôtres.

Parlant toujours des vœux, je reviens sur le plus important à mes yeux pour 2013 : ta liberté. Et celle de tous tes codétenus. La liberté des Rwandais. Tous, sans exception. Après tout, un régime qui sait organiser ta filature pour ensuite techniquer l’acte de ton accusation ne manquerait nullement d’arguments ni d’ingéniosité pour mettre un frein (pourquoi pas un coup fatal?) à sa machine à moudre et ainsi entamer ta remise en liberté. Je crois en ton innocence et je le répète ici. Je l’écrirais jusqu’à ce que les touches de mon clavier mémorisent ton nom. J’exprime le vœu de voir tes geôliers le reconnaître, même à leur façon. C’est-à-dire sans perdre la face (le masque, lui, il y a belle lurette qu’ils l’ont perdu). Cela signifierait qu’enfin « ils » comprennent que le sort de leur pouvoir est intimement lié à la (in)justice qu’ils appliquent au peuple. « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous », disait Montesquieu.

L’autre (que je ne veux pas citer aujourd’hui) va tantôt s’adresser à la nation et certainement qu’il va s’épancher comme à son habitude. Il y a longtemps que mes yeux n’y sont plus (nakuyeyo amaso), sinon j’allais me mettre à rêver d’un sursaut humain et authentiquement patriotique de sa part. D’une grandeur d’esprit. Rêver d’un discours audacieux dans lequel, au lieu de nous parler du M23, il parlerait de grâce présidentielle. La magnanimité ça s’appelle, mais à moins d’une inspiration de dernière minute, ce concept reste étranger dans les pratiques des afande. A croire qu’avec tout le sang innocent qu’ils ont versé, une étrange métamorphose a solidifié leurs cœurs. Tiens donc bon mon frère car à chaque jour suffit sa peine et demain sera un autre jour. Bucya bwitwa ejo, comme le disait notre tante bien-aimée. Au dernier jour, ils sauront qui tu es réellement : Invictus.

Tout récemment encore, « ils » ont convié un ami dans une ruée vers les ors d’Afandie. Come and see disaient-ils alors. En guise de commission, j’ai demandé à l’ami de faire un petit détour par Mpanga et, plus zélé que ses pourvoyeurs de billets et de slogans, il m’a dit et redit qu’il viendra te faire un coucou de ma part. Il est parti, il a vu, il est revenu et s’est tu. A son retour en effet, quel ne fût pas mon étonnement de le voir baragouiner, tête basse, des explications genre « burya ibintu ntibyoroshye nk’uko nabikekaga n’uko babitwizezaga» et d’ajouter « nzakubwira »… J’attends toujours le récit de son excursion, même si j’ai fini par comprendre. Qu’entre les lignes de ses phrases se cachait une gêne, une honte ; celle d’avoir cédé aux sirènes d’une propagande malicieuse. D’avoir été berné, manipulé. Puisse donc l’année qui débute voir délivrées toutes ces consciences abusées. Puissent surtout certains mots retrouver toute leur pleine signification.

Agaciro par exemple. En as-tu entendu parler ? Je parie que non. Ils en font un usage qui n’a rien à voir avec les traditions de notre culture. Cela ne les empêche pas de rouler leurs nouveaux amis dans la farine en traduisant ce qui n’est pour eux que vantardise de m’as-tu-vu par « dignité » ! Sans blague. Ils écrasent l’orphelin et outragent la veuve : agaciro. Ils se pavanent dans nos villes en parvenus : agaciro. Ils agressent et pillent nos voisins : agaciro. Ils crachent dans la main des donateurs qui leur fournissent la soupe : agaciro. Ils tranchent les têtes de ceux qui pensent autrement qu’eux : agaciro. Ils exilent les journalistes : agaciro. Ils sont même insatisfaits des verdicts par leur cours prononcés : agaciro. Ils harcèlent et surtaxent le paysan : agaciro. Ils commettent des attentats à l’étranger : agaciro. Vivement le jour où tout cela arrivera à terme et que s’accomplira ta prophétie : « J’annonce ici et maintenant une nouvelle forme de révolution. Celle de la vérité, de l’amour, de la tendresse et de la fraternité retrouvée ».

En attendant cette bonne nouvelle, je continuerai de penser à toi pendant que je me prépare à faire le saut dans l’année qui s’annonce. Je ne sais pas s’ils te laisseront prendre un verre pour la circonstance, si non sois sûr que lorsque mourra 2012, je porterai un toast et mangerai un bout (akantu gato) à ta santé pour que vive 2013 et que vive la flamme que tu as allumée dans les cœurs de tous ceux qui ont connu ta simplicité et la clarté de tes principes.

Meilleurs vœux cher Déo.

Cecil Kami

3 COMMENTS

  1. Chère Cecil Kami,

    Châpeau bas à ton article. Je n’ai rien à ajouter.Tu as dit tout haut ce que je pense tout bas.
    Tu as la plume facile mais aussi les idées claires et les mots pour les écrire viennent aisement.
    Voici, quant à moi mon unique voeux et souhait pour nos braves amis enfermés dans les pénitenciers du Rwanda et pour tous les Rwandais: LIVE FREE OR DIE ; VIVRE EN LIBERTÉ OÙ MOURIR; KUBAHO MU BWISANZURE BYABURA UGAPFA.

    Antoine.

  2. Mbashimiye ibitekerezo byanyu,but mwagombye kwandika mu rurimi rwacu,kuko benshi iki french tumaze kukibagirwa kubera dutuye mu bongereza. Ngaho mwaka mwiza ube wo kwibohora kandi:I HAVE A DREAM!

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