Par Valentin Akayezu
Les juridictions Gacaca, un système judiciaire traditionnel rwandais, ont été établies pour juger les crimes graves de génocide commis au Rwanda en 1994. Suite à la Conférence internationale sur le « Génocide, l’impunité et la responsabilité : un dialogue sur la réponse nationale et internationale » tenue à Kigali en novembre 1995, des recommandations ont été formulées pour la mise en place de structures judiciaires adaptées aux défis post-génocide.
Avant les premiers procès Gacaca en 2002, des élections ont eu lieu pour désigner des juges, appelés « Inyangamugayo », ou personnes d’intégrité, bien que leur efficacité pratique était incertaine. J’ai personnellement assisté à ces élections au site de Rugunga (Lycée de Kigali) et j’ai observé que les gens étaient souvent contraints de désigner des juges contre leur volonté.
Peu après, IBUKA, une organisation de survivants tutsis du génocide de 1994, a publié une déclaration critiquant ouvertement ces élections, accusant la majorité des élus, des Hutus, d’être responsables du génocide. Bien que les élections aient été annulées, elles ont été maintenues pour une période d’essai dans certaines régions sous le nom de « projet pilote Gacaca ». Des audiences ont eu lieu au camp militaire de Kigali début 2002, en présence du président rwandais Paul Kagame, mais se sont arrêtées après une seule journée.
La législation a ensuite été modifiée pour introduire la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité, inspirée du système anglo-saxon de négociation de peine. L’ancien ministre de la Justice, feu Jean De Dieu Mucyo, a révélé que la large participation du public était due à la crainte générée par les exécutions publiques, comme celle de Karamira Froduard en 1996.
Il est devenu évident que les tribunaux Gacaca visaient spécifiquement les Hutus éduqués, économiquement stables, et ceux ayant un potentiel de leadership politique ou social. Cette proximité flagrante entre les Hutus avouant et plaidant coupable et les membres d’IBUKA a renforcé ma perception d’un motif caché des tribunaux Gacaca : l’extermination systématique et judiciaire de la communauté hutue.
Lors d’un discours en 2014, le président d’IBUKA, le Professeur Dusingizemungu Jean Pierre, a admis une certaine appréciation pour les Hutus montrant une volonté incontestable d’endosser le crime de génocide. De son côté, Kagame a poussé l’argument encore plus loin en 2013, en déclarant que tous les Hutus, coupables ou non, portent le poids du génocide, établissant ainsi une responsabilité sociale par association.
Le gouvernement rwandais estime à plus de deux millions le nombre de coupables du génocide, ce qui signifie que chaque adulte Muhutu en 1994 porte le génocide sur ses épaules. Ceux qui louent les réussites des cours Gacaca ne voient pas la vérité sous-jacente : l’exécution judiciaire des Hutus en 1996 et la manipulation des procédures d’aveu et de plaidoyer de culpabilité ne sont pas tant des victoires de la justice que des outils pour promouvoir la vision du vainqueur du conflit. Il est crucial de se rappeler que celui qui trompe se trompe également lui-même.