AFFAIRE VICTOIRE INGABIRE : LA JUSTICE SOUS LE MARTEAU DE LA DICTATURE

Victoire Ingabire

Ingabire critique ouvertement le président Paul Kagame, l’homme fort du pays depuis trois décennies. Il a obtenu plus de 90 % des voix aux élections présidentielles de 2003, 2010 et 2017 – et les modifications apportées à la constitution signifient qu’il pourrait potentiellement rester au pouvoir pendant encore 10 ans. En 2010, Ingabire est revenue d’exil aux Pays-Bas pour participer à l’élection présidentielle de cette année-là. Mais elle a été arrêtée, interdite de tout mouvement et condamnée plus tard à 15 ans de prison. Après avoir été graciée en 2018, elle a fondé le parti d’opposition Dalfa-Umurinzi. Malgré les critiques des groupes de défense des droits humains accusant le président Paul Kagame, âgé de 67 ans, de réprimer l’opposition, le dirigeant a fermement défendu le bilan du Rwanda en matière de droits humains, soulignant l’engagement du pays en faveur des libertés politiques ; version qui ne se reflète pas dans le verdict de la haute cour consacrant une violation flagrante des droits fondamentaux des citoyens. Les prochaines élections au Rwanda en juillet auront des implications qui s’étendront bien au-delà de ses frontières, et pourraient avoir un impact sur la position du Royaume-Uni concernant le Rwanda en tant que destination sûre pour les demandeurs d’asile. Le résultat de ces élections pourrait façonner la politique du Royaume-Uni et même influencer la politique intérieure, y compris les prochaines élections au sein même du Royaume-Uni. Une ingérence extérieure dans les processus électoraux du Rwanda pourrait perturber les accords entre le Rwanda et le Royaume-Uni en matière d’immigration, affectant des législations telles que le projet de loi sur le Rwanda et façonnant les politiques étrangères et d’immigration du Royaume-Uni. A travers les présentes lignes, il sied discuter des tenants et des aboutissants d’un événement judiciaire viral qui démasque une justice à la rwandaise et une politique diplomatique qui n’évoluent toujours pas.

1.Faits

Ingabire a été reconnue coupable et condamnée à huit ans de prison ; en appel devant la Cour suprême du Rwanda, sa condamnation a été confirmée et sa peine portée à 15 ans. Mme Victoire Ingabire Umuhoza a été libérée de prison par grâce présidentielle en 2018, sous certaines conditions. Parmi les conditions, « elle doit demander l’autorisation du ministre chargé de la justice chaque fois qu’elle souhaite quitter le Rwanda. Deuxièmement, elle doit se présenter au bureau du procureur de grande instance de son lieu de résidence, une fois par mois. Ces conditions cesseront d’être appliquées à la fin de la période d’emprisonnement restante, qu’elle était censée purger jusqu’en 2025″, a déclaré à Sahara Reporters une source familiale. Malheureusement, la source a déclaré que cette activiste avait demandé l’autorisation de quitter le Rwanda plus de deux fois, mais que ces requêtes avaient été ignorées par le ministère de la Justice du Rwanda. Elle a ensuite écrit au président Paul Kagame pour lui demander d’user de ses prérogatives et de lever les deux conditions attachées à son ordre de libération pour raisons humanitaires. Mme Ingabire Umuhoza souhaitait se rendre aux Pays-Bas et rendre visite à son mari qui est gravement malade, mais le président n’a pas encore répondu à sa demande. Depuis cinq ans qu’elle est sortie de prison, Mme Ingabire n’a pas pu exercer pleinement ses droits. Elle ne peut pas exercer ses droits politiques. Elle a enduré tout cela, malgré le fait qu’en 2017, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) l’a innocentée et a déclaré que le gouvernement rwandais avait violé ses droits à la liberté d’expression et lui avait refusé une défense adéquate. Le gouvernement rwandais a jusqu’à présent refusé de reconnaître la décision de la CADHP, même lorsque l’Association du Barreau africain avait adopté deux résolutions appelant le Rwanda, en tant qu’État partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte africaine), à ​​obéir à la décision de la CADHP dans l’affaire Mme Victoire Ingabire Umuhoza contre le gouvernement rwandais de 2017. L’année dernière, Mme Ingabire Umuhoza a déposé une plainte auprès de la Haute Cour rwandaise pour demander sa réhabilitation, ce qui, si elle avait été accordée, l’aurait blanchie et lui aurait permis de voyager pour voir sa famille et participer aux prochaines élections », a indiqué la source.

Cependant, en réaction à la décision du tribunal rejetant sa demande dans une déclaration partagée sur son compte X, la militante a déclaré que sa détermination restait inébranlable malgré le revers. Le chemin vers le changement est souvent semé d’embûches, mais c’est grâce à la persévérance et à l’effort collectif que nous pouvons aspirer à une société plus juste et plus démocratique », a-t-elle déclaré. Elle a décrit la décision du tribunal comme un rappel brutal des obstacles à la participation politique et le besoin urgent d’une réforme de la gouvernance du Rwanda. Avec l’intitulé : « Un appel à la justice et à la démocratie au Rwanda aujourd’hui », Mme Ingabire a déclaré : « À la lumière de la décision de la Haute Cour de ne pas m’accorder la réhabilitation aujourd’hui, je suis obligée de partager ma profonde déception. Ce verdict arrive à un moment critique, alors que le Rwanda se prépare aux élections législatives et présidentielle prévues en juillet 2024, élections auxquelles j’espérais participer en tant que candidat, prônant le changement et la démocratie. Le refus de ma réhabilitation n’est pas simplement un revers personnel mais est emblématique des problèmes plus larges auxquels notre nation est confrontée, problèmes que les organisations de défense des droits humains et les partenaires de développement du Rwanda critiquent depuis longtemps. Cela souligne les préoccupations dominantes concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, la restriction des droits politiques et la suppression des voix alternatives au Rwanda. Elle a ajouté : « La décision d’aujourd’hui est un rappel brutal des obstacles à la participation politique et du besoin urgent de réforme de la gouvernance de notre pays. Ce moment de l’histoire du Rwanda devrait être marqué comme un tournant, la décision de la Cour est une occasion manquée pour le Rwanda de faire des progrès significatifs vers l’établissement d’une véritable démocratie. Cela a non seulement un impact sur ma capacité à contribuer au paysage politique du Rwanda, mais restreint également la capacité du peuple rwandais à explorer diverses perspectives politiques. Malgré le revers d’aujourd’hui, ma détermination reste inébranlable. Je suis déterminé à poursuivre la lutte pour l’établissement d’une véritable démocratie au Rwanda, en plaidant pour le respect des droits de l’homme et de l’État de droit. Le chemin vers le changement est souvent semé d’embûches, mais c’est par la persévérance et l’effort collectif que nous pouvons aspirer à une société plus juste et démocratique.  »

2.Analyse

1)un régime politique qui craint la moindre menace

Logiquement, sous un régime despotique, le chef de l’Etat n’a rien à craindre des challengers qui agissent dans un climat de peur ; tant qu’ils sont sur le sol rwandais. Il faut alors s’interroger sur les raisons de priver de liberté une femme désespérée, séparée de sa famille, qui souhaite réellement les rejoindre et ne plus retourner au pays compte tenu des conditions de détention qu’elle y a endurées. Il y a des cas où le régime a exécuté inutilement des pauvres citoyens pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’intérêt supérieur de la nation. Alexia Uwera Mupende a été assassinée parce qu’elle était la petite amie de Bertrand Ndengeyingoma, l’actuel gendre de la famille présidentielle et qu’elle rivalisait donc avec Ange Kagame. Juste pour prévenir d’éventuelles mauvaises langues sur ce mariage arrangé/forcé, elle méritait d’être réduite au silence par la mort. Quatre PDG de la Banque Rwandaise de Développement ont été soit tués, soit emprisonnés pour avoir accédé à des informations financières top-secrètes du régime : nul n’ignore le sort de Théogène Turatsinze et d’Edith Gasana ; Alex Kanyankoré ; Henri Gapéri. Bukuru Ntwari ; Mucyo Jean de Dieu, Mgr Misago Augustin, le Père Karekezi Dominique, Bahati Innocent et Anne Rwigara ont été sournoisement lynchés si bien que peu de gens soupçonnaient le régime de Kigali dans leur disparition.

2) Un pouvoir judiciaire sous les injonctions

La justice rwandaise n’a jamais libéré une personnalité de l’opposition malgré l’absence de preuves à charge de la part du parquet ; les illustrations sont légion : Pasteur Bizimungu ; Charles Ntakirutinka ; Dr Niyitegeka Théoneste ; Dr Munyakazi Léopold ; Rusesabagina Paul ; Mushaidi Déo ; un certain nombre de journalistes dont les médias étaient jugés dangereux pour le régime ont été reconnus coupables et condamnés à de nombreuses années de prison ; Kizito Mihigo ; Moi Mutunzi ; Dr Kasakure ; Alfred Nsengimana ; Mupende Kalisa, ont été tués dans des établissements pénitentiaires. Me Toy Nzamwita n’a pas été traduit en justice car il a été abattu par la police routière, prétendument par erreur, mais sa résidence avait déjà fait l’objet d’une surveillance policière et ses comptes bancaires ont été perturbés par des agents de renseignement ; c’était alors l’occasion de se débarrasser anonymement de lui.

Naturellement, le cas d’Ingabire Victoire a été jugé suite à un appel téléphonique émanant d’autorités anonymes pour dicter la cour étant donné qu’elle remplissait visiblement toutes les conditions pour bénéficier d’une réhabilitation. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous attendre à une justice équitable de la part des tribunaux rwandais. En effet, au Rwanda, la Haute Cour ; la Cour d’Appel et la Cour Suprême sont composées de juristes non professionnels, indignes de ce nom, nommés sur des bases politiques et qui ne peuvent pas décider en toute équité car ils sont bien payés pour dénaturer les principes de la justice au profit de leur patron, c’est-à-dire du parti dirigeant. C’est dans cette veine qu’ils se ridiculisent en prenant des décisions sans motivation, piétinant toutes les lois pour satisfaire une volonté politique souvent insolite.

3) Un chef d’État sans conseillers dignes

Quand on vous craint, on ne fait que se plier à vos volontés si insolites soient-elles. Si j’étais conseiller du président rwandais, je lui assurerais que la libération d’une personnalité politique comme Ingabire redorerait au contraire son image aux yeux de la communauté internationale et qu’aucun danger ne surgira d’un tel geste car même en se présentant à la présidentielle, elle ne peut pas gagner tant qu’il fera sa campagne en faisant état de ses réalisations et que la commission électorale lui est déjà acquise.

4) Lois adoptées pour réprimer intentionnellement les opposants politiques

Selon la loi Nº 027/2019 du 19/09/2019 portant procédure pénale, le condamné adresse la demande de réhabilitation par écrit à la Haute Cour ou à la Haute Cour Militaire pour les procès rendus par les juridictions militaires. Cette demande précise la date de la condamnation et les lieux où le condamné a résidé depuis sa libération. La juridiction transmet immédiatement le dossier à l’Organe de poursuite judiciaire ou à l’Auditorat militaire qui se prononce sur la moralité du condamné requérant la réhabilitation. L’Organe de poursuite judiciaire doit donner son avis sur la demande endéans trente (30) jours de la réception du dossier. La Haute Cour ou la Haute Cour militaire statue sur la demande dans un (1) mois à compter de la date de l’avis de l’Organe de poursuite judiciaire. Après avoir examiné l’avis de l’Organe de poursuite judiciaire et entendu l’avis de la personne qui a fait la demande, la juridiction peut accepter ou rejeter la demande de réhabilitation. Si le rejet de la première demande a été motive par le non-respect du délai prévu à l’article 246 de la présente loi, la demande ne peut être renouvelée qu’à l’expiration du délai prescrit. Toutefois, en cas de rejet de la demande de réhabilitation pour d’autres motifs, une nouvelle demande ne peut être formulée avant l’expiration d’un délai de deux (2) ans. En prolongeant ostensiblement les délais de recours apparemment sans raison valable, car un retard de justice équivaut à une absence de justice, ces dispositions régissant les procédures en cas de réhabilitation ont été conçues pour aggraver la situation du requérant qui envisageait de faire appel de l’injustice ainsi subie et constituent indubitablement un déni de justice légalisé. 

5)Le Rwanda révèle sa véritable image

« Nous avons de belles lois, parmi les meilleures au monde. Mais on ne leur obéit pas. » Les citoyens ont-ils le droit de s’organiser en différents partis politiques ou autres groupements politiques compétitifs de leur choix, et le système est-il exempt d’obstacles injustifiés à la montée et à la chute de ces partis ou groupements concurrents ? Le Rwanda Governance Board (RGB), contrôlé par le gouvernement, est chargé de l’enregistrement des partis politiques. En pratique, il peut refuser l’enregistrement à sa discrétion sans justification appropriée. Le gouvernement réprime depuis longtemps ses opposants politiques, et les membres des partis d’opposition sont menacés de disparition, d’arrestation et de détention arbitraires, voire d’assassinat. Diane Rwigara, qui cherchait à se présenter à l’élection présidentielle de 2017, a été arrêtée et emprisonnée cette année-là, avec sa mère et sa sœur, pour de multiples chefs d’accusation. Les charges retenues contre sa sœur ont été abandonnées ; Rwigara et sa mère ont été libérées sous caution en 2018 et acquittées plus tard cette année-là. Par ailleurs, plusieurs membres du parti Dalfa-Umurinzi, dirigé par Victoire Ingabire, candidate à la présidentielle de 2010, ont été reconnus coupables en 2020 d’implication dans une « force armée irrégulière » et de « délits contre l’État », à des peines de prison allant de 7 à 10 ans. L’un des accusés acquittés, Venant Abayisenga, a été porté disparu plus tard dans l’année et aurait été victime d’une disparition forcée ou tué. Les électeurs et les candidats sont confrontés à d’importantes intimidations visant à contrôler leurs choix politiques. Les Rwandais vivant à l’extérieur du pays ont été menacés, attaqués, victimes de disparitions forcées ou tués, apparemment en représailles à leur opposition publique ou présumée au régime.

Conclusion : un long chemin vers la liberté

Les pays occidentaux, et notamment les États-Unis, se sont épris du petit Rwanda et soutiennent depuis longtemps son président. Mais il reste un dictateur, certes, car malgré les apparences d’un système démocratique, le tout-puissant Kagame dirige son pays en autocrate et il n’est guère recommandé de lui tenir tête. Mais avec le temps, ses partisans ont dû déchanter. D’abord parce qu’il est prouvé que le Rwanda pille les richesses minières de son voisin congolais et y alimente la violence. Et puis parce que Paul Kagame a une fâcheuse tendance à ordonner l’élimination physique de ses adversaires. Nous sommes conscients des sales coups qu’il trame quotidiennement contre ses détracteurs à travers le monde ; le dernier en date est l’assassinat du petit frère de feu Révocat Karemangingoégalement fusillé par les sbires de Kigali au Mozambique. Qui lui survivra ? le monde devrait prendre conscience de sa cruauté et s’en débarrasser ; sinon, il se révèle être un arbre cachant une forêt dangereusement dense.