Aujourd’hui, je vous présente un érudit, prêtre, journaliste et militant de droit de l’homme au nom d’André Sibomana. Il est né en 1954 à Gitarama, dans le sud du pays. Après son école primaire, élève surdoué il entra au Petit séminaire de Kabgayi et fut ordonné prêtre en 1980 à l’âge de 26 ans. Il apprend le métier de journalisme à l’Institut de la communication de la faculté catholique de Lyon et fut nommé en 1988 rédacteur en chef du très respectueux journal Kinyamateka.
Cet illustre intellectuel joua un rôle très important dans la période charnière de 1990 à 1994. Il dénonça avec véhémence les dérives du pouvoir, les médias de la haine et les violations de droits de l’homme. C’est dans cette période qu’il fonda l’Association rwandaise pour la Défense des droits de la personne et des Libertés publiques (ADL). Il devient plus tard correspondant pour Reporters sans frontières et devient en 1994, lauréat du prix RSF-Fondation de France.
Il échappa au génocide contre les Tutsis en 1994, car plusieurs intellectuels de son calibre de l’ethnie Hutu avait été éliminé car ils avaient dénoncé les injustices. Militant de droit de l’homme un jour, militant de droit de l’homme toujours, après la prise de Kigali par FPR, fidèle à lui-même, il ne s’était pas gêné pour dénoncer ces mêmes violations sous le régime de Kagame. Notamment dans un documentaire canadien “nous nous sentons trahis” où il témoigna des exactions des nouveaux maîtres de Kigali. Il acclama l’emprisonnement des bourreaux génocidaires, mais il dénonça avec énergie l’incarcération des innocents accusés du génocide. Le régime n’était pas du tout content, il devient sa bête noire. Il dérangeait!
Août 1995, la revue Golias de Lyon publie un dossier intitulé « Prêtres et pasteurs qui ont encouragé des assassinats ». Elle fait une liste de noms d’ecclésiastiques qu’elle accuse d’avoir participé/contribué au génocide des tutsis, avec des détails pour certains, mais pour d’autres comme André Sibomana leurs noms sont listés sans autres détails, juste des noms. Pure diffamation selon certains ONG qui soutiennent Sibomana et vérité absolu selon les autres dont Kigali et Golias. À l’époque, l’affaire a connu un grand retentissement dans les milieux des droits de l’Homme. Le prêtre Sibomana fut traqué pendant deux jours caché à Kigali, c’est sous un coup d’appel de Vatican que Kigli pourra se calmer.
Il mourrut très jeune à l’âge de 44 ans le 9 mars 1998 à Gitarama des suites d’une hyperallergie. La maladie qui l’a frappé, dite « syndrome de Lyell », est une maladie tropicale rare et souvent mortelle, mais pas toujours. Reporter sans frontières publie une enquête sur sa mort pour couper court aux rumeurs d’empoisonnement qui circulaient. Plusieurs observateurs disent que la vie du prêtre aurait pu être sauvée s’il avait pu avoir accès aux soins appropriées. Ils reprochent le gouvernement rwandais d’avoir empêcher André Sibomana de sortir du Rwanda pour se faire soigner en Europe. Malgré les démarches d’amis, d’organisation de défense des droits de l’homme pour lui donner un passeport afin d’aller se faire soigner, car le premier était expiré. On le lui refusa quand il était encore temps. Alors que sa mort était imminente, il reçoit son passeport, mais il refusa de quitter le pays car c’était trop tard. Il préfèra mourrir sur sa terre natale. L’église est accusée d’avoir abandonné son prêtre en n’exigeant pas de Kigali de lui donner un passeport quand il était encore possible de le sauver.
De son vivant, le prêtre André Sibomana avait fait une visite au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. Cette visite lui inspira le livre d’entretiens sorti en France sous le titre ‘’Gardons espoir pour le Rwanda (entretiens avec Laure Guilbert et Hervé Deguine, préface de Noël Copin, chez Desclée de Brouwer)’’. On y trouve des passages très profonds comme: « L’incroyable horreur du crime de génocide, c’est qu’on ne vous reproche rien d’autre que d’être né. » Il manifesta son horreur pour les hommes qui tuent « avec jubilation » et témoigna : « Ils n’écrasaient plus des crânes avec la crosse de leur fusil : ils piétinaient la vermine. Tuer un homme est un crime ; éliminer la vermine, une vertu ménagère.
Selon lui, pour que les Rwandais puissent envisager de vivre ensemble à nouveau, les victimes doivent être reconnues dans leur statut de victimes, tout comme les coupables dans leur statut de coupables et les innocents dans leur statut d’innocents. Sans cette reconnaissance, la vérité ne peut éclore ni la justice être rendue. Voilà! Tout était dit, on ne peut qu’être d’accord avec lui. Mais il se désola que cela ne fut pas le cas avec les ratées du système judiciaire.
Sa conclusion est encore frappante avec son message d’espoir:
’’ Nous n’avons pas le droit de renoncer à l’espoir . Nous n’avons pas le droit d’abdiquer de notre condition humaine. Après le drame vécu, la lumière doit être faite sur ce qu’il s’est passé, la vérité doit être recherchée, la justice doit être rendue ; telle est la responsabilité du pays envers tous ceux qui sont morts pour la simple raison… d’être nés, envers les rescapés, envers les innocents, envers toutes les victimes de ce carnage indicible. Le Rwanda doit œuvrer pour que l’avenir ne perpétue pas les divisions et pour que les larmes d’hier ne coulent pas éternellement sur les joues des Rwandais ». Les Rwandais doivent réapprendre à vivre ensemble’’.
Rendons hommage à cet homme exceptionnel que le Rwanda a encore perdu prématurément. Nos héros ne meurent pas, ils s’endorment.
Monseigneur André Sibomana, yubahwe!