Sur initiative de Cyriaque Mbonankira et Jean Baptiste Murenzi, une journée d’hommage à Joseph Matata a été organisée à Bruxelles le 01/03/2014 dans l’après- midi. Plus ou moins 150 personnes avaient répondu à l’invitation.
Dans le public, on pouvait y apercevoir les représentants de la société civile dont Noél Twagiramungu venu tout droit des USA, Jean Marie Vianney Ndagijimna (France) mais également Jean de Dieu Dusingizimana de la Communauté Rwandaise de Belgique (CORWABEL) et Primitiva Mukarwego du Réseau International des Femmes pour la Démocratie et la Paix.
Les partis politiques étaient également représentés : Madeleine Bicamumpaka pour les FDU, Benoît Ndagijimana pour le CNCD du général Habyarimana, Bonaventure Uwanyiligira pour le MRP, Ildephonse Munyeshyaka pour l’ODR, Abbé Thomas Nahimana pour Ishema Party. Faustin Twagiramungu pour RDI, Dr Paulin Murayi pour UDR et Jean Baptiste Ryumugabe pour Ps-Imberakuri sont arrivés bien après car ils venaient d’une réunion instituant la nouvelle coalition : CPC (Coalition des Partis Politiques Rwandais pour le Changement).
Après des présentations d’usage, le mot du jour a été donné à Joseph Matata qui a détaillé son combat pour la défense des droits de l’homme, combat qu’il mène depuis plus de 20 ans. Ses secrets qui lui permettent de rester inusable : vaincre la peur, avoir la détermination, développer la force intérieure, avoir la confiance en soi, … Pour illustrer son propos, il a donné des exemples tirés du livre d’Emile Coué (La méthode Coué) et de Lilian Thuram (Mes étoiles noires).
Joseph Matata a préconisé la création d’un Conseil national de résistance pacifique, mais également une journée de lutte contre la culture de la violence, du mensonge, de l’intrigue, d’autres vices relevés dans notre communauté, etc.
Les orateurs qui se sont succédés sur le podium ont loué les efforts que ne cesse de déployer Joseph Matata pour défendre les opprimés malgré ses multiples occupations (il a été notamment dit qu’il travaille comme aide-soignant à temps plein). Il fait tout cela bénévolement et avec ses maigres moyens. Pour lui donner un coup de pouce, des enveloppes ont été distribuées dans la salle pour une collecte de fonds destinés à l’aider dans son travail de défense des droits de l’homme.
Il sied de souligner que Joseph Matata est un des hommes qui ont influencé les événements politiques du Rwanda par son engagement pour les droits de l’homme. Il a fustigé les dérives du régime Habyarimana et n’a pas non plus lésiné sur les moyens pour dénoncer les crimes du FPR qui venait de prendre le pouvoir depuis juillet 1994.
Dans les nombreuses interventions du public, le problème des partis politiques rwandais à l’étranger s’est invité dans la cérémonie et a pris le gros du temps des orateurs : plus d’un s’est inquiété de leur multiplication, de leur inefficacité, de leur incapacité à s’unir pour parler d’une seule voix devant la dictature du président Paul Kagame, etc. Certains ont même préconisé leur dissolution pour laisser la société élaborer une Charte qui devrait guider la nouvelle opposition rwandaise.
Joseph Matata : l’homme et l’œuvre
Joseph Matata est né le 13/09/1952 à Kigali-Rwanda. Après ses humanités au Collège Saint-André et au Collège officiel de Kigali (1996-1973), il a été engagé à la Banque nationale du Rwanda (BNR) où il a travaillé de 1973-1983. Il adhéra à l’Association rwandaise pour la défense des droits de l’Homme (ARDHO) fondée le 30 septembre 1990, soit un jour avant le déclenchement de la guerre du Front patriotique rwandais (FPR). Par son travail de surveillance, d’intervention, d’interpellation, de promotion et de défense des droits humains, cette association contribua à dénoncer voire à empêcher plusieurs dérives auxquelles se livraient les deux belligérants.
Mis en prison au mois d’octobre 1990 pour « complicité avec le FPR » qui venait d’attaquer le pays, Matata en sortira quelques mois plus tard, décidé à se consacrer davantage à la lutte pour les droits de l’homme. Elu secrétaire permanent de l’ARDHO, il ouvrit, en septembre 1991, le premier bureau de cette association avec ses propres fonds car celle-ci n’avait pas encore de bailleurs de fonds.
Tout au long de l’année 1991, l’ARDHO multiplia les déclarations appelant à l’unité et à la concorde nationale, au dialogue entre les Rwandais de l’intérieur et de l’extérieur, à l’arrêt immédiat des hostilités et de la guerre.
Dans la suite, l’association se pencha sur le sort des détenus arrêtés comme « complices du FPR » en octobre 1990. Son travail fut facilité par le fait qu’Alphonse Marie Nkubito était procureur général près la Cour d’appel de Kigali. L’ARDHO publia plusieurs articles dans les journaux locaux pour dénoncer les graves et massives violations des droits humains, pour les promouvoir et les défendre.
Grâce à l’activité de J. Matata, l’ARDHO mena, en 1992, plusieurs actions. Il sillonna tout le pays en faisant des enquêtes sur les crimes et assassinats politiques, sur des affrontements et autres violences interethniques et partisanes. Il visita plusieurs prisons et cachots pour réclamer la libération des personnes arrêtées le plus souvent arbitrairement et illégalement suite au contexte de guerre et au climat de terreur qui s’était installé dans tout le pays depuis 1990.
C’est à partir de juin 1991 que le multipartisme réveilla le milieu rural et incita la plupart des paysans à s’informer sur leurs droits et devoirs et à prendre l’habitude de dénoncer les exactions et abus dont ils étaient victimes. J. Matata participa à la formation en droits humains de plusieurs responsables des coopératives paysannes.
En 1992, quatre associations des droits humains, à savoir : l’Association rwandaise des droits de la personne et des libertés publiques (ADL), l’Association rwandaise pour la défense des droits de l’Homme (ARDHO), l’Association des volontaires de la paix (AVP) et la Ligue rwandaise pour la promotion des droits de l’Homme (LIPRODHOR) décidèrent de se rassembler dans un « collectif des ligues et associations des droits de l’homme au Rwanda », CLADHO.
Les premières actions communes, dans le cadre du CLADHO, furent les déclarations sur les massacres du Bugesera et ceux de Gisenyi et Kibuye. Joseph Matata participa à la totalité de ces enquêtes réalisées dans ces régions entre 1991 et 1992.
Début juillet 1992, Joseph Matata participa, avec le président de l’ARDHO, Alphonse Marie Nkubito, à l’assemblée constitutive de l’Union interafricaine des droits de l’Homme (UIDH) à Ouagadougou, au Burkina Faso.
En juillet 1994, le FPR gagna la guerre et prit le pouvoir au Rwanda. Du 15 août au 10 décembre 1994, Joseph Matata fit partie de la commission d’enquête CLADHO-Kanyarwanda sur le génocide dans les trois communes de la préfecture de la ville de Kigali (PVK), la capitale rwandaise. Le rapport de cette enquête fut faussé par certains membres de la commission qui ont vendu la mèche au nouveau régime du FPR en échange de postes juteux. Joseph Matata enquêta également sur les crimes de génocide commis par les militaires du FPR. Après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinat, Joseph Matata fut obligé de s’exiler en Belgique depuis le 27 février 1995 où il continue ses activités de défenseur des droits humains en tant que coordinateur du Centre de lutte contre l’impunité et l’injustice au Rwanda (CLIIR).
Depuis sa création le 18 août 1995, le CLIIR a publié plus 150 communiqués, plusieurs mémos et dossiers sur les graves et massives violations des droits qui se commettent au Rwanda et son fondateur, Joseph Matata, a participé à la production de deux films documentaires qui retracent son travail de militant des droits humains sur le terrain au Rwanda et en Belgique : « Maudits soient les yeux fermés » (septembre 1995) produits par Françoise Saulnier de Médecins Sans Frontières-France et Frédéric Laffont, réalisateur et producteur de films documentaires à travers le monde ; .« Chronique d’un génocide annoncé » (novembre 1996), un film documentaire produit par les canadiens Yvan Patry et son épouse Danielle Lacourse d’Alter Cine. Ce film a été censuré parce qu’il fut le premier à documenter les crimes commis par les militaires du Front patriotique rwandais (FPR) notamment les sites crématoires où étaient brûlés les cadavres des Hutu.
Joseph Matata fut le premier enquêteur à découvrir, en novembre 1994, l’existence des « syndicats de délateurs » créés par le régime du FPR au Rwanda, qui lui permettent d’emprisonner arbitrairement des dizaines de milliers de personnes innocentes, notamment depuis la mise en place des tribunaux semi-populaires Gacaca.
Ses témoignages sont souvent sollicités dans l’examen des demandes d’asile des réfugiés rwandais et dans des procès ayant trait au génocide rwandais. C’est ainsi qu’il fut invité comme témoin de contexte par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha, dans le procès de Jean Paul Akayesu en février 1998. Il a également été entendu en vidéoconférence, à partir de La Haye (Hollande), dans le procès du colonel Tharcisse Renzaho en juillet 2007. Il a, en outre, témoigné dans les procès d’assises de Bruxelles : le 23 avril 2001 dans le procès des quatre de Butare : Alphonse Higaniro, Vincent Ntezimana, Consolata Mukangango (Sœur Gertrude) et Julienne Mukabutera (Sœur Kizito), le 15 juin 2005 dans le procès des deux commerçants de Kibungo : Etienne Nzabonimana et Samuel Ndashyikirwa, le 25 avril 2007 dans le procès du major Bernard Ntuyahaga accusé d’être impliqué dans l’assassinat des 10 casques bleus belges et d’un nombre indéfini d’assassinats et le 10 novembre 2009, dans le procès d’Ephrem Nkezabera, un ancien dirigeant des milices Interahamwe.
En juillet 2005 et en juin 2009, il a été entendu respectivement par le Tribunal de l’Immigration de l’Etat du Minnesota aux USA, et par celui de Montréal au Canada dans des dossiers de demandes d’asile des réfugiés rwandais.
Gaspard Musabyimana
02/03/2014