Comprendre la croissance d’une économie de guerre pendant 30 ans

Vient de paraître, aux Editions du Panthéon à Paris-France, « RWANDA – Comprendre la croissance d’une économie de guerre pendant 30 ans », un livre du Dr Augustin Ngirabatware. Pour votre commande, adressez un message à [email protected].

Les chiffres de performance de l’économie rwandaise au cours des trois dernières décennies démontrant une croissance exceptionnelle du PIB réel sont remarquables. Ils sont attractifs pour les économistes parce qu’ils s’appliquent à un pays qui a été perpétuellement en guerre, soit à l’intérieur de son territoire ou à l’étranger, directement ou en utilisant des groupes armés créés par lui-même, soit en préparation permanente de guerre contre l’un ou l’autre voisin. Le papier examine l’exactitude de ces chiffres, établit les rapports entre les composantes du PIB et se pose la question de savoir pourquoi, malgré une telle croissance, le Rwanda reste un pays marqué par la pauvreté et les inégalités sociales.

L’auteur, ancien président du comité ministériel du Programme d’Ajustement Structurel, se penche d’abord sur l’économie rwandaise pendant la guerre de 1990-1994, explique comment le Rwanda n’a pas réussi à mettre en œuvre les politiques économiques convenues avec le FMI et la Banque Mondiale et n’est parvenu à maintenir viables que très peu d’agrégats macroéconomiques tel que le taux d’inflation. Le développement des zones rurales qui était le centre d’intérêt des autorités rwandaises a été entravé par les exigences économiques du conflit. Les dépenses militaires d’une moyenne de moins de 10% dans les années quatre-vingt ont bondi à 36,7% des dépenses publiques totales en 1991.

L’assistance humanitaire à une très grande partie de la population de déplacés de guerre de Byumba et de Ruhengeri a constitué également un grand défi.

L’économie rwandaise d’avant 1994 et des années qui ont suivi est étudiée mais les terribles événements de 1994 ne constituent pas un sujet approprié pour cette étude. La guerre, le génocide et l’exode massif de personnes vers les pays voisins ont laissé le pays dans un état de traumatisme, d’effondrement et de ruine presque totale. Des centaines de milliers de Tutsi et de Hutu ont péri pendant la guerre et le génocide de 1994 et dans les années qui ont suivi.

Les premières statistiques disponibles remontent à 1995 et l’auteur traite de la période 1995-2019.

L’étude est basée sur les chiffres publiés par les autorités rwandaises et les institutions internationales et met un accent particulier sur les taux de croissance des composantes du PIB et sur les rapports entre elles. ‘Vision 2020’, le nom de la politique socio-économique mise en œuvre entre 2000 et 2019 est visitée. Des écarts dans les indicateurs économiques sont constatés. Par exemple, certaines données de la balance des paiements publiée par la banque centrale sont différentes de celles émises par d’autres institutions nationales ou internationales. Bien entendu, les écarts de ce genre ne sont pas propres au Rwanda ; ils sont universellement rencontrés par les économistes. Ils surviennent en raison de différents paramètres, dates et ajustements réguliers qui sont effectués. Mais ceci est tout à fait distinct de l’accusation émise contre le gouvernement rwandais de manipuler (« guteknika ») les données économiques relatives à la réduction de la pauvreté. Cet aspect n’aurait pas été connu s’il n’avait pas été révélé par l’Oxford Policy Management, un partenaire de longue date de l’Institut National de la Statistique du Rwanda, et un ancien conseiller économique du Président Kagame qui a mis en exergue les manipulations des données économiques respectivement en 2015 et 2016.

Malgré ces révélations, l’auteur a continué à s’appuyer sur les chiffres affichés par les autorités rwandaises, la priorité étant donnée à celles de l’Institut National des Statistiques du Rwanda et du ministère des Finances et de la Planification Economique. En fait, comme l’a affirmé le FMI, l’auteur a constaté que la collecte de données économiques au Rwanda est actuellement l’une des meilleures en Afrique subsaharienne.

Les facteurs de croissance du PIB ont été du plus grand intérêt de l’étude. La conclusion est que l’un des facteurs déterminants est la capacité personnelle du Président de la République à maîtriser les ‘metrics’ de l’aide publique au développement des bailleurs de fonds importants. C’est le gain que le Président Kagame appelle lui-même en empruntant un langage coloré dans une vidéo « accès à la Table d’honneur ». A cette fin, il a cherché depuis le début à se procurer les services de célèbres professionnels de relations publiques de quelques pays occidentaux. Des dons budgétaires très importants de l’étranger ont été octroyés et ils ont joué un rôle déterminant dans les taux de croissance élevés du PIB. Néanmoins, l’auteur pense que les résultats obtenus auraient pu être plus élevés en termes de développement humain si ces aides extérieures avaient été orientées autrement.

Les recettes fiscales ont été également un facteur déterminant de la croissance du PIB, avec des ratios aux dépenses et au PIB de plus en plus élevés. Il y a 49 pays dans le monde qui perçoivent moins de 13% de leur PIB sous forme de recettes fiscales et 20 d’entre eux se trouvent en Afrique subsaharienne. Le Rwanda ne fait pas partie de ces 20. L’auteur soupçonne que le Rwanda a pu atteindre de bons ratios grâce à l’approfondissement de la digitalisation de l’administration fiscale, notamment avec l’aide de l’agence britannique de coopération au développement (DIFD). En effet, alors que le ratio recettes fiscales/PIB n’était que d’environ 11,2% en 2003-2005, il a constamment augmenté jusqu’à environ 17,2% en 2018-2019. Mais il reste faible car il dépend essentiellement des impôts sur les bénéfices et des impôts sur les biens et services, bien qu’il existe un moyen d’élargir l’assiette des contribuables éligibles en incluant de plus en plus les grandes entreprises. La politique économique consistant à accorder d’importants volumes d’exonérations fiscales aux entreprises appartenant au FPR ou à ses partenaires est un défi majeur pour l’économie rwandaise.

Une autre conclusion principale à laquelle l’étude a abouti est une sorte de révolution intersectorielle qui a conduit à ce que le secteur agricole soit négligé en termes d’investissements publics, d’investissements privés et d’investissements directs étrangers. Pendant deux décennies, la part du PIB de l’agriculture, des forêts et de la pêche a varié entre 38,6% en 2004 (maximum) et 28,0% en 2018/2019 (minimum) tandis que la part de l’industrie variait entre 12,6% en 2000 (minimum) et 17,2% en 2019 (maximum). Les sous-secteurs dominants ont été l’industrie manufacturière (entre 7.5% et 5.9%), la construction (de 4.4% à 7.5% du PIB) et les mines et carrières qui a connu la plus forte croissance (de 0.2% du PIB en 2000 et 2.5% en 2019) suggérant par là un pillage « systémique systématique » des minerais de la RDC. Le secteur des services affiche la même tendance que l’industrie dont fait partie la construction et les minerais. Le problème est que les investissements destinés aux sous-secteurs des services sont plus risqués et ne sont pas générateurs d’emplois. De plus, on ne peut pas prétendre réduire la pauvreté dans un pays où les zones rurales sont négligées.

Le statut de Crystal Ventures, classée comme entreprise du secteur privé alors qu’il s’agit d’un conglomérat d’entreprises appartenant dans sa totalité au FPR, est un grand problème lorsqu’un analyste veut étudier la contribution du secteur privé à cette croissance économique. Crystal Ventures est de facto une société parapublique parmi d’autres.

Diverses entreprises parapubliques ont été vendues en tout ou en partie au secteur privé depuis les années 90. Le gouvernement a vendu des entreprises viables et non viables à vil prix en plus de presque tous les actifs laissés par des particuliers (essentiellement les réfugiés) ; les recettes collectées a constitué l’apport en capital des nouvelles entreprises. Tout cela a démarré les activités du secteur privé au Rwanda à travers le conglomérat Tristar converti par la suite en Crystal Ventures.

L’auteur a examiné la dimension humaine de la croissance de l’économie rwandaise et a constaté que certains indicateurs sont faibles comparativement aux subventions reçues et par rapport à d’autres pays d’Afrique Subsaharienne. Dans le cadre de l’analyse du lien entre la croissance et le développement humain, l’auteur s’est intéressé également aux subventions octroyées à FARG (Fonds d’Aide aux Rescapés du Génocide), l’équivalent de 5% des dépenses publiques totales pendant près de trois décennies. Il constate que ce choix budgétaire du FPR est un investissement en capital humain (60% des fonds vont à l’éducation) hautement discriminatoire qui ne se justifie ni économiquement, ni socialement, et va dans le sens inverse de la réconciliation nationale.

EdA Press