Génocide au Rwanda en 1994, le seul qui serait nié par ses rescapés

Par Alice Mutikeys

Le 31 janvier 2021 Madame Idamange Iryamugwiza Yvonne a pris la parole pour exprimer le mécontentement que beaucoup de Rwandais ont en ce moment. Depuis mars 2020 sous couvert de lutter contre la pandémie covid-19 le gouvernement rwandais a pris des mesures qui ne prennent pas en compte leur réalité.

Dans sa vidéo postée sur YouTube, elle a entre autres évoqué le fait que le régime dictatorial de Paul Kagame et son FPR (Front Patriotique Rwandais) instrumentalise le génocide alors sans aider vraiment les rescapes du génocide. Cette simple prise de parole lui a valu d’être qualifiée de « négationniste » d’un génocide qui a emporté les siens et dont elle est rescapée.

Pour en savoir plus sur Madame Idamange Iryamugwiza Yvonne : « Une Rosa Parks au Rwanda »

C’est le secrétaire exécutif de la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, une institution au service de l’idéologie de la haine Hutue-Tutsie prônée par le FPR et qui vivait en France au moment du génocide qui a pris la parole pour dire que Madame Iryamugwiza a nié le génocide. Selon lui elle nie le génocide : « Lorsqu’elle est dit que le Coronavirus est devenu un instrument que les autorités l’ utilisent comme l’a été le génocide perpétré contre les Tutsi et lorsqu’elle a ajouté que les os exposés aux mémoriaux du génocide sont un fond de commerce qui permettent aux autorités d’engranger les devises alors que les rescapés vivent une vie de misère ».[1]

Le Dr Bizimana a l’habitude de confondre sa mission, lutter contre la propagation de l’idéologie du génocide, avec le fait de défendre la ligne du régime du FPR. C’est ce qu’il a fait lorsqu’il a ajouté que : « Le Coronavirus n’est pas un instrument que les autorités utilisent, ce sont les mots utilisés depuis que l’on [le FPR] a mis fin au génocide par les négationnistes du génocide perpétré contre les Tutsi…chaque personne qui veut dévaloriser le génocide avance que le génocide est devenu un instrument ».

Il faut savoir que le régime rwandais a encaissé en 2020 les dons d’un montant de 8 millions de dollars (USA) et de 52 millions d’euros (UE) pour venir en aide à la population et à ce jour les Rwandais sont épuisés car ils ne peuvent plus faire face aux mesures que le gouvernement leur impose (fermeture des écoles, couvre-feu, confinement…) qui ont un impact sur leur niveau de vie (parfois de survie). De plus dans la culture rwandaise les morts sont enterrés et de ce fait l’exposition des os des victimes du génocide aux mémoriaux est une couleuvre qui n’a pas été avalée par de nombreux Rwandais.

Madame Idamange a répondu aux accusations du CNLG en rappelant entre autres que Aimable Karasira, Kizito Mihigo et elle-même n’ont pas appris la réalité du génocide dans l’Histoire, dans les livres, à la télévision ou lors des procès Agacaca mais qu’ils ont bel et bien et malheureusement vécu ce génocide avec tout ce que cela implique et qu’ils l’ont survécu. Elle a été directe en leur disant qu’« à part les fanatiques du régime, personne ne peut comprendre qu’un rescapé nie un génocide dont il a survécu, si vous ne faites pas attention le monde entier va finir par prendre ce génocide comme un jouet ». Elle leur a imploré de chercher un autre qualificatif pour museler leur parole.

Le génocide est aujourd’hui devenu une propriété privée de ceux qui prônent l’idéologie suprématiste, qui ont complètement dénaturé sa réalité. Le monde entier leur a laissé faire lorsque la qualification de ce génocide a exclu toutes les victimes de ce génocide appartenant au groupe hutu, le monde entier a laissé faire lorsque les rescapés de ce génocide qui vivent à l’exil ont été qualifié des « faux resapées – Fake survivors » et voici que les rescapés de ce génocide qui sont au Rwanda sont à leur tour visés. Ils sont devenus négationnistes tout simplement parce qu’ils ont osé prendre contre la politique du gouvernement.

En effet nier le génocide n’est pas nier que ce génocide a malheureusement eu lieu, que ce génocide bien que sa planification n’ait pas été établi par le TPIR a été préparé (notamment l’établissement des listes), ce n’est pas nier que des personnes ont été tuées parce qu’elles appartenaient au groupe Tutsi, nier le génocide au Rwanda en 1994 c’est dire que l’on a survécu à ce génocide et ne pas marcher dans la ligne idéologique du Front Patriotique Rwandais.

Selon l’expert universitaire et activiste Gregory H. Stanton qui a développé les 10 étapes du processus d’un génocide, la 10ème et dernière étape est le « Déni » qu’il a défini comme : « Négation par les auteurs d’un génocide d’avoir commis des crimes. Blâme souvent rejeté sur les victimes. Dissimulation de preuves et intimidation de témoins.». 

Après avoir envoyé des techniciens sur des barrières pour aider les Interahamwe à exécuter le génocide, Le Front Patriotique Rwandais participe aussi au déni : intégration des génocidaires dans son régime (Rwarakabije et autres), la persécution des victimes et leur intimidation : L’assassinat de Kizito Mihigo et de nombreux autres, intimidation de madame Idamange Iryamugwiza Yvonne et l’opprobre qui est souvent jeté à toutes les personnes qui sont qualifiés des « faux rescapés ».

Comme Kizito Mihigo l’a chanté, un vieux proverbe rwandais dit « Hataka nyirubukozwemo, naho nyiributeruranwenakebo akinumira » « Celui qui a perdu quelque chose crie incessamment au secours. Mais celui qui a tout perdu se tait ». Il évoquait le silence des rescapés après le génocide. Maintenant qu’ils sont de plus en plus nombreux à sortir de leur silence que va faire le FPR ?


[1] https://igihe.com/amakuru/u-rwanda/article/umugabo-wa-idamange-wumvikanye-mu-mvugo-zipfobya-jenoside-yitandukanyije-na-we