Par The Rwandan Lawyer
Agathe Kanziga, la veuve de Juvénal Habyarimana a quitté Kigali juste après le crash du falcon qui emmenait son mari de Dar es Salam à Kigali et son équipage. Son adresse est connue en France de sorte que le parquet n’a pas besoin de la traquer mais son procès est retardé depuis des décennies dans la mesure où les différents recours qu’elle a souvent interjeté sont soit rejetés, soit admis. La récente décision de la cour d’appel laisse entendre que le tribunal entend la juger un jour, mais on se demande quand après plus de deux décennies d’attente stressante. La présente analyse entend évaluer les enjeux et perspectives entourant le dossier de cette ancienne première dame du Rwanda.
La cour d’appel de Paris a rejeté lundi une demande d’appel de la veuve de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana visant à mettre fin à une enquête sur les allégations selon lesquelles elle aurait joué un rôle dans le génocide de 1994. Agathe Habyarimana fait l’objet d’une enquête depuis 2007 pour « complicité de génocide et de crimes contre l’humanité. Elle est soupçonnée d’être l’un des commanditaires du génocide qui a coûté la vie à plus de 800 000 Tutsis en 1994. Agathe Kanziga, veuve de Juvénal Habyarimana, le président hutu dont l’assassinat le 6 avril 1994 fut déclencheur des massacres contre la minorité tutsi, est visée depuis 2008 par une enquête en France sur son rôle pendant le génocide, initiée par une plainte du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR). En 2016, elle a été placée sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre un témoin et un accusé, et n’a pas été interrogée depuis. Aujourd’hui âgée de 78 ans, elle a fait appel de l’enquête et a demandé aux juges de rejeter les investigations. Ils ont rejeté sa demande en novembre, arguant que l’enquête était « en cours ». Elle a alors fait appel. « C’est une affaire dans laquelle il n’y a pas eu de nouvelles informations depuis cinq ans et plus depuis sa demande de non-lieu l’année dernière », a déclaré Meilhac, son avocat-conseil. « C’est une situation déplorable car elle bloque toute possibilité de régulariser sa situation administrative. Agathe Habyarimana, qui vit en France depuis 1998, n’a pas de statut juridique car la France a refusé de l’extrader vers le Rwanda en 2011, mais ne lui a pas accordé l’asile en raison de soupçons sur le rôle qu’elle aurait pu jouer dans l’une des pires tragédies du 20e siècle. Elle est souvent présentée comme l’un des chefs de file de l’« Akazu », le cercle restreint du pouvoir hutu qui, selon ses accusateurs, a planifié et orchestré le génocide.
Le récent rejet de la demande d’appel par la veuve de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana pousserait les analystes juridiques et politiques à plusieurs scénarios autour de ce vieux dossier.
Une main politique cachée
En ces jours où les relations franco-rwandaises vont bon train, il était inconcevable que le juge vienne gâcher la fête en déclarant totalement innocent un suspect recherché par le Rwanda. D’ailleurs parmi les promesses que le président français a faites à son homologue rwandais figurent le dossier judiciaire et une série de personnalités indésirables de la part de Kigali y résident pour faciliter la tâche. La France étant championne de la démocratie, la perturbation des opposants politiques rwandais serait mal vu mais la manœuvre consistant à fabriquer des crimes et exiger l’extradition du suspect est une pratique cynique à laquelle les autorités rwandaises ont souvent recouru sans vergogne. Le cas récent de l’ambassadeur Gasana Eugene Richard qui a fait l’objet d’une notice rouge à Interpol pour des crimes de viol et de harcèlement sexuel manifestement fabriqués pour des raisons politiques alors qu’il les aurait commis deux à trois ans avant son limogeage en 2016 lorsqu’il a osé s’opposer aux candidatures monarchiques et illimitées que briguait Paul Kagame à la présidence du Rwanda. Heureusement, les avocats de cette organisation ont découvert le piège juridique et ont rejeté la demande rwandaise. Parmi les nombreux hommes politiques rwandais qui résident sur le sol français se trouvent le père Munyeshyaka Wenceslas ancien curé de la paroisse sainte famille de la ville de Kigali ; le père Nahimana Thomas du diocèse de Cyangugu qui a aggravé son cas en se vantant d’être le président rwandais en exil ; le magnat Félicien Kabuga a déjà été arrêté malgré son âge avancé ; le père Marcel Twagirayezu a déjà payé le prix de cette politique; la liste est longue.
Aut dedere aut judicare
Diverses raisons peuvent empêcher les États sur le territoire desquels se trouve un criminel de l’extrader vers l’État où le crime a été commis ou vers tout autre État disposé à poursuivre l’affaire. Le suspect est susceptible d’échapper aux poursuites et de jouir de l’impunité si les autorités de l’État de détention ne sont pas tenues d’engager des poursuites contre lui. L’obligation d’extrader ou de poursuivre, désormais traditionnellement décrite par l’expression latine aut dedere aut judicare, est l’un des moyens de coopération primordiaux conçus par les États pour contrer ce phénomène et, en particulier, priver les criminels de tout refuge. Cette obligation est classiquement comprise comme imposant à l’Etat de détention de poursuivre le suspect en cas de non-extradition. Même si les jugements rendus au Rwanda déclenchent souvent des remous dans les relations diplomatiques avec les pays occidentaux craignant leur respect d’ un procès équitable et autres garanties de la bonne administration de la justice; étant donné les services que l’armée rwandaise rend au Mozambique pour sauvegarder les intérêts financiers de la France où le géant TOTAL extrait du pétrole et du gaz dans les régions occupées par les djihadistes, les autorités rwandaises peuvent oser revendiquer l’applicabilité de ce principe après avoir inventé crimes contre un bon nombre d’opposants politiques. Dans le cadre de la lutte contre l’impunité des crimes et en prétendant que les juges français n’ont pas respecté le principe du délai raisonnable de la justice en retardant le jugement au fond, ils peuvent demander l’extradition de l’ex-première dame et d’autres hommes politiques contre lesquels ils auront fabriqueront des crimes graves.
La qualification de cerveau du génocide
Même si le rôle supposé d’Agathe Kanziga dans la planification du génocide a été médiatisé par le FPR dans le monde, l’accusation trouvera difficilement des preuves établissant sa part précise dans la planification présumée du génocide étant donné qu’elle n’a jamais exprimé son opinion vis-à-vis des Tutsis ; certains de ses frères membres présumés de l’Akazu ne sont pas poursuivis ou ont été acquittés par la justice internationale notamment le célèbre Zigiranyirazo Protais alias ZED ancien puissant gouverneur de Ruhengeri qui a été innocenté des crimes pour lesquels il a été poursuivi et jugé par le TPIR.
A y voir clair, la situation politique et diplomatique entre le pays et la France a souvent influencé les procès en cours. Ainsi, lorsque le juge Louis Bruguière a émis des mandats d’arrêt internationaux contre des responsables rwandais soupçonnés d’avoir descendu l’avion présidentiel tuant des ressortissants français qui voyageaient avec les présidents rwandais et burundais, le torchon brûlait entre les deux pays ; mais pour maintenir les bonnes relations alors que la diplomatie bilatérale s’améliorait notamment avec le soutien français de la candidature rwandaise à la tête de la Francophonie, les juges d’instruction qui se sont rendus sur le terrain ont renversé la situation et ont fait basculer la responsabilité du côté des anciennes Forces Armées Rwandaises même si les missiles Sam 16 provenaient de l’arsenal de l’état-major de l’armée ougandaise !