Rwanda – Ouganda : musculations diplomatiques avant pugilat inévitable ?

Il s’appelait Jean Baptiste Kyerengye et, avec sa moto et à sa manière, il faisait face aux conséquences de la fermeture du poste frontalier de Gatuna par le Rwanda. Il faisait, assure-t-on, du commerce transfrontalier ; il finira malheureusement dans un cercueil, des balles logées dans sa tête par l’armée rwandaise dont le gouvernement recommande à ses ressortissants de ne plus se rendre en Ouganda. La crise entre ce pays et son voisin du sud ne montrant pas vraiment des signes d’extinction, les paysans qui habitent la zone frontalière tirent, tous les jours, la queue du diable pour s’adapter à cette donne ô combien déconcertante. L’opinion ne saura peut-être jamais toute la vérité sur les circonstances exactes de la mort de ce jeune de 25 ans, mais d’ores et déjà la peur d’une escalade est réellement perceptible dans la sous-région.

Changement d’approche. A la suite des protestations d’usage formulées par la diplomatie ougandaise par rapport à la violation de son territoire (Kyerenge serait tombé à Kamwezi, sur le sol ougandais), il est apparu la confirmation d’un changement de méthode dans le traitement de cette crise. Tout d’abord et contrairement au mutisme observé jusque-là sur le dossier rwandais, Sam Kutesa le ministre ougandais en charge des relations extérieures a convié les diplomates en poste à Kampala dans ce qui fut une « conférence d’accusation ». « A number of Rwandan security operatives have been entering Uganda without following laid down procedures governing the entry of security personnel into the country », s’indignera le diplomate. Presqu’une semaine plus tard, ce sont ensuite les ambassadeurs de 5 pays du conseil de sécurité de l’Onu (plus le Kenya, le Burundi et le Soudan du Sud) qui seront invités à être témoins de la restitution des restes de l’infortuné JB Kyerengye. Il y a enfin cette phrase-mise en garde du président Museveni à Mukono (centre de l’Ouganda) : « Once we mobilize, you can’t survive ».

Connecting dots. Lorsque Kagame et Museveni se retrouvent le 27 mai 2019 à Prétoria pour la prestation de serment de leur pair sud-africain, beaucoup d’observateurs ont un instant cru que les deux ex-amis allaient mettre à profit cette occasion pour amorcer une détente dans leurs relations bilatérales. Par le passé, les deux leaders s’étaient échangé des vaches en guise de réconciliation suite à un autre bisbrouille. Il semble que cette fois-ci certains démons enterrés quelque part entre Kisangani, Kigali et Kampala sont en train de ressurgir en poussant les frères d’armes d’hier dans des retranchements irrémédiablement opposés. Patrick Smith, l’éditeur de The Africa Report qui a récemment interviewé les deux reste convaincu qu’il s’agit d’un problème de positionnement (For Uganda’s President Yoweri Museveni, the recent clashes with Rwanda is small beer. The real prize, some believe, is political and economic influence in the DRC, across the border). C’est exactement ce que Bernard Leloup  décrivait comme un « déséquilibre de rang » aux dépens du Rwanda.

Alors, imitant le Rwanda dans sa démarche prendre à témoin la communauté internationale, est-ce que l’Ouganda préparerait l’opinion tout en se s’apprêtant enfin à crever l’abcès avant une remise à plat ? En prenant, dès février déjà, l’initiative dans cette crise, est-ce que le Rwanda envisageait de « tuer le père » pour enfin acquérir son indépendance et ce, d’une façon définitive ? Le site web eyalama.com révèle qu’au mois de mars 2018, lorsque Kigali organise le sommet de l’Union africaine, bien de chefs d’état ne font pas le déplacement ; parmi eux Yoweri Museveni. Ce dernier avait, semble-t-il, eu vent d’un complot contre son avion. Estimant alors ses services moins prêts pour une confrontation, Museveni aurait joué l’horloge pour affiner sa réplique. On le verra ensuite faire une tournée-inspection des garnisons de son pays. En cette fin mai, le même site web titre : « Museveni approves army proposal to use force against Kagame as his top 3 generals conduct secret meeting on how to handle escalating tension »… Sensationnalisme de journaliste ou exclusivité d’un initié ayant accès aux secrets des dieux ?Et si les deux pays se trouvaient à la veille d’une autre aventure fratricide après des années de je t’aime, moi non plus ? 

Pierre Rugero, écrivain