Par Ariane Mukundente
Il s’appelle Frère Bernard Heylen, né à Bougerhout, Anvers en Belgique, le 18 Avril 1939. Il entra dans la congrégation des Frères de la Charité et prononça ses vœux le 2 Février 1958. Il fait ses études en enseignement et en sciences. Mesdames et Messieurs, pour ce vendredi de gratitude, je vous présente ce grand monument du Groupe scolaire de Butare et de la ville de Butare en général. Ville d’intellectuels par excellence, c’est le Groupe scolaire de Butare du Frère Bernard qui lui donnait cette réputation et cette source de fierté.
Frère Bernard était un éducateur hors pair, passionné par l’enseignement des mathématiques et des sciences, qui aimait ses étudiants et ces derniers le lui rendaient très bien. Il a enseigné à l’École normale de Gitega au Burundi, au Groupe scolaire de Butare au Rwanda et à l’Institut technique Fundi Maendeleo à Bukave au Congo. Tout ce qu’il fit, il le fit en démontrant un souci constant de perfection durant ses 46 ans de vie active. Il a été un bon enseignant, un bon directeur, un bon éducateur, un bon Supérieur et un bon Frère et Conseiller Général pour sa congrégation. Cette excellence, il l’exigeait également de ses étudiants. Tous les élèves qui ont étudié au Groupe scolaire ont éprouvé une certaine fierté d’y avoir reçu leur formation. C’est comme s’ils avaient accompli quelque chose de spécial que les autres n’ont pas eu la chance d’approcher. Cette fierté leur vient de cette attitude que Frère Bernard inspirait à ses étudiants, une attitude noble mais sans prétention : vous êtes les meilleurs, ne l’oubliez pas. Ils avaient un nom, d’ailleurs, qui allaient dans ce sens : « indatwa ».
Le Groupe scolaire de Butare était connu non seulement pour la qualité de l’enseignement mais aussi pour ses exploits sportifs. Et cela grâce à Frère Bernard qui était un sportif né qui maniait le ballon avec brio. Il a si bien développé les infrastructures sportives que le Groupe scolaire de Butare était le seul établissement au Rwanda à disposer d’une piscine. Homme de sciences par excellence, il a également pu démontrer ses talents de vulgarisateur dans son journal ‘’Servir’’. Le centre médico-social affilié au Groupe scolaire qu’il avait mis en place n’avait rien à envier à l’Hôpital universitaire de Butare. Mais ses activités de bâtisseur ne s’arrêtent pas là : puisqu’il est l’instigateur du Centre psychiatrique de Kabutare. On ne saurait également oublier sa contribution dans l’agrandissement de l’orphelinat qui accueillait des enfants orphelins depuis les événements de 1959 et dont le siège occupait l’un des bâtiments du Groupe scolaire.
De 600 élèves en 1972, le Frère Bernard a réussi à tripler les effectifs de l’école en 1994 sans sacrifier la qualité de l’enseignement, bien au contraire. En plus d’avoir contribué de façon significative à l’éducation au Rwanda, il a favorisé aussi l’agriculture intensive des fruits et légumes, ainsi que l’apiculture. En vertu de toutes ses réalisations, il a été récompensé en 1979 du médaille des ordres nationaux par les autorités rwandaises. Il a écrit les livres ‘’Si tu en vis’’ et ‘’Éducation aux valeurs’’, montrant dans ces livres que les valeurs morales sont le fondement de la science et de toute formation à transmettre aux étudiants.
Il n’était pas seulement un homme de sciences reconnu pour son intellectualisme, c’était aussi un homme simple et affectueux, capable de s’élever discrètement au niveau des plus petits. Je revois cette petite fille qui accompagne sa tante en visite auprès des Frères de la Charité. Tous les adultes sont pareils, délaissant l’enfant, ils n’en ont que pour la Sœur-tante. Tous les adultes? Non, sauf un : Frère Bernard! Le tout puissant Frère Bernard, Directeur et Supérieur, s’est saisi de la main de la petite fille avec affection. Il l’a emmené au réfectoire des Frères où il lui a servi du thé et du pain avec de la confiture aux fraises faite maison. Pendant que les adultes papotaient, il lui donnait des livres à feuilleter pour ne pas trop s’ennuyer. Et ce n’est pas tout! Au moment de rentrer, il lui donna des provisions : des chocolats et des bâtonnets d’amour, une sorte de petits gâteaux durs en forme de bâtonnets que les frères fabriquaient eux-mêmes. Et voilà! Ça c’est Frère Bernard! La petite fille ne l’oubliera pas et lui voue toujours une admiration sans borne.
Le Frère Bernard est mort en Afrique du Sud le 14 avril 2004 à l’âge de 65, après avoir tout donné et verser quelques larmes. Les trois pays qu’il avait aimé et auxquels il avait consacré sa vie, à savoir le Burundi, le Rwanda et le Congo, ont connu les violences les plus atroces sur terre. Car il lui arrivait de pleurer face à cette violence, dans l’impuissance de ne pouvoir l’arrêter. Il ne pouvait se détacher de la souffrance des autres et cela l’a épuisé complètement, comme cet autre grand Homme, le Frère Fraipont. En effet, les deux religieux ont ceci de commun qu’ils sont morts très tôt, dans la mi-soixantaine, par cause d’épuisement après avoir passé leur vie à tout donner.
C’est avec un plaisir bien ressentie que je vous demande de vous joindre à moi pour rendre hommage à un homme qui a tout donné pour notre pays. Je ne peux m’imaginer combien de gens sont devenus ce qu’ils sont maintenant à cause de lui, de son exemple, de ses enseignements. Homme authentique, il a mis en pratique le désignatif de sa congrégation de ‘’Frère de la Charité’’ en pratiquant la charité au quotidien.