Vendredi de gratitude : Sur les traces de Saverio Nayigiziki, le génie.

Par Mukundente Ariane

C’est avec un grand plaisir que je vous présente l’homme que j’aurais aimé côtoyer de son vivant, l’intellectuel au vrai sens du terme, Saverio Nayigiziki. L’anticonformiste Nayigiziki est né à Save dans l’ancienne préfecture de Butare en 1915. Après son école primaire, il a continué ses études secondaires au Petit séminaire de Kabgayi et ses études s’arrêtent ici. Il fut le premier et plus grand romancier et dramaturge que le Rwanda ait connu rivalisant avec les grandes célébrités de l’écriture comme Monseigneur Alexis Kagame.

Saverio Nayigiziki fut un homme aux multiples facettes, aux convictions profondes et à la pensée complexe. Qui est cet homme exceptionnel dont tout le monde parle? La première fois que j’ai entendu parler de lui, c’était au moment d’échanger des livres à lire entre amis sur Facebook. Quelqu’un a suggéré le roman ‘’ Mes transes à trente ans’’ de Saverio Nayigiziki. La toile s’est enflammée, des éloges pleuvaient pour ce livre qui a marqué beaucoup de gens dans leur jeunesse, plaçant ce livre parmi les livres à lire avant de mourir. J’étais jalouse! Boulimique de lecture depuis mon plus jeune âge, pourquoi je n’ai jamais vu ce livre? Il n’est pas trop tard.

Je pars à sa recherche sur internet pour demander à Mr Google où je peux trouver ce Saint Graal de littérature rwandaise. Pas de résultats tangibles. Juste une copie ici et là dans des établissements universitaires surtout en Europe et il faut être étudiant pour le consulter. Je ne m’avoue pas vaincue, je le trouverai tôt ou tard. Mais d’abord il fallait connaître l’auteur derrière ce chef-d’œuvre qui ne se trouve que dans les établissements du savoir. Partant des anecdotes racontés sur lui et avec un peu de recherche, je découvre un homme atypique, autodidacte, anticonformiste, un avant-gardiste qui a donné le mot ‘’philosophe’’ sa noblesse.

Mr. Nayigiziki a écrit son premier roman en 1949 sous le titre ‘’Escapade Rwandaise’’. Ce roman est primé au concours de la foire coloniale à Bruxelles sous forme de manuscrit, car le livre a été édité en 1950. En 1955, il y a eu une deuxième édition, cette fois-ci sous le nom de ‘’Mes transes à trente ans’’. En 1954, il a publié la pièce de Théâtre ‘’l’Optimiste’’ racontant l’histoire d’un Muhutu qui veut épouser la fille d’un chef Mututsi. Par cette pièce, Nayigiziki fut le premier à mettre un doigt sur les problèmes ethniques de l’époque, dans un système monarchique où il fut sous-chef. C’est son livre ‘’mes transes à trente ans’’ qui le met sous les feux des projecteurs. Avec ce livre Nayigiziki est considéré comme le Premier romancier qui a écrit un roman autobiographique français en Afrique. Il a une plume talentueuse, maniant la langue de Molière pour magnifier sa culture. Le texte est long, phrases complexes dans un style moderne, totalement européen. Du jamais vu chez un auteur africain , par conséquent attira l’attention de la métropole.

C’est l’histoire d’un certain Justin aux mœurs libérés qui fuit son pays après une faute administrative, il est recherché par les autorités. Sur le chemin de son exil vers l’Ouganda il raconte à sa femme Suzanne sa péripétie. Sous sa plume, Nayigiziki nous raconte toute sa vie, ses cauchemars, son mal d’être et ses amours. Tout le long de son récit il est en communion avec le paysage rwandais, décrivant les sentiments de la nature qui se mêlent aux siens, faisant de la nature, son compagnon fidèle sur le chemin de l’exil. Dans les années 1950 où la religion catholique joue l’autorité suprême, Nayigiziki réserve dans son roman une place bien particulière à Dieu. Il demande à Celui-ci de faire comprendre à sa femme Suzanne que c’est Lui qui exige sa séparation avec elle. Comme ça, Suzanne va supporter le mauvais coup qu’il va infliger à son cœur.

Étant un fugitif qui a fui les autorités, il n’épargne pas Nyanza, le lieu de l’autorité à cette époque. C’est le lieu sinistre de son opulence et de sa ruine. Il y décrit les intrigues qui s’y passent, les trahisons où même ses amis à défaut de l’éviter vont le signaler. Il crie à l’amour qu’il voue à sa patrie qui, pourtant, lui donne la frousse et qui ne veut pas de lui. Même les rapports colon-colonisé passent sous sa loupe, le colon l’énerve avec son accoutrement Safari, mais il le respecte, car il est l’autorité. Visionnaire, en avance sur son époque, il décrit les bouleversements sociaux qui pointent à l’horizon, car la marmite commence à bouillir.

Ce chef-d’œuvre a donné du fil à retordre aux spécialistes pour le classer. Est-ce une autobiographie? Est-ce un roman d’amour, d’apprentissage, roman épistolaire (roman discontinu), roman picaresque (autobiographie d’un anti-héros, un raté) ou roman viatique (un récit de voyage)?

Voici un extrait : ‘’Pour bien voir le marché, il faut le voir de près, il faut s’y mêler. Que de choses ont voit ainsi! J’y constat la soif ardente du ‘’tout pour le soi’’, les intérêts se heurtent, les égoïsmes se blessent, les cœurs saignent sous l’aiguillon du mois. Et moi-même, qui suis-je dans tout ceci? Un homme raté, l’opprobre de ma génération, un importun aux bien fortunés. Un singe qui a avalé un Blanc, comme disent certains Bazungu, une machine à rêver, comme disent mes compatriotes railleurs, et à mon avis, un aigri que sa propre bêtise exaspère, un malheureux incommode à lui-même, un dévoyé qui rêve sans issue, un reste d’homme que certains hommes dans leur égoïsme, comme des mouches, se disputent. Pauvre homme’’ ! (page 62).

Encore un génie de notre pays que le Rwanda n’a pas su mettre en valeur. Privant, ainsi, aux générations futures de s’abreuver sur son savoir. Un fils du Rwanda, Premier lauréat en Afrique francophone au concours de la foire coloniale à Bruxelles n’a jamais attiré l’attention de ses compatriotes intellectuels rwandais ni même les autorités de son pays. En effet, pas de trace de biographie ni même une page Wikipédia sur cet homme dont tout le monde semble connaître à cause de son génie.

Ceux qui l’ont connu et l’ont côtoyé, doivent écrire quelque chose sur cet homme et surtout vulgariser ses œuvres et son talent. Il serait merveilleux de jouer sa pièce de Théâtre ‘’Optimistes’’ à notre époque. Si l’Avare de Molière se joue encore après plus de 200 ans, pourquoi une pièce d’un homme de chez nous au même talent ne se jouerait? Je lance un appel à toute personne qui pourrait me dire où je peux trouver ses oeuvres ‘’mes transes à trente ans’’ et ‘’Optimistes’’. Je lui serais reconnaissante à vie. À vous tous qui possédez ces oeuvres, faîtes des tonnes de copies et mettez-les à la disposition du public au prix que vous voulez. Les gens vont se les arracher, car ces sont des classiques rares et des chef-d’œuvres à lire absolument.

C’était un personnage haut en couleur, un anti-conformiste comme on en avait jamais vu qui ne passait pas inaperçu. Professeur de Latin, il était largement apprécié de ses élèves. Comme tout grand philosophe, il avait le don de l’autodérisoire. Il portait son nom comme un boulet se demandant ce qu’il avait fait à Dieu. Il aura marqué la plupart des gens qui l’ont connu car il y a plusieurs anecdotes sur lui.

Saverio Nayigiziki est mort en 1984 à l’âge de 69 ans. Il a laissé derrière lui, une écriture de haut niveau du roman picaro-viatico-autobiographique ‘’mes transes à trente ans’’, qui le dans le panthéon des intellectuels du Rwanda, sinon le meilleur de tous. Rendons hommage à cet autre fils du Rwanda connu pour son talent exceptionnel et d’être le Premier romancier-dramaturge de l’Afrique francophone.
Saverio Nayigiziki, niyubahwe