En octobre prochain, le tribunal correctionnel de Paris sera le théâtre d’un procès très attendu. Le politologue et écrivain Charles Onana, bien connu pour ses travaux critiques sur la politique du régime rwandais, est poursuivi par un groupe d’organisations de défense des droits de l’Homme. Parmi les plaignants figurent la Fédération Internationale des Ligues de Droits de l’Homme (FIDH), l’association Survie-France, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), la Communauté Rwandaise de France (CRF) et le Collectif des Parties Civiles. Tous accusent Charles Onana de « négation du crime de génocide des Tutsi », suite à la publication de son livre controversé Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise en 2019.
Ce livre, préfacé par le colonel Luc Marchal, ex-commandant des casques bleus de l’ONU à Kigali en 1994, soulève des questions sensibles. Onana y explore les aspects moins connus du génocide rwandais et accuse Paul Kagame et son régime d’avoir orchestré une invasion déguisée du Congo-Zaïre dès 1994. Il affirme que cette stratégie visait à s’emparer des ressources minières de la région tout en manipulant la crise des réfugiés. Ses conclusions s’appuient sur des documents militaires et des archives issues de la CIA, de l’armée belge, du renseignement militaire français, ainsi que sur des sources onusiennes et américaines.
Le procès se tiendra les 7, 8, 10 et 11 octobre 2024, et le colonel Marchal, qui a directement vécu les événements de 1994, témoignera en faveur de Charles Onana. Ce soutien de poids, couplé aux recherches méticuleuses de l’auteur, renforce la crédibilité de son travail. Toutefois, les plaignants cherchent à interdire la diffusion de son ouvrage, l’accusant de minimiser le génocide tout en mettant en lumière des éléments perçus comme déstabilisants pour le régime rwandais.
Un combat judiciaire aux racines profondes
Cette affaire n’est pas une première pour Onana. En 2002, Paul Kagame et l’État rwandais avaient déjà intenté une action en justice contre lui, suite à la publication du livre Les secrets du génocide rwandais, co-écrit avec Déo Mushayidi, un rescapé du génocide et ancien membre du Front Patriotique Rwandais (FPR). Malgré des accusations similaires, cette plainte avait été retirée après que Onana eut produit des preuves solides, dont certaines ont été utilisées par la défense au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).
Les recherches de Charles Onana lui ont valu une reconnaissance internationale, notamment de la part de la procureure Carla Del Ponte en 2005, qui l’a reçu à La Haye. Elle a partagé avec lui des informations compromettantes concernant l’attitude de Kagame envers les enquêtes menées contre l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) en 1994, alors dirigée par Kagame lui-même. Ces informations renforcent l’idée d’une approche plus nuancée du rôle des différentes forces dans la tragédie rwandaise.
Un contexte de répression des voix dissidentes
Malgré les efforts pour projeter une image positive sur la scène internationale, le régime de Paul Kagame fait régulièrement face à des accusations de répression et de violence contre ses opposants, que ce soit au Rwanda ou à l’étranger. Un consortium de journalistes de 17 médias différents a révélé récemment, dans l’enquête Rwanda Classified, les méthodes utilisées par le pouvoir rwandais pour museler toute voix critique : intimidations, menaces et même tentatives d’assassinat.
Cette atmosphère de contrôle et de répression s’étend bien au-delà des frontières du Rwanda. On se demande alors si les associations de défense des droits de l’Homme qui attaquent Onana seraient prêtes à porter plainte contre le régime de Kagame pour son soutien au groupe rebelle M23 en République Démocratique du Congo, un soutien bien documenté par les experts de l’ONU. Ces mêmes associations, qui affirment défendre les droits de l’Homme, semblent jusqu’à présent éviter de s’attaquer directement à Kigali, malgré les preuves accablantes des crimes commis par le régime de Kagame dans la région des Grands Lacs.
Le procès à venir s’inscrit donc dans un contexte hautement politique, où la liberté d’expression, le rôle des chercheurs et la question du génocide rwandais se heurtent à la volonté du régime de Paul Kagame de maintenir sa version des faits. Le verdict de cette affaire aura sans doute des répercussions bien au-delà du tribunal de Paris, en influençant le débat sur la liberté d’enquête et la responsabilité des puissants dans les tragédies africaines.